Culture

Un grand moment de théâtre

Le décor de «Allal A Allal» surprend d’emblée par son caractère inventif. Quelques masures, une baraque à la couleur suspecte contre laquelle est appuyée une civière, un arbre dénudé, et un poteau en métal supportant l’hélice d’une éolienne. Le début de la pièce confirme la bonne impression laissée par le décor.
Allal (Aziz Al Fatihi) et Kaddour (Abdelkebir Regagna) parlent de races canines. Allal est un tueur professionnel de chiens. Il garde un village des meutes de chiens errants. Il les abat à l’aide d’un bâton dont il ne se sépare jamais. Sa grande familiarité avec les chiens l’a rendu sensible à leur charme. C’est ainsi qu’il évite d’abattre une chienne, parce qu’elle a des poils soyeux, un regard si doux qu’il pourfend l’âme la plus impitoyable, et qu’elle entraîne à chaque fois derrière une meute de chiens languissants. Ce qui facilite la tâche de Allal qui peut à chaque fois faire un massacre canin grâce à la coopération non préméditée de la jahmouma. Mais ce jour-là, l’ordre vient d’être donné à Allal de la tuer, parce qu’elle a la manie d’aboyer toutes les nuits devant la résidence d’un important personnage, le Raïs. Après avoir vainement essayé de la rattraper, Allal revient à la place du village raconter sur un ton admiratif les exploits de la jahmouma. Rkia (Karima Chamout), une vendeuse de harira, et Kaddour écoutent son récit. Un quatrième personnage (Khalid Al Asri), un poète désabusé, ne prête aucune attention à son récit. Il sort une corde qu’il accroche au vieil arbre et se la met autour du cou. Va-t-il se pendre ou non ? Allal et Kaddour parient un coq. Le premier joue la pendaison, le second la dérobade. Le poète ne se pend pas. Allal enrage de le voir revenir sur sa décision.
Il lui reproche de ne pas être un homme… Les composantes de la pièce écrite par Ahmed Boukratchi et mise en scène par Abdelaziz Farouki nous installent ainsi dans un monde qui n’est pas dépourvu d’absurde. Le poète qui essaie d’ailleurs de se pendre en se tenant longtemps debout devant un arbre mort est un clin d’oeil au théâtre de Beckett. La mise en scène de « En Attendant Godot » comprend également un vieil arbre – si important qu’il atteint la densité d’un personnage. La culture théâtrale du metteur en scène apparaît par à-coups, sans brusquerie, presque l’air de rien. Et c’est très probablement ce qui constitue la force de «Allal A Allal». Tout en restant très largement abordable pour un large public, sans le dépayser du théâtre qu’il est habitué de voir, cette pièce apporte une vision cohérente, nourrie du théâtre universel. Cette vision participe à la fois du théâtre absurde et de la conception dramatique de Brecht. Les personnages simulent de manger ou de boire. Ils changent de surcroît de décor sous les yeux des spectateurs.
Cette façon de faire est éminemment brechtienne. Brecht est en effet connu pour avoir créé, par opposition au théâtre traditionnel où le spectateur s’identifie au héros, le « théâtre épique » qui invite l’acteur à présenter son personnage sans se confondre avec lui. C’est ce qu’il appelle « l’effet de distanciation » qui rompt avec la convention traditionnelle basée sur l’illusion de la réalité. La conjonction de théâtre narratif et de vison moderne a bien pris. Elle a enchanté les centaines de spectateurs qui ont rempli toutes les places du théâtre Mohammed V. Aziz Al Fatihi a également participé à la réussite de cette pièce. Ce comédien, qui est alerte et vif, remplit l’espace de la scène d’une façon qui fixe l’attention des spectateurs sur lui. Les autres comédiens n’ont pas non plus démérité. « Allal A Allal » est une pièce qui annonce probablement la maturité du théâtre marocain à grand public. Tout en exploitant quelques ingrédients qui font la réussite des pièces commerciales, elle introduit une vision théâtrale cohérente.

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