Economie

Adil Douiri, entre bluff et bilan

© D.R

Qu’est ce qui fait courir le ministre du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale? Le sémillant Adil Douiri donne l’impression de ne travailler que pour le secteur des voyages, constamment sur le terrain, entre deux avions, recevant des patrons de TO étrangers à domicile ou chez eux. Si l’agitation est une preuve du dynamisme d’un responsable et le bagout un signe de bonne santé d’un secteur, M. Douiri est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Car l’intéressé, qui passe à l’aise du français à l’anglais, est doublé d’un beau parleur . Chose que même ses adversaires les plus intimes lui reconnaissent. “S’il n’était pas ministre, il aurait fait un excellent représentant de commerce“, dit de lui perfidement un professionnel… 
Bien sûr, l’homme a pour lui sa jeunesse. Natif de Rabat le 16 novembre 1963, le fils aîné de M’Hamed Douiri, fondateur de l’Istiqlal et plusieurs fois ministre notamment de l’Équipement dans les années grasses, a fait des études prestigieuses. Baccalauréat scientifique avec mention en 1980, classes préparatoires de mathématiques supérieures et mathématiques spéciales au lycée Saint-Louis à Paris (1981-1982) et diplôme d’ingénieur civil des Ponts et Chaussées en 1985. Sans conteste, l’élève est brillant. Destiné à un bel avenir. Ça n’a pas raté. C’est en France que cet amateur des Ferrari (il en possède quelques unes à l’étranger) fait ses premières armes. Optant pour la haute finance, il intègre la banque Paribas où il est en charge de la gestion des investissements, notamment des clients de la banque sur le marché américain. Sa biographie officielle de ministre mentionne aussi cette distinction : Élu deux fois meilleur gérant de portefeuille américain à Paris par la presse spécialisée (1987-1991).
C’est fort de cette réussite qu’il rentre au bercail pour fonder en 1992 avec Amyn Alami une banque d’affaires du nom de Casablanca Finance Group (CFG). Parmi les actions-phares réalisées par cet établissement, le contrat-programme 2000-2010 sur le tourisme marocain. C’est le jackpot en quelque sorte : M. Douiri sera, en effet, appelé en tant que ministre istiqlalien du Tourisme à faire partie du gouvernement de Driss Jettou formé en novembre 2002. Tout comme ses jeunes collègues Karim Ghallab et Taoufik Hejira, qui se sont vus confier pour l’un les portefeuilles du Transport et de l’Équipement et pour l’autre celui de l’Habitat, celui qui est également le petit-fils de feu Ahmed Balafrej, autre figure historique de l’Istiqlal, n’était pas à proprement parler un vrai militant du parti. D’ailleurs, sa ministrabilité avait fait jaser plus d’un au sein de la formation de Abbas El Fassi. Mais peu importe la militance. Ce qui compte c’est la compétence.
C’est justement cette qualité dont se prévaut celui qui se définit comme un “musulman protestant“. En effet, Adil Douiri aime à répéter autour de lui qu’il est le genre qui se réalise dans le travail. “ Chacun de nous est fait d’une manière différente. Moi j’ai l’air un peu spartiate, mais je prends mon plaisir dans l’action“, nous a-t-il dit un jour, ajoutant qu’il n’est pas dans ses habitudes, “éducation oblige“, de raconter des histoires. Allusion faite à la contestation de certains professionnels du secteur du chiffre annoncé par l’intéressé de plus de 5 millions de touristes ayant visité le Maroc en 2004.
Une manière de signifier que la mayonnaise est en train de prendre et qu’il a atteint à mi-chemin la moitié de l’objectif proclamé (10 millions de touristes). Or, tout le monde sait que les statistiques prises en compte comprennent et les touristes et les visiteurs. C’est comme si on mélangeait les pommes et les carottes ! Il suffit qu’une personne entre au Maroc par un poste-frontière donné pour qu’elle soit considérée comme un touriste quand bien même elle séjourne chez sa tante alors que le pays a besoin de ce que l’on appelle les touristes internationaux de séjour (TIS). C’est cette catégorie qui achète des voyages et fréquente les hôtels, va dans les restaurants et les bazars. En un mot, qui consomme et pèse lourd dans la balance. En plus, M. Douiri a “vendu“ les statistiques de son département comme une performance inédite dans les annales du secteur alors que, de l’avis de tous, les flux en direction du Maroc lors de“l’année de référence“ pour les opérateurs, à savoir 2000, qui sont de l’ordre de 3.200.000 touristes hors MRE, n’ont jamais été égalés depuis !
Bien sûr, le ministre de tutelle n’est pas à court d’arguments : “ mes services se sont basés sur le classement de l’OMT qui a été intégré par le contrat-programme 2000-2010“, explique-t-il.
Le contrat-programme qui est l’œuvre, il faut le rappeler, de CFG Group dont il est un des principaux fondateurs. Et puis, Adil Douiri passe aussi pour avoir réussi, dans le cadre du point à point en matière d’aérien, à convaincre pas moins de 12 nouvelles compagnies étrangères européennes de desservir certaines villes touristiques du pays. Objectif principal de cette opération, casser le “hub“ de Casablanca dénoncé à l’unisson comme un frein à l’expansion de l’activité touristique. Il fallait donc permettre aux touristes d’atterrir directement dans les aéroports des villes de leur choix et leur éviter ainsi les désagréments nés de la longue attente des correspondances pour la destination finale. Tout cela est beau. Mais qu’en est-il réellement ? En fait, la présence au Maroc des compagnies comme Globalia, Corsair et autres LTU n’a rien de nouveau. Elle remonte à plus de deux décennies avec une activité se limitant au charter. La nouveauté introduite par M. Douiri c’est qu’il a autorisé les transporteurs en question à organiser, en plus du charter, des vols réguliers en direction du Royaume. Ce qui signifie que ces compagnies peuvent transporter et la clientèle des tours opérateurs et les individuels comme les RME. Avec en prime une petite carotte sous forme d’une subvention annuelle de plusieurs millions de dirhams accordée par le ministère du Tourisme au profit de chacune de ces compagnies, histoire de les motiver pour qu’en échange elles transportent le maximum de touristes à destination de Marrakech, Agadir ou Fès.
C’est ce qui fait dire à un professionnel averti que “la seule véritable compagnie aérienne nouvelle au Maroc s’appelle en fait Atlas Blue“ créée par le patron de la RAM pour contrecarrer justement “la méthode Douiri “ sur le marché du transport aérien et qui risquait à terme de tuer la compagnie nationale. Ce serait en revanche faire preuve de mauvaise grâce que de ne pas reconnaître cette réalité : jamais le secteur n’a suscité autant d’intérêt et de passion qu’avec l’avènement de Adil Douiri. Intelligent, l’homme a bel et bien un style propre à cultiver l’optimisme. Une capacité de travail certaine aussi et une bonne équipe autour de lui. Et s’il ne brassait que du vent ? Cette crainte est partagée par de nombreux experts du tourisme national qui trouvent que la stratégie du ministre manque de profondeur. Mais n’est-il pas en train de signer des contrats à tour de bras avec les TO étrangers ? “ ourquoi voulez-vous qu’ils ne signent pas du moment qu’ils sont intéressés, note un agent de voyages. Mais le risque c’est que le ministre, qui leur a promis beaucoup d’argent, n’arrive pas à honorer ses engagements financiers. Oualalou doit s’inquiéter“.  
Hissé au rang de secteur stratégique aussi bien dans les discours que dans les faits, le tourisme rapporte gros. Beaucoup de devises pour le pays. Pour cela, il faut d’abord investir. D’où le Plan Azur avec ses différentes stations balnéaires dont les marchés ont été remportés par des groupes étrangers. Pour accompagner cette nouvelle dynamique, le ministre a de son côté mis le paquet sur le marché incontrôlable des études pour la bagatelle de 100 millions de Dhs. Une fortune colossale. Le budget de l’ONMT, valorisé depuis les attentats de Casablanca à hauteur de 400 millions de Dhs ( dont 50 provient des recettes de la TPT), sert de bras financier dans ce qui est présenté comme une opération sans précédent de promotion du produit Maroc à l’étranger.
Les opérateurs auront noté tout de même une chose importante, la proximité du directeur de l’ONMT Abbas Azzouzi avec le ministre Adil Douiri. Cette “entente“ n’était pas de rigueur auparavant, du temps où Fethia Bennis officiait à la tête de l’office. Les esprits sagaces soupçonnent M. Douiri de “verrouiller“ un secteur où les intérêts sont captifs. Ce qui les conforta dans cette certitude c’est “l’élection-nomination“, récemment intervenue, de Fouad Chraïbi, un homme proche de M. Douiri, au poste de patron de l’observatoire du tourisme. Chargée de collecter les données de l’activité touristique auprès des professionnels, cette instance, prévue dans le contrat-programme, a été instituée avec beaucoup de retard. Étant donné son rôle stratégique car au cœur de l’information, l’observatoire a ceci de particulier qu’il doit être neutre et indépendant. Mais le ministre a tenu à ce qu’il soit domicilié au sein du ministère !
Celui qui contrôle les chiffres contrôle l’information. Cette vision centralisatrice du secteur, beaucoup la reprochent au ministre qui n’en a cure. Tout se passe comme si le pays vivait dans une bulle touristique. “Le réveil risque d’être brutal“, indique un hôtelier qui est loin d’être rassuré.
La réalité, elle, est tout autre. Marrakech est en train de saturer, Agadir de reculer. Quant à Fès, elle a du mal à décoller. Tanger, elle, on n’en parle même pas.

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