Culture

Rivalités et jalousies maghrébines

Jacques Chirac est venu en coup de vent au Maroc début décembre en visite privée. Le roi Mohammed VI avait invité le président français au repas traditionnel qui marque la rupture du jeûne du ramadan. La presse française n’a guère commenté l’événement, sinon pour rappeler que des inondations catastrophiques avaient frappé le Maroc. Les journaux algériens, en revanche, ont eu une lecture politique de l’escapade. « Quotidien indépendant » francophone, El Watan a même choisi de l’annoncer à la « une », sous le titre : « Chirac opte pour Mohammed VI ».
Qu’est ce qui motive ce jugement catégorique appuyé par plus d’une demi-page de commentaires ? La brève déclaration d’un porte-parole du ministère marocain des affaires étrangères qui, rendant compte de l’entretien entre les deux chefs d’Etat, a dit que, outre les « questions internationales d’intérêt commun », ils avaient évoqué « les moyens d’approfondir les relations bilatérales dans le cadre d’un partenariat stratégique d’exception au service des sociétés et des économies des deux pays amis ». Ce qui pouvait passer pour de la langue de bois ou du jargon diplomatique a éveillé la suspicion du quotidien algérien, qui relève qu’un mois auparavant la ministre française de la défense, en « visite de courtoisie » au Maroc, avait déjà évoqué la « coopération privilégiée » entre les deux pays sur le plan militaire.
El Watan est persuadé qu’Alger, à qui Paris ne propose qu’une relation « exemplaire », est moins bien traitée que son voisin. Entre Paris et Rabat, « ce sera nettement différent », et ce déséquilibre contredit la « politique du juste milieu » suivie par la France au Maghreb. « Chaque fois qu’une haute personnalité française entreprend un voyage dansla région, on prend toujours soin, pour ménager les susceptibilités, de prévoir des escales dans chaque capitale. Ce rituel s’est encore vérifié à l’occasion de la visite, en décembre de l’année dernière, de Jacques Chirac. C’était l’Algérie – les intempéries de Bab-el-Oued – qui avait principalement inspiré le déplacement du président français. Mais, pour ne pas incommoder Rabat et Tunis, le président français s’était fait un devoir de faire escale dans ces deux capitales. » Derrière un « amour équitablement partagé », El Watan décèle un « désamour franco-algérien ». « Comment expliquer, écrit-il, que les relations entre la France et l’Algérie, qui réunissent toutes les conditions objectives pour être hissées à un niveau privilégié (…), ne parviennent pas à franchir ce pas qualitatif ? » Le « pragmatisme économique » plaide en faveur de liens « privilégiés ». Le « contentieux historique » entre les deux pays ne renseigne pas vraiment sur leurs « relations en demi-teinte ». « Le système politique choisi par l’Algérie au lendemain de l’indépendance, l’instabilité politique qui a caractérisé le pays au cours de ces dernières années, les choix économiques nouveaux de l’Algérie basés sur la diversification de ses partenaires » sont des explications guère plus convaincantes, note le journal.
A défaut de trancher, El Watan s’en remet à la visite officielle qu’effectuera en mars 2003 en Algérie le président français pour aller de l’avant. Ce sera la première visite d’Etat depuis l’indépendance de l’ancienne colonie. Mais, conclut le quotidien, « la flamme déclarée par Chirac au roi Mohammed VI en scellant « un partenariat stratégique d’exception » risque, de manière générale, de porter ombrage à (…) une coopération que Paris a toujours voulue, du moins officiellement, à équidistance entre les trois pays du Maghreb ».

• Jean-Pierre Tuquoi (Le Monde du 11/12/2002)

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