Culture

Victime d’antan, bourreau d’aujourd’hui

© D.R

La pièce ne passera pas inaperçue. Son sujet provoquera sans doute de multiples réactions de rejet. Adapté du livre éponyme de Soazig Aaron, paru en 2002, «Le non de Klara» raconte la souffrance d’une Juive qui refuse de revoir sa fille, après avoir survécue à l’épreuve de la déportation à Auschwitz. Racontées d’une façon très émouvante, les tribulations de cette mère dans un camp de concentration nazi revisitent la littérature de la Shoah, en adoptant un langage direct, jusqu’alors inaccoutumé. La mère n’épargne rien des détails de la quotidienneté dans un camp de concentration. Les humiliations, la saleté corporelle, mais aussi l’humour cruel des déportés. Tout est dit dans un texte, beau, très touchant, mais également troublant, parce qu’il est joué dans un pays arabe, à l’heure où Sharon et ses sbires abattent chaque jour de l’Arabe. Comment un peuple qui a été “la” victime puisse se transformer en bourreau ? Comment un peuple, qui a tant souffert, puisse reproduire le schéma de sa souffrance sur un peuple qui ne lui a rien fait ? Ces interrogations s’imposent en filigrane non seulement à un spectateur arabe, mais à tout autre personne ayant du bon-sens. Il ne faudrait pas espérer que la distinction entre Israéliens et Juifs opère dans une pièce de théâtre qui parle d’abord aux tripes. L’intellect n’opère qu’à demi lorsqu’il est confronté à des sujets qui touchent chacun dans sa chair mortifiée. Cela dit, il n’est pas sans intérêt de regarder une pièce de ce type, en raison justement de la souffrance qu’elle met à nu. L’universalisme de cette souffrance n’est pas la propriété exclusive d’un peuple. Les lamentations et les cris de douleur ont même depuis longtemps déserté un camp pour loger dans un autre. Et parmi les Juifs, il en existe qui dénoncent ce transfert, parce qu’ils en ont justement éprouvé l’intensité. Quant au spectacle, il réserve un moment théâtral intense au public. Dans un décor qui rappelle un atelier, trois personnages se livrent à un exercice de catharsis insoutenable : une comédienne (Delphine Cheverry), un comédien (Philippe Suberbie) et un pantin, sans doute le personnage le plus présent sur scène. Il représente tous les absents. Le jeu de la comédienne est très réaliste. Sans excès, ni à coups de surenchère de pathos, elle a su rendre d’une façon digne la souffrance des personnages qu’elle interprète. L’éclairage a été exploité dans « Le non de Klara », mis en scène Carole Drouelle, d’une façon très parlante. Dans l’une des scènes, les personnages disparaissent dans le noir, et seul demeure debout le pantin, éclairé comme une super-star par le faisceau d’un projecteur. Au reste, on ne peut en aucun cas taxer l’Institut français de Casablanca (IFC), qui a coproduit la pièce, de favoriser un spectacle où les Juifs revêtent le rôle de la victime. Plusieurs pièces de théâtre dénonçant très ouvertement la politique israélienne en Palestine ont été jouées au théâtre 121. Tout le monde se souvient de «Quatre heures à Chatila», adapté du texte de Jean Genet ou «Nous ne disons adieu à rien», tiré des poèmes de Mahmoud Darwich et mis en scène par Dominique Devals. On peut toutefois émettre des réserves sur le timing de la programmation de cette pièce et le fait de ne pas en tempérer la charge, en initiant un débat sur la victime des années 40 et le bourreau à l’orée du troisième millénaire. Dans une large mesure, il s’agit du même personnage.

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