Economie

Colloque des Finances publiques à Rabat: Résoudre l’équation finances publiques vs pouvoirs politiques

© D.R

Selon M. Boussaid «les finances publiques ne doivent plus obéir à des considérations idéologiques et à des politiques populistes. Les finances publiques sont les finances de tout les Marocains».

Pouvoirs politiques et finances publiques: quels enjeux au Maroc et en France ? Voilà la question fondamentale à laquelle s’est attelée toute l’intelligence des finances publiques réunie à Rabat le week-end dernier. L’objectif de ce 10ème colloque des finances publiques est d’en analyser les enjeux au Maroc et en France. Organisée par le ministère de l’économie et des finances, l’Association pour la Fondation internationale de finances publiques (FONDAFIP), la rencontre constituait l’occasion de répondre à la question cruciale relative au lien étroit entre ces deux sphères de la décision publique. Une relation presque fusionnelle si bien soulignée par Noureddine Bensouda, le trésorier général du Royaume, lors de l’ouverture de ce rassemblement annuel : «Les finances publiques fondent la substance des pouvoirs politiques et elles constituent en cela un instrument privilégié d’analyse et de création des institutions».

• Le pouvoir exécutif prédomine l’exécution des lois de Finances

Pour le trésorier général du Royaume, trois aspects fondamentaux reflètent la relation entre finances publiques et pouvoirs politiques au Maroc. D’abord, «une apparente prééminence du pouvoir législatif dans le domaine des finances publiques». Il rappelle à cet égard que la Constitution de 2011 a attribué au Parlement davantage de pouvoirs, notamment à travers le droit d’information, le droit à l’amendement, la responsabilisation, le contrôle de l’action du gouvernement et l’évaluation des politiques publiques. Quant à la prééminence du Parlement, M. Bensouda affirme qu’un examen approfondi et minutieux de la pratique d’exécution des lois de Finances laisse apparaître plutôt une prédominance du pouvoir exécutif.

M. Bensouda attribue cela d’abord au fait majoritaire.

Etant donné que le gouvernement dispose de sa majorité au Parlement, les parlementaires ne peuvent remettre en cause substantiellement les projets de lois de Finances ou de loi de règlement, préparés et présentés par le gouvernement. Le second point est relatif au «droit d’amendement», et, selon M. Bensouda, «le droit d’amendement du Parlement demeure très limité». De même, la nomenclature budgétaire des dépenses ne permet pas très souvent au Parlement de connaître dans le détail la nature des dépenses ou l’organisme destinataire de certains transferts budgétaires. Le troisième point relève du «caractère évaluatif de certaines catégories de crédits qui d’un côté limite la portée de l’autorisation du Parlement et de l’autre, rend aisée l’action du gouvernement en matière de prévision et d’exécution de la loi de Finances».

• Les crédits du personnel limités dès le 1er janvier 2017

Les dépenses du personnel constituent une partie importante des crédits ouverts en 2015. A ce sujet le trésorier général du Royaume affirme que pour remédier à cette situation, le législateur a, dans le cadre de la loi organique relative à la loi de Finances, rendu limitatifs les crédits relatifs aux dépenses de personnel à compter du 1er janvier 2017.

D’autres points soulevés par M. Bensouda reflètent cette prédominance, notamment «la subordination de certaines dépenses des ministères au visa, accord ou autorisation préalable, bien que les crédits correspondant aient déjà fait l’objet de l’autorisation budgétaire du Parlement». Il y a aussi «la position de faiblesse des parlementaires par rapport à l’expertise technique et financière du gouvernement lors des discussions des projets de lois de Finances ou de loi de règlement» ; en plus de «la transformation» des crédits budgétaires au cours de l’année. Au Maroc, durant la période 2001-2015, les mouvements de crédits ont pris de l’importance, avec une forte accentuation à partir de 2009, où ils ont atteint un pic de 20,1 MMDH. Le dernier point n’est autre que celui de «la fréquence des recours aux dérogations pour satisfaire le plus souvent des intérêts personnels».

• Timing préélectoral : la raison d’abord

Le ministre de l’économie et des finances, M. Boussaid, n’a pas manqué de souligner que le colloque intervient dans «un timing caractérisé par l’ambiance préélectorale». En rappelant que les promesses électorales ne devraient pas se faire au détriment de la réalité des finances publiques. Il souligne également que «les finances publiques ne doivent plus obéir à des considérations idéologiques et à des politiques populistes. Les finances publiques sont les finances de tous les Marocains».

M. Boussaid a mis l’accent sur «l’origine du parlementarisme à travers le consentement à l’impôt». Ainsi, le système financier public est le reflet de l’organisation politique de l’Etat, du partage des pouvoirs entre les instances constitutionnelles, de la pratique institutionnelle, de la démocratie et de l’effectivité de l’Etat de droit.

Les finances publiques tendent, en raison de leurs effets sur les citoyens, à récupérer la place qui leur revient dans les débats politiques à la faveur notamment de deux points. Le premier concerne les réformes constitutionnelles consacrant de plus en plus de dispositions en relation avec les finances publiques. D’ailleurs la Constitution de 2011 a consacré plusieurs dispositions à la gestion des finances publiques, notamment à travers la responsabilité commune du gouvernement et du Parlement à veiller à l’équilibre des finances publiques, donc c’est une responsabilité partagée.

Le second point est lié à la loi organique relative à la loi de Finance (LOLF). Celle-ci met les finances publiques au cœur d’un nouveau mode de gestion publique fondé sur la performance et les résultats. La LOLF a été adoptée il y a pratiquement deux ans et est en cours d’exécution.

• Un levier majeur de la réforme de l’Etat

Les finances publiques constituent selon le ministre un levier majeur de la réforme de l’Etat, de l’édification du contrat social, du fonctionnement démocratique des institutions et de redistribution des richesses. Les finances publiques donnent par ailleurs leurs lettres de noblesse à la prééminence de Parlement en matière du contrôle du gouvernement en termes de choix stratégiques des politiques publiques, prenant en compte l’équilibre financier public, la mobilisation des ressources. De même, «l’évaluation des résultats par rapport aux objectifs et aux moyens engagés». Au regard des enjeux qu’elles recèlent, les finances publiques intègrent la complexité croissante du paysage social, économique et politique constitué d’une multitude d’acteurs et de jeux de pouvoirs et de rapports de force représentant des logiques différentes et des intérêts catégoriels divergents.

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Trois questions à Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume

ALM : Dix ans de coopération avec la France, en particulier la FONDAFIP, quel est l’objectif de ce 10ème colloque ?

bensouda-Noureddine-CFCIM-2013-10-07Noureddine Bensouda : L’objectif c’est toujours chercher l’amélioration. L’objectif c’est le partage du savoir (knowledge management) surtout pour nos ressources. Quand je dis nos ressources, il s’agit des ressources du Maroc, que ça soit au niveau du Parlement, du gouvernement, de l’administration, du citoyen, et ainsi de suite. Tout ça pour savoir comment évolue la connaissance et participer à l’enrichissement de cette connaissance. Lorsqu’une ressource humaine ou un capital humain est bien formé, il participe positivement à l’émergence du Maroc et à l’amélioration de la situation de nos finances publiques.

La Trésorerie générale a un rôle fondamental dans les finances publiques, celle-ci a entamé plusieurs réformes au cours des dernières années. Quels sont les prochains défis pour la TGR ?

Les prochains défis c’est une bonne comptabilité publique, une comptabilité à partie double, une comptabilité générale comme une entreprise, qui permet de savoir quelles sont les charges et les ressources de l’Etat, des collectivités territoriales. Comme vous le savez, nous traitons tout ce qui est relatif à l’Etat et collectivités territoriales, nous sommes à la base de l’information financière du point de vue des finances publiques. C’est ce qui permet au gouvernement de savoir exactement comment se réalisent les politiques publiques qui sont menées par le gouvernement.

Justement, où en est la réforme de la comptabilité publique?

On est en avance. Il y a le bilan de l’Etat qui a été mis en œuvre aujourd’hui. Au fur et à mesure, on est en train d’aller vers la comptabilité analytique, la comptabilité qui permet de savoir exactement quels sont les droits constatés, quel est le patrimoine de l’Etat, quels sont les engagements de l’Etat. Tous cela pour un meilleur pilotage des finances publiques.

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• La certification des comptes de l’Etat à partir de 2018

M. Boussaid a souligné que les finances publiques ne sont pas une finalité, c’est un moyen pour continuer le développement d’un pays, emprunter un cercle vertueux et améliorer les conditions de vie des populations.

Tout en rappelant la complémentarité entre la Constitution de 2011 et la loi organique relative à la loi de Finances, le ministre a souligné les réformes accomplies telles que la compensation et la réforme des retraites qui ont permis une certaine viabilité du système des finances publiques au Maroc. Au niveau territorial, il a évoqué le régime financier des collectivités territoriales. Ainsi, la Constitution a consacré les principes d’autonomie financière, de libre administration, de subsidiarité, de solidarité et de transferts des ressources en contre partie du transfert des compétences. Pour sa part, la loi organique relative à la loi de Finances a décliné les principes édictés par la Constitution, notamment en termes de transparence, de responsabilité, de partage de pouvoirs budgétaires et financiers, d’approches axées sur les résultats, la performance et la comptabilité patrimoniale avec la perspective, à compter de 2018, de la certification des comptes de l’Etat. Le ministre ajoute que «la loi organique relative à la loi de Finances est un grand acquis pour notre pays». Celle-ci a permis de contenir la dette, ne pas s’endetter à hauteur des investissements publics, d’avoir plus de transparence au niveau de l’élaboration de la conception et de l’exécution de la loi de Finances et de responsabilité au niveau de la transparence.

• Loi de Finances 2017 : Un déficit à 3%

Selon le ministre de l’économie et des finances, le risque de l’insoutenabilité était important il ya quelques années, ce qui a mis en danger l’équilibre global des finances au Maroc. M. Boussaid ajoute que le défi était de passer au-dessous d’un déficit de 5%, progressivement 4,6% en 2014 , et 4,3% en 2015. En 2016 nous serons à 3,5% et «nous sommes en train de préparer la loi de Finance 2017 sur un déficit de 2 à 3% que je considère raisonnable».

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Entretien avec Michel Bouvier, président de la Fondafip etdirecteur de la revue française des finances publiques

michel-bouvierALM : Quels sont selon vous les grands challenges que le prochain gouvernement devra soulever ?

Michel Bouvier : S’il y a un gros challenge c’est bien celui de la réussite de la régionalisation avancée. Le premier challenge a été la réussite de la réforme de l’Etat, le ministre de l’économie et des finances en a parlé lors de ce colloque, il y a eu le vote de la loi organique des finances, elle est en train de se mettre en œuvre, etc. La deuxième chose maintenant va être plus délicate, il s’agit de développer la décentralisation et la régionalisation avancée. pour cela il faut que les régions, les préfectures, les provinces, les communes, les municipalités aient les moyens. La grande question qui va se poser d’abord concerne les moyens qu’il faut donner aux collectivités locales. Est-ce qu’il faut des dotations, des subventions par l’Etat ou alors est-ce qu’il faut attribuer une fiscalité forte aux collectivités locales ? Il faut une autonomie suffisamment forte pour les collectivités locales. C’est un choix à faire, autonomie fiscale ou alors dotations de l’Etat, transferts d’Etat aux collectivités locales. De toute façon, la question fiscale va se poser. Parce que la fiscalité locale est une fiscalité qui pose problème au Maroc comme d’ailleurs en France.

Comment la fiscalité au niveau local pose-t-elle problème ?

Elle pose problème au regard des impôts existants qui, pour une partie d’entre eux, ne sont suffisamment pas recouvrés et puis des impôts qui nécessitent une réorganisation de la gouvernance de la fiscalité locale, c’est-à-dire une réorganisation de l’administration de la gestion de la fiscalité locale. Dans le contexte de la régionalisation avancée, on est obligé de se poser la question des finances publiques locales, donc celle de la fiscalité locale d’une part, quelle autonomie fiscale locale ; celle de l’emprunt, est-ce que les collectivités locales vont emprunter librement et des dotations. Est-ce que l’Etat a les moyens d’attribuer les dotations aux collectivités locales, ou alors dans ce cas-là est-ce qu’il doit leur laisser la liberté fiscale et donc chercher par elles-mêmes des solutions financières ? Il y a aussi une quatrième voie c’est entre la fiscalité, l’emprunt et la subvention, c’est ce qu’on appelle les sources de financement alternatives. C’est-à-dire essayer de voir s’il y a la possibilité d’établir des rapports avec le privé pour développer des opérations d’investissements des services publics, etc. Cela se fera beaucoup au Maroc, notamment dans le cadre des «Smart Cities» (villes intelligentes), et là il va falloir beaucoup d’argent.

En matière de coopération, quel sera l’apport de la Fondafip à ce sujet ?

Nous avons décidé de faire de ce colloque comme une sorte d’étape afin de totaliser ce que nous avons fait. Ce vers quoi nous nous engageons c’est un colloque tous les dix ans et trois semi-colloques chaque année sur des sujets d’actualité, les Smart Cities par exemple, et progressivement nous allons essayer d’aborder toutes les grandes questions.

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Leila Ouchagour

(Journaliste-stagiaire)

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