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Yamina El Kirat El Allame : «Seule la communauté peut maintenir une langue comme celle d’usage de chaque jour»

© D.R

Le 9ème congrès international des linguistiques africaines se poursuit jusqu’à aujourd’hui à Rabat. Nous avons rencontré, en marge de cet événement, Yamina El Kirat El Allame, également coordinatrice générale du congrès, chargée des programmes d’enseignement d’arabe aux non-arabophones au niveau de la Faculté et de l’Université Mohammed V de Rabat et de formation en doctorat pour les études anglaises ainsi que du laboratoire de recherche « Culture, langue, enseignement, migration et société » qui organise ce congrès. Elle détaille les dessous de cet événement et de ses challenges.

ALM : C’est pour la première fois que le congrès se tient en Afrique du Nord. Comment en avez vous préparé l’organisation ?
Yamina El Kirat El Allame : Depuis 2009, l’idée d’organiser le congrès au Maroc était exprimée. C’est l’occasion pour le Maroc de s’ouvrir sur des universités africaines, voire de découvrir le Maroc. Nous avons tout fait pour rendre cette expérience unique parce qu’on a tenu à ce que celle-ci soit scientifique, académique et culturelle. C’est donc une ouverture pour le Maroc sur l’Afrique et du continent sur le Royaume. Nous avons invité
des sommités qui figurent dans le comité d’organisation de ce congrès qui accueille des pays du Maghreb, d’Afrique du Nord, du Japon, de la France, de l’Ouganda, du Sénégal, du Maroc, de l’Ethiopie, de l’Afrique du Sud, du Cameroun, du Brésil, des Etats-Unis, de la Hollande et de l’Allemagne. 41 pays y participent dont 22 africains et 19 pays étrangers. A elle seule, l’Allemagne est connue pour son intérêt en Afrique subsaharienne. Par l’occasion, l’événement aborde non seulement les langues en Afrique mais aussi la culture amazighe, hassanie, arabe et darija ainsi que la langue des signes.

Certaines langues africaines sont en train de disparaître. Comment envisagez-vous à travers cet événement de contribuer à préserver ces langues?
Dans le congrès, nous avons des séances dédiées aux langues menacées. Nous avons par exemple invité une experte de l’Unesco, Arienne Dwyer, une Américaine qui travaille sur les langues menacées en Asie, notamment la Mongolie. Elle a abordé lors du congrès les langues menacées dans un contexte de mondialisation. C’est une question qui est également revenue dans des sessions parallèles sur la menace que vivent les langues. C’est une question qui se pose. Il y a même des expériences de communautés avec des tribus en Afrique. Par exemple, au Cameroun une communauté peut décider d’utiliser la langue locale comme outil d’enseignement. L’Etat n’intervient pas. Pour ma part, j’ai fait une communication sur les mesures optimales pour le maintien de l’amazigh. Dans notre argumentaire, nous mentionnons que la diversité linguistique et culturelle est un héritage humain. De par la perte de chaque langue, il y a tout un héritage culturel qui disparaît. Permettez-moi de vous rappeler mon doctorat d’Etat dédié aux langues menacées, j’avais travaillé sur une variété amazighe parce que c’est une langue menacée. Il y a même des variétés amazighes qui ont disparu. D’autres sont en voie de disparition, par exemple celle de ma communauté des Beni Yeznassen. J’ai fait 10 ans de recherche sur le terrain. A partir d’une expérience personnelle, il y a un dénigrement de l’identité amazighe que j’avais vécu enfant avec un complexe d’infériorité et traumatisme. Dans mon doctorat, je suis arrivée au résultat de l’officialisation. A mon sens, celle-ci peut aider à changer les stéréotypes sur la langue et à faire connaître l’amazigh. Déjà avec la langue des Beni Yeznassen, on a perdu des traditions culturelles et des mots. C’est la communauté qui contribue à la transmission d’une langue. L’une des conclusions que je tire, c’est que l’officialisation, l’enseignement, la standardisation peuvent aider mais seule la communauté peut maintenir la langue comme langue d’usage de chaque jour.

Quel regard portez-vous sur la recherche scientifique en linguistique?
Au Maroc, la conscience de l’intérêt de la recherche est encore très faible. Sur le terrain, quand vous voulez faire des enquêtes il y a beaucoup d’obstacles. Certains ne veulent pas contribuer aux enquêtes y compris dans le milieu universitaire parmi les collègues, voire les responsables. A mon avis l’université a un grand rôle à jouer pour comprendre beaucoup de problématiques de la société notamment la recherche en sciences humaines et sociales. C’est cela qui va changer la société. J’insinue par là la sociologie, la linguistique, l’identité, la religion entre autres. Il n’y a que la recherche sur le terrain qui peut expliquer des phénomènes sociaux. Les décideurs doivent prendre en considération au moins les recommandations des sciences humaines et sociales. Au Maroc, on n’est pas encore très avancé concernant la recherche en sciences humaines et sociales. En sciences humaines, les vrais chercheurs souffrent pour collecter les données. A mon tour, j’ai rencontré des obstacles dans ma recherche sur l’amazigh.

Cela fait des années que des Africains sont installés au Maroc. Ce congrès n’arrive-t-il pas en retard ?
Nous ne pouvions pas décider nous-mêmes. En fait, ce n’est pas la première fois que nous organisons un événement à propos de l’Afrique. Il ne me revenait pas de décider de la date de l’organisation du congrès. Je trouve déjà que c’est un temps record pour un pays ou une région qui rejoint le congrès en 2009. En cette année, j’étais la seule Marocaine dans ce congrès. Depuis 2009, le comité d’organisation a exprimé la volonté de la présence de l’Afrique du Nord par le biais du Maroc. En 2012, il était organisé au Cameroun. En 2015, l’événement était organisé dans un autre continent. Pour 2018, il devait revenir en Europe mais on a préféré donner une opportunité à l’Afrique du Nord. En 2021, il se tiendra aux Pays-Bas. En ce qui concerne notre intérêt pour l’Afrique y compris les langues, je suis en collaboration avec des collègues africains depuis longtemps.

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