Culture

Tayeb et Borges

© D.R

Il n’y aura pas de moments de silence entre nous. Mon hôte est d’une telle culture que l’on pourra parler longuement avec la certitude de mener nos échanges jusqu’à l’aube. Évidemment ce maître incontesté dans l’art de conter, ce prodigieux connaisseur de la civilisation arabe pourra m’aider à percer un mystère. Jorge Luis Borges est le premier à avoir compris que le dromadaire est l’animal qui s’associe le moins bien à l’Arabe. Vous imaginez l’affront que cela constitue pour ceux qui organisent des courses de dromadaires dans le désert. Ceux qui ont fait de l’élevage de cet animal une pratique noble et une digne référence à leur atavisme. C’est à peine s’ils ne parlent pas d’un dromadaire arabe en termes de pur-sang, au même titre que le cheval. Dans ce penchant à magnifier le dromadaire, les Arabes ont sacrifié aux gentilles cartes postales des Occidentaux. Ils se sont confondus avec l’image que l’on a façonnée d’eux. Borges a pourtant découvert que le mot “dromadaire” est cité une seule fois dans le Coran. Vous imaginez ! L’animal que l’on assimile le mieux aux Arabes est étranger au livre d’où ils tiennent les fondements de leur société. Je vais demander à mon invité de m’expliquer comment il a fait pour retenir après la lecture du Coran que cet animal n’y est cité qu’une seule fois. C’est prodigieux ! Je vais également entretenir Borges de l’“Aleph”, ce fabuleux livre où il avait expliqué les raisons du malentendu des Arabes avec le théâtre. Les traducteurs d’Aristote ont buté contre les termes “tragédie” et “comédie”. Ils ne pouvaient pas ou ne voulaient pas comprendre ces deux composantes du théâtre grec. Parce qu’elles étaient difficilement acceptables dans une société monothéiste. Ils ne pouvaient pas dresser l’homme contre des Dieux, et encore moins en faire leur rival. Et c’est ainsi que les Arabes ont raté leur rendez-vous avec le théâtre. Ils ont traduit “tragédie” par “satire” et “comédie” par “panégyrique”. Deux genres qui ont connu une grande fortune dans la poésie arabe ! J’admire Borges. J’admire sa passion pour la littérature. Elle révélait au grand jour l’étroitesse de la vie réelle. L’oeuvre de Borges peut être même considérée comme un procès intenté aux petites possibilités de la vie réelle. Borges n’a jamais regretté son amour pour les livres. Il n’a jamais considéré qu’il est passé à côté de la vie en se dévouant aux livres. Il n’a pas regretté d’écrire sa vie au lieu de la vivre. C’est l’Anti-Faust. Celui qui n’a pas brûlé ses livres pour l’amour d’une jeune femme. J’aurais tellement aimé lui ressembler, moi qui ai tant de fois cédé aux petits riens de la ville réelle.

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