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Comment l’Inde voit son partenariat avec le Maroc

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ALM: Vous êtes en poste depuis trois mois seulement au Maroc. Quelles sont vos toutes premières impressions ? Shambhu S. Kumaran : J’ai été frappé par le sens remarquable qu’ont les Marocains de l’amitié et de l’hospitalité. J’ai visité beaucoup de villes et je continue encore pour essayer de découvrir et connaître encore mieux le pays.Quels sont à votre avis les domaines où le Maroc et l’Inde pourraient le plus profiter mutuellement du savoir-faire et de l’expertise ?Après la visite très réussie de Sa Majesté le Roi du Maroc en Inde en 2015, il y a un partenariat entre les deux pays qui est basé sur trois piliers. La coopération et le dialogue politiques ont été d’abord étendus à de nouveaux domaines importants comme la défense, l’espace, le partage et l’échange d’informations et de points de vue sur des dossiers internationaux et régionaux qui intéressent les deux pays. La coopération porte également et de plus en plus particulièrement sur les opportunités en Afrique et la coopération Sud-Sud que le Maroc déploie de manière réussie dans le continent. L’autre pilier important porte sur les relations économiques. Comme vous le savez, l’Inde est un grand importateur des phosphates et dérivés, notamment les engrais au regard de l’importance de l’agriculture et de la sécurité alimentaire dans notre pays. Et il ne s’agit pas seulement d’importer mais de développer toute la chaîne et valoriser ensemble les phosphates. Il y a aujourd’hui des joint-ventures entre de grands groupes indiens comme Birla et Tata et le Groupe OCP. Ce dernier investit lui aussi en Inde dans des sites de production.Qu’en est-il des entreprises indiennes au Maroc ?Des entreprises indiennes spécialisées dans l’industrie pharmaceutique sont déjà installées au Maroc. Elle produisent pour l’instant pour le marché local, mais elles devraient à terme exporter sur les marchés africain et européen. Les entreprises indiennes sont présentes dans d’autres secteurs comme l’automobile, le recyclage de plastique, le câblage, la fibre optique. Une grande entreprise indienne spécialisée dans la mise en bouteille de boissons gazeuses possède aujourd’hui un grand site au Maroc. Dans le tourisme, on peut citer aussi la grande enseigne indienne Oberoï qui s’apprête à ouvrir un hôtel à Marrakech.Pourquoi un géant comme Tata Motors n’est-il pas encore implanté au Maroc?Le Groupe Tata Motors a une représentation au Maroc et il est en train de prospecter les opportunités pour s’implanter commercialement. D’autres sociétés indiennes du secteur automobile sont présentes au Maroc à travers des entreprises partenaires marocaines. Ce qui est sûr c’est qu’il y a un manque de communication et d’interaction entre les sociétés indiennes et leurs homologues marocaines.Et c’est justement pour cela que l’un de nos objectifs est de développer ces relations et ces échanges d’informations en multipliant les visites et délégations d’hommes d’affaires de part et d’autre, les salons et les foires, les conférences et de manière générale les occasions de rencontre entre les deux parties.Ne pensez-vous pas qu’avec un marché domestique de plus d’un milliard trois cents millions de consommateurs, les entreprises indiennes pourraient finalement ne pas être intéressées par le marché marocain qui ne pèse que 34 millions ?Cette logique pourrait être vraie pour les petites entreprises. Les grandes entreprises indiennes sont implantées partout dans le monde, en Europe, aux USA et même en Afrique. Et le Maroc, à travers son emplacement, est un hub très intéressant pour les entreprises indiennes qui souhaitent adresser le marché africain. Et ce sont là des points majeurs sur lesquels l’ambassade d’Inde à Rabat compte se focaliser.Comment regardez-vous en Inde la stratégie déployée par le Maroc en Afrique ?Sous l’impulsion de SM le Roi, le Maroc s’est transformé en un véritable gateway pour l’Afrique. D’un autre côté, votre pays a connu manifestement des avancées extraordinaires en termes d’infrastructures, de transport, de logistique qui peuvent constituer une excellente base pour un co-développement avec l’Inde sur le continent africain.Quid de la possible concurrence et de la compétition entre entreprises indiennes et marocaines ?D’abord, la concurrence et la compétition sont une composante naturelle du monde des affaires et de l’économie. Les entreprises indiennes sont très ouvertes et prêtes à la concurrence et elles ne font jamais appel à des moyens détournés ou illicites pour espérer obtenir des contrats ou des marchés. D’un autre côté, et pour ce qui est de ses relations avec les pays africains, entre autres, l’Inde tient à ce que les pays bénéficiaires et partenaires soient toujours en première ligne et à ce que leurs besoins soient prioritaires. Je pense que la démarche du Maroc s’inscrit exactement dans la même ligne de conduite. Les deux pays sont tous deux des économies émergentes. Nous avons tous les deux développé de l’expertise et des démarches réussies en Afrique. Il est donc naturel qu’il y ait une coopération entre les deux pays.Quid du marché européen ?Le business en Europe en ce moment est très incertain avec tout ce qui s’y passe, notamment le Brexit, les difficultés qui planent sur le projet européen. Notre premier focus aujourd’hui est plus d’explorer les opportunités au Maroc et en Afrique. Mais à l’avenir, il est certain que l’expertise développée par le Maroc dans beaucoup de secteurs peut permettre à des entreprises indiennes d’adresser efficacement le marché européen et même le marché américain puisque le Maroc est aujourd’hui le seul pays en Afrique à avoir un accord de libre- échange avec les États-Unis. Les potentiels de cet accord devraient être exploités à l’avenir.Quel est le feedback que vous avez des entreprises indiennes qui opèrent déjà au Maroc ?Sur les 20 dernières années, on remarque l’environnement des affaires au Maroc qui a connu une amélioration et une ouverture qui a encouragé l’arrivée d’investisseurs et opérateurs mondiaux qui trouvent ici des infrastructures de haut niveau comme les autoroutes, le port Tanger Med, les voies ferrées. Le Maroc est d’ailleurs bien classé dans le Doing Business. Évidemment, il y a toujours des contraintes. On peut citer par exemple les procédures de visas pour ce qui est de la mobilité des compétences et des professionnels. En février dernier d’ailleurs, un accord a été signé entre le Maroc et l’Inde portant sur la facilitation des conditions d’obtention des visas de part et d’autre et spécialement pour la communauté des affaires.Concrètement, que peut apporter l’Inde au Maroc ?D’abord, l’Inde est un marché gigantesque qui devrait intéresser les entreprises marocaines. Les entreprises indiennes ont développé de l’expertise en termes d’innovation, de recherche et développement que les entreprises marocaines pourraient exploiter. D’un autre côté, les entreprises indiennes arrivent aujourd’hui à développer des process et des procédés, des technologies par leurs propres moyens locaux donc pas très coûteux.L’Inde n’est pas traditionnellement implantée en Afrique. Combien d’ambassades avez-vous sur le continent ?L’Inde a 29 ambassades en Afrique et 18 nouvelles vont être ouvertes prochainement dans les pays d’Afrique de l’Est mais aussi en Afrique de l’Ouest. Certes, historiquement le Maghreb n’a pas toujours été une région de prédilection pour l’Inde mais il y a aujourd’hui une conviction unanime que le Maroc est devenu un point focal incontournable en Afrique.Un dernier mot…Le discours que nous tentons aujourd’hui de tenir à l’égard des officiels marocains consiste à dire que le Maroc constitue pour nous un partenaire central en Afrique tandis que l’Inde apporte au Maroc des opportunités intéressantes en Asie. Il est important que les relations soient équilibrées entre le politique, l’économique, le commercial…Nous avons aujourd’hui une fenêtre qu’il faut exploiter pour élever le niveau de coopération entre le Maroc et l’Inde.

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