Musique

Virée dans l’âme d’un Gnaoui pas comme les autres

© D.R

ALM : Comment êtes-vous passé de Maâlem gnaoui à acteur pour la préservation du patrimoine gnaoui ?
 

Abdeslam Alikane : Au bout de 18 ans, le Festival Gnaoua et musiques du monde a largement évolué. Nous avons évolué avec. Les Maâlems gnaouis, grâce à ce festival, ont appris les métiers de scène. Ils ont développé leur contact avec le public et se sont ouverts sur d’autres genres musicaux grâce aux fusions et aux résidences artistiques. Nous sommes passés à une autre étape de tagnaouit. Celle-ci était confinée avant aux maisons, aux zaouias et aux moussems, aujourd’hui ce mélange avec les musiques du monde lui a donné une large dimension internationale.

N’avez-vous pas cette crainte d’enlever à l’art gnaoui une part de son authenticité en procédant à ce brassage de genres ?

Chaque genre musical a son histoire. Le jazz, le reggae, le blues… toutes ces musiques du monde sont passées par plusieurs étapes avant d’arriver à atteindre la notoriété mondiale qui les caractérise aujourd’hui. Chose difficile à réaliser en restant renfermé sur soi. Certains mâalems peuvent penser qu’il aurait été mieux de le faire, de se désintéresser des autres cultures y compris celle juive, mais l’on n’avance pas ainsi. Il suffit de voir l’éclat et la valorisation qui marquent Tagnaouit grâce au festival Gnaoua pour comprendre l’intérêt de cette ouverture.

Vous avez évoqué le patrimoine juif. Quelle est sa part dans l’art gnaoui ?

Il suffit de revenir sur notre propre histoire pour en mesurer la part. Du nord au sud, le patrimoine marocain est indissociable à la culture juive. Les saints juifs ont leur place dans les textes et morceaux gnaouis. Ce qu’on appelle les «Tbali et Tarh». Il faut savoir aussi que Tagnaouit nous n’est pas parvenue d’une seule porte. D’Éthiopie, du Mali, du Niger ou d’ailleurs, ce sont des influences différentes qui font la particularité de notre patrimoine gnaoui. Vous pourrez d’ailleurs y distinguer quatre dialectes différents : le Bambara, le Ifoullan (le Peul, ndlr), le Hawsa et le Tamanacht.

Peut-on imaginer Essaouira sans Festival ?

Je dirais plutôt le contraire. Pourrait-on imaginer le Festival Gnaoua et musiques du monde sans Essaouira? Non. Essaouira est magique de par son histoire, ses murailles, ses ruelles, ses gens et ses zaouias. Je vois mal le festival atteindre le succès qu’il a atteint aujourd’hui sans tous ses paramètres.

Yerma Gnaoua, votre association, a récemment entrepris la réalisation d’une anthologie dédiée à cet art ancestral. Pourquoi ce projet vous tient-il à cœur ?

En tant que mâalem, en tant que Marocain et en tant qu’humain, j’ai mal pour notre patrimoine à chaque fois que l’on perd un grand nom de tagnaouit. La mort de ces personnes est une mort pour une partie de notre culture ancestrale. L’anthologie musicale des Gnaoua est une tentative de protéger Tagnaouit, son histoire et son répertoire. Improviser en chant et danse, tout le monde peut le faire sans savoir que chaque danse a un sens, chaque répertoire a ses rituels. On peut créer, innover en art gnaoui mais je refuse que cela soit fait sans références.

Le statut du Maâlem gnaoui a-t-il évolué grâce au Festival ?

Bien évidemment. Je me souviens au tout début, quand on faisait le tour des mâalems pour collecter leurs biographies. Ce n’était pas évident. Ils devaient recourir, en majorité, à des écrivains publics qui leur fournissaient des documents types : «Je soussigné, je suis né le…». Les choses ont bien évolué aujourd’hui, chaque mâalem a son entourage qui le valorise et comprend l’importance de son travail.

Ceci dit, pourra-t-il vivre, au Maroc d’aujourd’hui, exclusivement de son art ?

Il y en a qui le peuvent mais ils sont rares. On ne peut pas avoir une famille, tenir un foyer, envoyer ses enfants à l’école avec Tagnaouit. Même avec les autres arts c’est un peu difficile aujourd’hui. A l’époque, avant toutes ces crises économiques, sociales et politiques, nous étions très sollicités à l’étranger. Nous avions des dates très souvent et cela nous faisait vivre. Cela a changé. S’ajoute à cela le piratage qui nous prive du peu que l’on peut percevoir. En toute honnêteté donc, il est très difficile de vivre de cet art.

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