Economie

Abdelouahab Faraj: «Achetez FOB et vendez CIF !»

© D.R

ALM : Quel a été votre parcours avant de devenir courtier  d’affrètements de navires ?


 

Abdelouahab Faraj : J’ai entrepris  mes études en droit et relations internationales d’abord à la Faculté de droit de Casablanca puis à Aix-en-Provence avec un passage d’une année à l’Université d’Exeter (GB)  et enfin à Nice où j’ai obtenu mon doctorat en droit avec une spécialité maritime. Tout de suite après mon diplôme, j’ai eu la chance d’intégrer le groupe OCP en 1986 au sein de sa filiale maritime «Marphocean» en tant que responsable juridique et assurances. C’était une très belle expérience où j’avais comme mission de négocier des contrats d’assurances avec les fameux Lloyd’s et les P and I clubs. Mes cinq dernieres années au sein de l’OCP, je les ai consacrées à  l’affrètement des navires  appartenant au Groupe. Cette passionnante fonction est devenue mon métier à ce jour. Mon objectif  était de combler un peu le vide au Maroc en matière de courtage maritime et  d’accompagner les entreprises marocaines dans leurs ventes ou achats de marchandises par mer.

Expliquez-nous un peu le rôle du courtier maritime, et quelle contribution pouvez-vous apporter aux opérateurs maritimes, notamment marocains ?

Le rôle du courtier maritime est celui d’accompagner l’opérateur économique à la recherche de navire pour transporter sa marchandise. Il  travaille  en amont en fournissant régulièrement à ses clients les informations sur le marché du fret puis en proposant des navires adéquats et selon leurs besoins spécifiques tant pour leur qualité technique de navires que pour le sérieux et la réputation des  armateurs. Nous les assistons durant la négociation des termes et conditions d’affrètement en protégeant au mieux leurs intérêts, nous leur proposons parfois même des termes additionnels au contrat qui leur sont plus favorables, nous suivons le voyage depuis le départ jusqu’au déchargement et nous les assistons pour régler les litiges qui peuvent surgir et pour les calculs des surestaries et despach. Il y a des courtiers qui jouent le rôle passif de «boîte à lettres». Notre philosophie est tout à fait contraire. Nous nous impliquons totalement avec le client. C’est comme si le client disposait d’un service d’affrètement au sein de son propre entreprise. Des affréteurs externalisent même leurs opérations et dossiers maritimes pour une meilleure efficacité.

Le Maroc traverse une crise dans ce secteur maritime avec la disparition presque sur une période très courte de plusieurs armateurs nationaux tels que Marphocean, Comanav, IMTC et Comarit. Comment expliquez-vous cette situation  ?

Les armateurs marocains sont défavorisés comparativement à d’autres pays comme les pays scandinaves, la France, l’Allemagne et bien autres. Il n’y a pas dans notre pays un environnement réglementaire et juridique propice ni d’incitations fiscales pour ce secteur. Le pavillon marocain est très contraignant pour les armateurs ou pour inciter de nouveaux investisseurs dans ce domaine très capitalistique. Le projet de pavillon international ou BIS est resté  lettre morte.

Il y a eu également un manque de stratégie globale de la part de nos dirigeants lors de la libéralisation. Le Maroc ne  s’est pas préparé à cette nouvelle situation du secteur maritime et nous avons  laissé nos armateurs livrés à eux-mêmes dans les eaux troubles de l’open seas. Il est extrêmement dangereux que le Maroc ne dispose plus de flotte nationale surtout en matière de transport de passagers et de matières premières locales. La France qui est un pays libéral s’est portée au secours de la compagnie privée SNCM par l’apport d’aides directes. L’Algérie vient d’acquérir de nouveaux navires de marchandises et renforce sa compagnie nationale la CNAN. Par ailleurs, toute cette expertise et expérience acquise depuis  des décennies dans le secteur de la gestion et l’exploitation des navires passagers, chimiquiers, rouliers depuis des décennies est en train de partir en fumée. Tout le monde sait parfaitement que le travail sur un navire crée plus d’une dizaine d’emplois directs ou indirects à terre. Quels débouchés disposent  nos futurs élèves officiers demain fraîchement sortis de notre prestigieuse école de formation l’ISEM? Peut-être les trouveront-ils dans l’objectif actuel du gouvernement de maîtriser 30% de la logistique maritime grâce à la création d’armements nationaux.

Vous dites que les opérateurs marocains devraient favoriser l’achat en FOB et la vente en C&F, quels seraient les avantages concrets qu’ils peuvent en  tirer ?

Les opérateurs marocains auront tout à gagner en procédant à la vente CIF ou par l’achat FOB de leurs produits. Les avantages sont bien réels à commencer par le fret. L’opérateur aura la conviction qu’il aura payé le juste prix du marché. Demandez à un vendeur étranger de vous donner le prix de la marchandise distinctement de celui du fret! Bien souvent, il ne vous la donne pas car il a souvent un gain sur le fret et sur le taux des surestaries. L’autre avantage tient au fait que  c’est l’opérateur marocain/affréteur qui négocie les termes du contrat d’affrètement directement ou à travers son courtier avec l’armateur et par conséquent il se protège mieux et maîtrisera toutes les conditions du contrat. Un vendeur, par exemple, qui accepte de ne  pas considérer la houle comme un cas d’exonération dans le contrat pour un voyage sur Jorf sachant que durant la période d’hiver ce port est souvent fermé et congestionné à cause de la houle, assumera toute l’attente du navire qui peut aller à plusieurs jours ou semaines et au paiement de surestaries conséquent. Parmi l’une des raisons de la déconfiture de la Samir est l’absence de maîtrise des termes et conditions des contrats d’affrètements qui a malheureusement conduit cette société à être condamnée lourdement par les tribunaux new-yorkais lesquels exigent le règlement de 1,38 MUSD de surestaries. D’autres termes du contrat d’affrètement s’ils ne sont pas bien négociés auront un impact financier supplémentaire qui des fois dépasse le fret lui-même. Autre  avantage c’est celui de la maîtrise des approvisionnements en temps réel et la gestion des stocks à terre. En fixant lui-même le navire, l’opérateur marocain aura plus de contrôle sur celui-ci et peut jouer sur les dates pour minimiser  les stocks et donc leurs coûts. Les opérateurs marocains comme l’avait si bien proposé M. Terrab, DG de l’OCP, peuvent  également optimiser davantage les coûts grâce à une mutualisation du fret. L’idée simple serait que quelques grands donneurs d’ordre comme l’OCP et d’autres échangent et partagent les informations sur leurs affrètements et voir s’ils peuvent  jouer sur le fret en proposant aux armateurs une meilleure optimisation du voyage avec une cargaison de retour ou de positionnement par exemple. De petites  expériences informelles et timides ont été faites avec succès. Enfin le dernier avantage tient au fait que l’opérateur marocain aura une arme commerciale infaillible supplémentaire pour acquérir et s’introduire dans  de nouveaux marchés en proposant le transport maritime. L’exemple une fois de plus de l’OCP est à juste titre à prendre comme cas d’école.

Notre pays souffre du paiement de la facture énorme des surestaries aux armateurs étrangers estimée à plus de 600 millions de dollars sans compter la facture du fret. Quelles sont les raisons de cette situation et quels sont les remèdes ?

L’une des raisons principales tient au fait, comme indiqué précédemment, que nos opérateurs privilégient l’achat CIF au lieu du FOB. Le gouvernement actuel s’est penché dernièrement sur la problématique des surestaries. Une étude a été entreprise pour connaître les raisons du retard enregistré dans l’exécution d’import et d’export, soit au niveau des attentes de navires avant leur accostage ou à leur séjour prolongé à quai, soit aux retards enregistrés dans la restitution des conteneurs par les réceptionnaires et les chargeurs.

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