Culture

Normalisons nos relations avec le Vietnam

Aujourd’hui Le Maroc : Votre nom a été cité dans la liste des personnes remerciées par l’auteur de Poussières d’empires Avez-vous rencontré Nelcya Delanoë ?
Mohamed Aït Kaddour : Oui. Elle parle aussi de moi dans un passage de son livre que je trouve fabuleux. Ici, elle m’a présentée comme Kamal. Je ne sais pas pourquoi elle m’a affublé de ce surnom.
Bref, j’ai fait la rencontre de Nelcya Delanoë à Paris en 1985 ou 1986-je ne me rappelle pas de la date exacte- lors de l’enterrement de son père . Le défunt n’était pas n’importe qui. Installé depuis longtemps à El Jadida, ce dernier, médecin de profession, était un ami de la résistance marocaine et militait à l’époque dans “Conscience française“ face à l’impérialisme des dirigeants de la France d’alors. La moindre des choses était d’assister à ses funérailles où J’ai représenté feu Abderrahim Bouabid. Nelcya Delanoë est venue un beau jour en 1999 me voir au ministère (NDLR, de l’Aménagement du territoire). C’est là qu’elle m’explique l’objet de sa visite, écrire un livre sur les Marocains qui avaient combattu au nord Vietnam. Probablement que Abdellah Saâf qui a écrit “l’histoire d’Anh Ma“, surnom de Maârou, l’a dirigée vers moi, qui ai écrit un article depuis Paris en 1984 stigmatisant la rencontre à Alger autre Giap et le chef du Polisario.
Mme Delanoë avait besoin justement de votre témoignage sur ce général marocain du nom de Maârouf. Il semble que vous l’ayez connu…
J’ai connu effectivement à Safi dès 1966 où je devais prendre mes nouvelles fonctions de directeur du port celui qui était appelé le général Mâarouf ou Lahrech. C’était avant le retour au Maroc avec femmes et enfants des combattants marocains qui ont rallié le camp du Viet-Minh.
À cette date-là, Safi, une ville ouvrière frondeuse comme Casablanca, était en état de siège. Pour maintenir allumée la flamme de l’UNFP combattu à mort par le pouvoir, j’ai dû aller à la rencontre de quelques militants locaux. C’est dans ce cadre que j’ai connu ce fameux général par le biais d’un syndicaliste du nom d’El Bida. C’est lui qui m’a parlé, me semble-t-il, des tracas que vivait ce général et sa femme qui ont travaillé à l’OCP avant d’intégrer Maroc-Chimie d’où ils seront licenciés abusivement. J’ai trouvé cet homme dans des conditions presque inhumaines. Marié à une Vietnamienne, trois enfants. Politiquement, on s’est vite entendu alors que ce n’était pas évident que le courant passe facilement avec un communiste ordinaire. Il est de l’école chinoise…
Quel âge devait-il avoir au moment de votre rencontre ?
Il n’avait pas encore 60 ans, il pouvait encore travailler. Lui et sa femme étaient éjectés du complexe Maroc-Chimie. Pour les aider, j’ai tenté à plusieurs reprises de trouver à ce couple persécuté une nouvelle situation professionnelle à Casablanca. En vain. Un jour, il m’a demandé de lui offrir une canne à pêche munie d’un moulinet en me promettant du poisson chaque jour. J’ai trouvé cela extraordinaire. Fin 1967, je pars à Paris avec ma femme. Je rencontre alors Fkih Basri et je lui parle du général Maârouf. Mon interlocuteur me dit qu’il en a besoin pour ses projets au Maroc. Pour le Fkih, c’était l’homme idoine parce que l’intéressé était général. Retour donc au Maroc pour faire sortir Maârouf et sa famille, lui clandestinement vers l’Algérie et elle normalement vers Paris. Mission accomplie. Mon compagnon n’a rien pris avec lui, sauf la canne à pêche qu’il m’a rendue. Quant aux clés de sa maison, il les a jetés très loin avec une belle énergie… Une forme de pied de nez formidable fait en toute modestie aux structures répressives locales que dirigeait le fameux Houcine Jamil qui m’avait avoué un jour m’avoir “traité“ à Dar Mokri en 1964.
Et sa rencontre avec le Fkih ?
Je crois que le Fkih s’est méfié de Maârouf dès le premier coup, voyant probablement en lui un rival qui pouvait prendre sa place… Le bonhomme était, lui, un vrai révolutionnaire et n’avait pas les pieds plats. Malgré son titre de général, celui-ci n’était pas un militaire professionnel. À l’origine, il était cadre politique du parti communiste marocain, ayant pris le chemin du Vietnam avec une mission précise : faire en sorte que les combattants marocains qui se battaient initialement pour le compte de l’armée française rallient les résistants du Viet-Minh… Le Fkih n’a pas seulement renoncé à lui donner la place qu’il méritait au sein de l’organisation, mais il lui a livré une guerre psychologique pour le démolir…
Comment ?
Basri a chargé ses militaires de dénigrer Maârouf et de colporter des choses fausses sur son compte. Finalement, cet homme exceptionnel, réduit à être un héros sans gloire, qui décédera plus tard en France alors qu’il résidait en Algérie, n’a rencontré que la désillusion après son retour du Vietnam. Et quand le Fkih lui a parlé de révolution, il ne comprenait par ce que ce dernier entendait par révolution, tant il appelait, lui, un chat un chat avec un esprit clair…
Qu’est-ce que le Fkih vous a dit à propos de Maârouf ?
Il m’a dit textuellement : le cancer l’a attrapé par le nez. C’était en 1972 quand je l’avais rejoint. Par discrétion, j’ai évité auparavant de demander de ses nouvelles.
Que signifiait cette expression ?
Je pense que c’était une manière à lui de traiter les gens qui étaient plus forts que lui. Tel Bennouna et d’autres…
Étiez-vous à Kénitra au moment du retour des combattants marocains du Vietnam ?
En effet. En 1972, alors que me trouvais à Kénitra après avoir quitté Safi, j’apprends que les combattants marocains au Vietnam allaient atterrir à la base militaire américaine de la ville. En apprenant la nouvelle, les Américains ont tenu ce langage aux autorités marocaines : “Mais vous êtes fous. Ce sont des communistes que vous accueillez chez vous !“. Bien sûr, ces passagers pas comme les autres furent “débriefés“ par des éléments de la CIA, qui voulaient avoir éventuellement des indications sur les prisonniers américains au Vietnam…
Alors, j’avertis Abderrahim Bouabid qui à son tour a demandé à M.M Basri et Youssoufi d’alerter la délégation nord vietnamienne qui était à ce moment-là en négociation à Genève avec les Américains. Les hommes de Hô chi Minh se sont aussitôt arrangés pour informer les autorités de leur pays de cet interrogatoire…Ce qui a permis à ces dernières grâce à ce tuyau important de prendre leurs dispositions à temps pour déjouer les plans américains par force ruses et leurres…Ce jour-là, c’est pratiquement notre parti qui a remédié à la carence de l’État pour exprimer la solidarité du peuple marocain envers le peuple vietnamien.
Pourquoi à votre avis le Maroc n’a-t-il pas voulu établir des relations diplomatiques avec le Vietnam alors que notre pays a participé par ses soldats à sa libération du joug colonial ?
C’est une grosse erreur que de ne pas avoir fait du Vietnam un pays ami du Maroc. Je crois qu’il faut aujourd’hui réparer cette erreur en se rapprochant de cet État qui, faut-il le rappeler, reconnaît le Polisario tout comme Cuba d’ailleurs, presque par la faute de notre diplomatie. Les hauts faits du général Maârouf qui, aux côtés du général Giap, a défait à Den Bien Fu, l’armée française et l’attitude héroïque de plusieurs dizaines de milliers de combattants marocains qui ont rallié l’armée populaire du Vietnam auraient suffi pour que le Maroc ait droit de cité dans ce beau pays.
Je rappelle aussi que l’opposant numéro un à la reconnaissance du Vietnam était le général Oufkir. Car lui aussi a fait semblant de déserter l’armée française sur appel de Maârouf et a liquidé plusieurs Marocains qui ne sont pas méfiés de lui avant de rejoindre l’armée coloniale.

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