Culture

Sefrou : les cerises de la colère

© D.R

"Hefrou" (Creusez !) est l’appellation, significativement ironique, qui revient le plus dans cette ville du Moyen-Atlas à moins de 30 kilomètres de Fès. A Sefrou, on dirait que le temps s’est arrêté depuis une éternité et que la poussière a fini par y implanter son règne, sans merci.
L’ex-siège du tribunal de première instance qu’on convertit en commissariat de police, c’est devenu le synonyme de plusieurs mois de travaux qui n’en finissent pas et c’est une bonne partie de la mythique avenue Mohammed V qui est envahie de poussière. Avec l’approche de 2007, c’est pratiquement toute la ville qui a été transformée en immense chantier et il faut souvent faire attention en marchant, ou en conduisant, pour ne pas buter sur quelques amas de pierres et de terre quand on n’a pas le malheur de tomber dans l’une des tranchées qui garnissent Sefrou, vieille médina et nouveaux quartiers compris. Ici, on semble s’apercevoir finalement que le réseau d’assainissement est défaillant, là, on se réveille enfin pour constater qu’il fallait élargir la chaussée.
Les MRE rencontrés dans cette ville disent ne plus supporter un tel état de fait. Les "autochtones", eux, semblent s’y être habitués depuis longtemps et se préparent à un rude hiver sous le signe de la boue envahissante. Le règne de la poussière, ce sont aussi les carrières qui assiègent la ville et qui ont fini par métamorphoser les reliefs des environs de la cité des cerises.
Les pinèdes et les oliveraies sont devenues méconnaissables à force de voir défiler les camions transportant un précieux sable destiné à toutes les villes du Royaume.
«Il n’y a aucune raison valable pour que des habitants de cette ville soient atteints, dans d’énormes proportions, d’asthme. Or, c’est le cas», se désole un ex-conseiller communal. Même si des carrières ont été fermées et qu’un dispositif d’arrosage a été rendu obligatoire pour lutter contre la poussière, rien n’a changé.
Les exploitants font leur business. Sefrou et ses habitants (plus de 100.000) trinquent. L’essor urbanistique de la ville est également pour beaucoup dans cet état des choses.
Dans cette ville bâtie, affirme-t-on, par les Romains, y venir pendant le mois d’août est une véritable mésaventure.
A la chaleur suffocante s’ajoutent les ordures qui ont investi tous les espaces. Et Sefrou est à l’origine même d’une triste performance nationale : les ordures s’amoncellent même à proximité du siège de la municipalité (appelé Hôtel de ville comme dans les beaux jours) et à la base de la mythique muraille de la vieille médina. Cette dernière est livrée à un autre sort fait de négligence au point de perdre son âme. Traverser Bab Lemrebaâ, l’une des places jadis incontournables, est devenu un véritable calvaire.
Sefrou, présumée capitale de la cerise, est un parfait exemple des cités ruralisées. Sa proximité avec une grande ville touristique n’a servi à rien et les choses ne se sont guère améliorées après une vingtaine d’années, depuis que cette cité a été "élevée" au statut de province.
Que viendrait d’ailleurs faire un touriste à Sefrou? Outre le fait qu’il faut se démener comme un fou pour trouver où manger un morceau, le peu qu’il y a à y voir est amoché par des années de laisser-aller.
Les Sefriouis, amers, se rappellent toujours de Feu Hassan II qui donnait cette ville comme exemple des extraordinaires villes du Maroc transformées en horreurs urbanistiques. On a bien établi un plan pour la sauvegarde de Fès, capitale spirituelle et haut lieu des musiques sacrées, mais on a "oublié" Sefrou.
Même le Festival des Cerises, le plus vieux festival du Maroc, a fini par devenir tout sauf un rendez-vous sous le signe de la culture et du développement. La seule chose qu’on peut désormais retenir de ce festival est que la ville se transforme en une grande foire commerciale pour camelote chinoise. Mais aussi cette polémique alimentée par le PJD depuis que ses conseillers sont arrivés à s’imposer dans cette ville. L’on se rappelle, il y a deux ans, ces derniers avaient trouvé l’astuce pour remplacer l’élection de Miss Cerisette (on parle de manière abusive de Miss beauté de Sefrou) par la désignation de la "fleur des cerises", une gamine qu’on ne se permettrait pas de maquiller "outrageusement" avant de la trimballer dans une "Aâmmariya"…
Un observateur de la chose communale résume d’ailleurs le drame de cette ville. «Les élus PJD, pour toute politique, votent contre tous les projets programmés par le conseil municipal», affirme ce dernier qui fait référence à plusieurs projets bloqués à cause du bras de fer entre les conseillers islamistes et le président de la municipalité de Sefrou. C’est le cas, par exemple, de la cession d’un lot communal à un investisseur pour y ériger un établissement touristique de luxe. Il n’en sera rien et les visiteurs de Sefrou, à moins de crécher chez des proches, doivent chercher ailleurs où passer la nuit et prendre un dîner potable.
Pour le moment, les commerces les plus prospères à Sefrou restent les cafés et les cybercafés qui poussent comme des champignons. Ces "investissements" donnent une idée sur les "priorités" d’une population composée, pour une grande partie, de retraités et de chômeurs. L’exode rural, lui aussi, a fortement contribué à faire de Sefrou une ville où il ne fait nullement bon vivre.
L’autre hobby de prédilection à Sefrou est celui d’écouter "Radio-Médina", soit les derniers faits divers, les dernières prises de bec entre tel responsable et tel fonctionnaire quand ce n’est pas un crime sordide comme il ne s’en produisait jamais dans cette ville il y a encore quelques années.
Tout est-il noir, poussiéreux dans cette ville ? Pas du tout.
La ville et ses environs présentent les atouts d’une destination touristique de premier choix pour les amoureux de la nature, des forêts et des cours d’eau. Quelques efforts sont nécessaires pour changer les donnes de ce côté-là même si le département de Adil Douiri a oublié, lors de l’élaboration de la stratégie du tourisme de montagne, que Sefrou se trouvait à un vol d’oiseau de Fès. Et avec tout cela, Sefrou reste une ville à population serviable et accueillante.
Dans cette cité paumée, on vous racontera toujours une anecdote qui fait la fierté des Sefriouis.
Au début des années 1950, Feu Sa Majesté Mohammed V a effectué une visite dans cette ville frappée par de fortes inondations.
C’est lui qui serait à l’origine du nom donné à l’un des grands quartiers de la ville, "Habbouna" (ils nous ont aimés) en référence à l’accueil réservé au défunt Roi juste quelque temps avant son exil. Y compris par une forte communauté juive qui a fini par déserter la ville pour n’y revenir que le temps de quelques cérémonies religieuses.


 Que voir à Sefrou
quand même ?

Le site de Sidi Ali Bousserghine est le plus indiqué pour avoir une vue panoramique complète de cette ville située à plus de 700 mètres au-dessus de la mer. Les forêts avoisinantes n’en sont pas moins attrayantes alors que les lacs de la région offrent un véritable petit paradis.
Malgré tout, la médina reste incontournable à condition de voir où l’on met les pieds. Les cascades de la rivière Aggaï ne sont pas moins intéressantes surtout pendant l’été. Il serait encore mieux de se hasarder dans les quelques grottes de la région et un saut à Bhalil, une sympathique petite localité à 5 kilomètres. Sefrou et sa région sont mieux indiquées pendant la période printanière.

Quand les élus se donnent en spectacle

Le bureau du président du conseil municipal qui se transforme en ring, cela est déjà arrivé dans plusieurs villes. Mais que cela devienne le sujet de conversation favori de milliers de citoyens durant plusieurs semaines, un pas est franchi. 2007 y est pour beaucoup là aussi. L’histoire remonte à plusieurs semaines quand les conseillers du PJD ont accusé le président du conseil de violence. Un témoin raconte que lesdits conseillers (dont trois vices-président) avaient investi le bureau du président pour demander des "explications". Ce dernier les sommera de déguerpir illico. Les choses dégénèreront en pugilat et échange de coups, y compris là où toutes les lois des arts martiaux en interdisent. L’un des conseillers justifiera de plus de 60 jours d’incapacité, un autre de "moins de dégâts". L’affaire est devant la justice et l’opinion publique est toujours dans l’attente d’un long procès qui promet en "politique-spectacle".
Ironie de l’histoire, le président du conseil municipal a été porté à ce poste par les conseillers islamistes qui ambitionnaient de s’en servir pour concrétiser leurs propres visions (en auraient-ils ?!). Quand celui dont ils voulaient faire une "marionnette", témoigne un conseiller, a voulu se libérer de leur "tutelle", ils ont tout fait pour avoir sa tête. Affaire à suivre dans une ville où il ne se passe presque rien de plus "intéressant".

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