Culture

Un bédouin au pays de Molière

© D.R

Il est l’unique écrivain Saoudien de langue française. Cette particularité a attisé la curiosité des critiques à la parution du premier roman d’Ahmed Abodehman. « La Ceinture » a eu droit à des articles élogieux dans « Le Monde des livres», « Télérama », « Lire » ou « Le Magazine littéraire ». Son auteur est vendeur, compte tenu de tous les préjugés qui circulent sur son pays d’origine. Son petit livre a été un vrai phénomène d’édition avec 10 000 exemplaires, vendus en trois mois. Le succès de ce livre est haussé par le prestige de la maison d’édition qui l’a publié : Gallimard. Pourtant, ceux qui s’attendaient à trouver des détails croustillants dans « La Ceinture » ont été déçus. Son auteur bat en brèche la composante qui fait la réputation de son pays en Occident. « L’Arabie a un trésor humain et poétique, bien plus important que ses pétrodollars », dit-il. Et puis, même s’il écrit en français, Ahmed Abodehman reste très attaché à sa tribu et à son atavisme. Sa présentation devrait figurer dans le Guinness record des patronymes les plus élastiques. Elle essouffle : « Je suis Ahmed ben Saad ben Mohammed ben Mouid ben Zafir ben Sultan ben Oad ben Mohammed ben Massaed ben Matar ben Chain ben Khalaf ben Yaala ben Homaid ben Chaghb ben Bichr ben Harb ben Djand ben Saad ben Kahtan ben Amir ». C’est peut-être la seule marque tropicale d’un récit autobiographique dévoué à l’amour d’une vieille tribu d’Arabie : Abou Qahtan, établie depuis toujours dans l’Assir « une région montagneuse où le ciel fait partie des montagnes ». Le souffle du narrateur est épique. Son livre s’apparente à des immémoriaux qui s’attachent à capter le souffle poétique de sa tribu. Il le fait avec une langue simple, des mots simples, où seules les combinaisons peuvent produire des explosions de sens inédits. « Chez nous, la pluie ne tombe pas : elle monte ». Ou encore : « les voix de nos ancêtres se sont mélangées à la terre comme un engrais et toutes ces richesses naturelles sont le fruit de cette union. Nous chantons pour que la vie danse ». Ahmed Abodehman se définit comme un poète, et non pas comme un prosateur. Cette poésie propre au désert, qu’il a véhiculée dans « la langue d’Eluard, d’Aragon, de Prévert », a séduit par son aspect tonifiant. Elle n’obéit pas au rationalisme inhérent à la langue française. L’écrivain utilise en effet la langue française, tout en l’adaptant à l’esprit de la poésie arabe. C’est en cela que son récit est intéressant, parce qu’il l’a construit sans chercher à copier des auteurs français, mais en insufflant l’esprit de sa tribu dans une autre langue. « Nous sommes tous des poètes, disait ma mère, les arbres, les plantes, les fleurs, les rochers, l’eau… Si tu écoutes bien les choses, tu peux les entendre chanter ». La simplicité des propos de ce poète cadre très peu avec l’idée qu’on se fait sur le rapport des Saoudiens avec la nature. Ahmed Abodehman n’a pas d’état civil, puisqu’on n’enregistrait pas en Arabie Saoudite les dates de naissance quand il est né. Il s’est installé en 1980 en France pour faire des études, et il n’a jamais quitté ce pays depuis. Dans ses entretiens, il ne pourfend pas son pays. Il établit une distinction entre la littérature et la politique. Cela est d’autant louable que la critique de l’islam est en passe de devenir un genre littéraire. Des écrivains comme la Bengalie Taslima Nasreen en ont fait leur fonds de commerce. Ahmed Abodehman a pour sa part choisi une autre voix. Il parle de la poésie de son village, sans semer la haine de son pays. Il est attaché à sa “tribu”, sans pour autant la fermer aux autres. Et cela permet de mieux établir un mince pont entre l’Occident dont il a adapté la langue et son pays dont il préserve l’héritage. Le voeu secret de cet écrivain consiste sans doute à élargir sa tribu, en y invitant des lecteurs qui ne s’expriment pas dans sa langue maternelle.

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