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Entretien avec Hajooj Kuka, réalisateur soudanais : «Mon long-métrage est le premier film soudanais depuis vingt an»

© D.R

Tout investissement en film n’a pas de retour puisqu’il n’y a pas de public qui veut voir un film africain qui n’existe même pas. Le public préfère les films américains ou indiens ou encore d’action.

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Le jeune cinéaste Hajooj Kuka présentera, ce jeudi, son film «Akasha» dans le cadre de la compétition officielle du 17ème Festival international du film de Marrakech qui se tient jusqu’au 8 décembre. Il a préféré en donner un avant-goût avant la projection en s’exprimant sur les difficultés que le cinéma de son pays connaît.

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ALM : Comment évaluez-vous votre participation au festival ?
Hajooj Kuka : D’abord, j’aimerais bien préciser que la diffusion de mon film, qui est un drame programmé en compétition officielle du festival, est une première dans les pays arabes. Pour moi, cela est important. Ce qui m’importe également c’est de me mettre aux côtés du public et ressentir les sentiments des spectateurs arabes en regardant un film soudanais. Par l’occasion, mon long-métrage est le premier film soudanais depuis vingt ans. Bien avant, il n’y avait pas beaucoup de films soudanais vu les pressions du régime militaire du Soudan qui n’apprécie pas les films. D’autant plus qu’il n’existe pas de développement et d’appui aux films. Actuellement, pour bien des raisons dont les nouvelles technologies, de jeunes réalisateurs tentent de créer des films. Dans les années à venir, nous pensons qu’il y aura des films de mes amis qui seront lancés. C’est le cas de celui de Souhaib Kism El Bari prévu pour l’an prochain dont il a terminé le tournage. Aussi Amjad Abu El Ela est en train de tourner son premier long-métrage. Nous espérons bien qu’il y aura au moins un film par an. Nous nous entraidons pour avoir un bon retour du cinéma soudanais.

Pendant ces vingt ans, que faisiez-vous?
Je tournais des films documentaires aux Noubas du Soudan où je suis né et je vis. Déjà il existe une guerre tribale au Soudan divisé en deux Etats. Je parle du Soudan du Nord, là où il y a les Noubas. C’est là où je crée mes films. Pour «Akasha», c’est ma première expérience en drame. Je travaille aussi avec des gens qui vivent dans ma région et qui adorent l’art bien qu’ils ne soient pas des acteurs. Nous avons créé un club dans un village appelé «Kauda» où, nous jeunes, faisons des répétitions en «théâtre des misérables» et créons des mini-pièces de théâtre. C’est ainsi que nous avons évolué en faisant des courts-métrages puis ce long-métrage. Pendant les vingt ans précédents, j’étais à Abu Dhabi aux Emirats. J’y ai grandi. Pour l’heure, j’ai 36 ans. J’ai reçu mon éducation à Beiruth après quoi je suis parti aux Etats-Unis pour des études à l’université. C’est là que je me suis formé au cinéma à New York où je travaillais dans les annonces. En 2011, il y a eu la nouvelle guerre tribale au Soudan. En 2012, j’y suis parti pour essayer de documenter la situation au Soudan. Quand j’ai vu ma famille dans des situations difficiles, j’ai décidé de rester. Je vis dans cette contrée depuis 2012 à ce jour.

Votre film sera projeté aujourd’hui. Pourrions-nous en avoir un avant-goût ?
Le film est une comédie. Bien que ce soit un long-métrage, les faits se déroulent en une seule journée. Le film parle du mode de vie dans les zones de conflit. Ce qui y arrive au Soudan est bizarre. En automne, la pluie est abondante dans ces régions. La terre devient argileuse. Ainsi, les charrettes et les voitures n’arrivent pas à bouger. La guerre s’arrête complètement. C’est comme une opportunité pour les soldats pour partir. Le film raconte l’histoire de trois personnages principaux. Adnan, Lina et Absi. Adnan est un jeune qui aime la guerre. Il adore être aimé et perçu comme héros. Il a une bien-aimée qui s’appelle Lina. Le film commence par une dispute entre Adnan et Lina qui finit par l’expulser de chez elle. Mais il ne prend pas son arme avec lui. Tout au long du film, il essaie de la récupérer. Ainsi, la comédie se crée en tentant de récupérer cette arme. Mais en même temps, dans cette comédie, le spectateur ressent l’existence d’une vie dans les zones de guerre et conflit. Aussi, il y a un mariage célébré dans le même jour. Histoire de permettre au spectateur de ressentir l’existence de la musique, du patrimoine et du mode de vie dans ces zones marginalisées.

Lors de la conférence de presse du jury de ce 17ème festival, la réalisatrice d’origine marocaine, Tala Hadid, a indiqué que l’Afrique a de la créativité mais manque de moyens. Que répondez-vous à cela ?
Je suis d’accord. Il est assez difficile pour un réalisateur africain de produire un film vu le manque de moyens à cause de l’inexistence d’un mode de distribution des films. Tout investissement en film n’a pas de retour puisqu’il n’y a pas de public qui veut voir un film africain qui n’existe même pas. Le public préfère les films américains ou indiens ou encore d’action. Les films africains ne font pas l’objet de marketing qui est fait par des personnes qui ne connaissent pas la valeur et l’importance du film africain en tant qu’art ou d’outil d’échange. Il y a plus d’une raison pour s’ intéresser au film africain. Chose qui ne se fait pas. Même après la création de films, il est difficile de les diffuser de par le monde.

Le Maroc mène une belle politique d’ouverture sur l’Afrique. N’est-il pas temps pour les pays du continent de coopérer avec le Maroc pour l’art, notamment le cinéma?
Il est connu que le Maroc est le seul pays dans le continent où l’Etat consacre des montants pour la production de films marocains. C’est pourquoi le niveau des films marocains est supérieur par rapport à d’autres. Il existe des ressources de France et d’autres pays mais il faut que la production ait cette touche étrangère. Et donc elle sera loin de ce sentiment africain. Mais le Maroc fait des films marocains et proches des peuples marocain et africains voire arabes. Nous ressentons cela. C’est une nouveauté que le Maroc a créée. Auparavant, l’Egypte entreprenait cette démarche qu’il ne fait plus. Peu de pays prennent cette initiative pour peu de temps. Quand il y a des problèmes financiers, l’art est laissé pour compte. Actuellement, il n’existe pas de financement en Afrique pour des films africains. D’autant plus qu’il n’y a pas de festival dans cette partie du monde qui me donne l’impression que je peux y aller, où je serai respecté et où il y aura un intérêt pour le film africain. D’ailleurs, pour parler de Marrakech, c’est pour la première fois que je fréquente un festival arabe et en Afrique.

Un dernier mot… ?
Je suis le seul parmi l’équipe à assister au festival. Les autres participants au film n’ont pu y être parce qu’ils vivent dans des zones de conflit, ils n’ont pas d’identité et ne peuvent pas voyager. Dans mon film, c’est tout un village qui a contribué. Ce qui est important c’est que la production a commencé il y a environ trois ans et dans un club de jeunesse. Le début était simple puisque les jeunes ne trouvent pas quoi faire. L’idée était de commencer simplement pour faire un film dramatique pour celui qui aime. Ainsi les gens sont devenus enthousiastes. Quand on terminait un projet nous entamions l’autre. Nous avons fait 4 courts-métrages et nous partions aux environs avec un petit projecteur ainsi tout le monde s’est passionné pour le cinéma et veut participer aux films. Nous avons fini par faire le mien. Les membres de l’équipe ne s’attendaient pas à ce que le film soit présenté sur un grand écran au Maroc et dans le monde. Je suis fier d’eux et je me sens leur ambassadeur. Le film appartient à nous tous.

 

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