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Point de vue : Au secours… la communication !

© D.R

Marrakech s’est récemment dotée de 2 joyaux : Le Musée «Aman» de la civilisation de l’eau et le Musée Yves Saint Laurent.

Par Soumeya Abdelaziz (*)

Le premier célébrant l’eau, source de toute vie, restitue 3.000 ans d’histoire du patrimoine hydraulique marocain et expose nos réalisations contemporaines, ainsi que les nouveaux défis technologiques relatifs à ce domaine. Le second, quant à lui, célèbre la haute couture française, en la personne d’Yves Saint Laurent. Deux joyaux dotés d’une architecture et d’une scénographie de haute facture (dans les deux sens du terme), magnifiées par un show son et lumière spectaculaire, qui vous laissent découvrir que  notre belle ville a aussi (et enfin) autre chose à montrer que les singes et serpents de Jamaa El Fna. Après avoir déjà visité le 1er musée, j’ai récemment accompagné des amis étrangers pour visiter le 2ème (100 dh le ticket pour eux, 60 dh pour les autochtones). Après une queue impressionnante, une charmante hôtesse nous propose dès l’entrée d’aller d’abord admirer l’exposition de Leila Alaoui (une photographe franco-marocaine de grand talent fauchée à la fleur de l’âge dans un attentat à Ouagadougou) qui a lieu dans une autre salle, située derrière le musée, en nous précisant bien : «C’est gratuit». Nous obtempérons.

Au secours,  notre image … !

L’exposition, baptisée «Les Marocains», nous déploie une magnifique galerie de portraits de personnages au regard pénétrant et en costume traditionnel – dont un troué- véhiculant pour la plupart une certaine misère… Musiciens populaires exhibant leur instrument archaïque, montreur de serpents, brandissant son reptile… Les femmes, toutes voilées jusqu’aux paupières, dont une carrément camouflée derrière un masque en tissus coloré, ne laissent pas entrevoir l’ombre d’un cil …

Consternée, je parcourus la galerie à la recherche d’un peu de raffinement, de modernité, de fraîcheur. Que diable ! Où donc sont les beaux caftans et parures au travail si délicat de nos élégantes et les  jabadours et fez rouge  ou les burnous qui vous posent un homme? …Et les Marocains modernes habillés comme vous et moi? J’ignore si cette sélection et cet aspect socio-vestimentaire passablement  miséreux de notre pays est un choix délibéré  de la  jeune et défunte artiste, ou si elle n’a pas eu hélas le temps de terminer ce dernier.

Quoi qu’il en soit, je suis marocaine et ne me suis retrouvée dans aucun de ces personnages! Ni moi ni mes proches, ni mes amis marocains n’auraient pu d’ailleurs s’y reconnaître! Intituler cette belle exposition «Les Marocains» ne pouvait donc que titiller méchamment  mon égo… Qu’on l’appelle à la rigueur «Des Marocains»… ou «Marocains du monde rural» j’aurais compris, mais «Les Marocains» ! Il va de soi,  je ne conteste aucunement le travail remarquable de l’artiste, qui était libre de choisir comment exprimer son œuvre, mais le titre donné à son exposition, laquelle a sûrement eu lieu aussi dans d’autres pays. J’aurais été étrangère, j’aurais pensé «C’est donc cela les Marocains?! ». Encore figés au 18ème siècle ! Et comme pour mieux nous enfoncer la différence dans le cœur, on nous invite par la suite à voir la combien mitoyenne, contemporaine et somptueuse exposition de Mr Saint Laurent, bien payante celle-là… et au prix fort, flamboyante d’élégance et de raffinement !

Par curiosité, j’ai posé la question suivante aux touristes étrangers présents: Avez-vous visité le Musée de la civilisation de l’eau ? Tous me répondirent par la négative, arguant, stupéfaits, qu’ils n’en avaient jamais entendu parler !…ni ne savaient même où il était situé ! Scandalisée, je les encourageais vivement, ainsi que mes propres amis, à le découvrir.

Au secours les prestations!

Mes amis en revinrent subjugués, l’ayant trouvé aussi beau, bien conçu qu’hautement instructif ! J’en étais d’autant plus ravie qu’ils sont des gens de culture et de grands voyageurs, visiteurs des plus prestigieux musées de la planète. En revanche, ils ne comprenaient pas pourquoi seuls 4 ou 5 visiteurs hantaient le nôtre. Qu’il n’était pourvu d’aucune librairie thématique, comme tout musée digne de ce nom, et donc d’aucun catalogue, cartes ou souvenir à se mettre sous la dent. Cela, sans compter son prix d’accès inaccessible pour le Marocain moyen (d’autant plus qu’excentré, ce musée peut nécessiter un double transport) : 45 dh par adulte, 10 dh par enfant… Soit 110 dh pour une famille de 4 membres. Combien d’entre elles pourraient se le permettre? Etonnons-nous après cela, que le dimanche certains préfèrent emmener leurs rejetons «visiter» les supermarchés nous concoctant ainsi de vulgaires consommateurs, au lieu de nous façonner de futurs créatifs !

Tout ça pour ça !

Voilà donc un musée  de 3.000 m2, avec une  extension prévue sur 30.000 m2, pour lequel le vénérable ministère des habous et des affaires islamiques (via le contribuable, à savoir  vous et moi) a dépensé 163 millions de dirhams et mobilisé tout un personnel pour son fonctionnement, mais qui néglige de se fendre d’une communication digne de ce nom  pour le rentabiliser! Tout ça pour ça ! Une misérable poignée de visiteurs quotidiens ! Je n’ose pas croire qu’il compte sur le bouche-à-oreilles pour le faire connaître…

A titre indicatif, le jardin Majorelle à lui seul accueille plus de 2.100 visiteurs  par jour, soit près de 780.000 par an! Soyons réalistes. Les noms prestigieux qui s’y attachent ne sont pas les seuls responsables de son succès… Il y a aussi sa communication, sa bonne gestion et la qualité des services et attractions qu’il offre en son sein… Notre musée Aman est non seulement dépourvu de librairie thématique mais même sa cafeteria est réduite à sa plus simple expression et ne donne aucune envie de s’y poser ! Sachant, et les professionnels du secteur vous le diront, que les principales ressources d’un musée sont justement sa librairie  et sa cafétéria.

Le musée Aman n’est pas sans faire penser à ces vastes et luxueux cafés ou restaurants que l’on voit éclore partout au Maroc, dans lesquels les propriétaires ont  investi des millions, voire des milliards, et qui sont déserts parce qu’ils ont lésiné  à payer un bon chef cuisinier…

Au secours l’animation !

Le manque de communication n’est pas le seul mal dont souffrent nos sites touristiques. Le manque d’animation aussi.

Nos palais anciens sont vides, aucune mise en scène ni mobilier,  pas même une théière pour montrer aux visiteurs notre art de vivre ancestral. Pas de spectacles non plus, en costumes d’époques, pour animer nos sites historiques, comme savent si bien le faire d’autres,  pour mieux rentabiliser ces lieux,  renflouer le budget du ministère de la culture qui en a bien besoin et auraient de plus donné du travail aux jeunes diplômés de nos conservatoires, écoles de cinéma et autre Isadac, lesquels tournent désespérément en rond: Dramaturges, comédiens, scénographes, musiciens, danseurs… sans compter la cohorte de techniciens, costumiers, maquilleuses, habilleuses, ouvriers du décor et autres machinistes…

Notre pays peut se targuer d’être parmi les rares dans le monde à être doté d’une civilisation avec toutes ses composantes, dont chacune est  une industrie à elle seule, génératrice de richesses et d’emplois. Jugez-en plutôt: 9 sortes d’architectures, 2ème gastronomie au monde, 70 sortes de musique, des arts populaires millénaires, un artisanat des plus prestigieux et un costume des plus raffinés. Un patrimoine inestimable qu’on ne cesse de très mal vendre! Sachant pourtant  qu’avec notre  phosphate et notre soleil, la culture est sans doute le seul domaine  où nous pouvons être  compétitifs sur le marché  international. Avec la nature, elle représente l’un des deux poumons de notre tourisme, et sans ces trois leviers que sont la communication, l’animation et des prestations de qualité, on ne pourra  jamais tenir face à la concurrence.

Un exemple? Durant la Cop22 à Marrakech,  laquelle  avec ses milliers de visiteurs a offert  une occasion en or pour vendre notre artisanat, j’ai découvert « par pur hasard » le pavillon qui lui était consacré. Un pavillon quasiment vide de visiteurs, au désespoir des exposants qui avaient payé leurs stands au prix fort. Pourquoi ? Encore une fois à cause d’une communication tardive et mal pensée !

Nous avons des splendeurs culturelles à vendre à nos visiteurs. Il n’y a pas de honte à les monnayer au prix fort, à condition d’offrir les prestations de qualité qui riment avec. Pour le rentabiliser, nous  devons  donner à notre patrimoine culturel matériel et immatériel toutes les chances. La gestion et la visibilité qu’il mérite, à travers une communication et des animations dignes de ce nom. Jouer la carte de l’exotisme et du folklore ne doit pas signifier systématiquement  misère, manque d’hygiène, archaïsme et image dégradante de nous. Les décideurs et professionnels du secteur doivent prendre conscience de cet état de fait. Il en va de l’image, de la grandeur et de la santé économique  de notre pays, il en va  de l’avenir de  nos jeunes.

(*) Ecrivaine artiste

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