Economie

Dévaluation : Le faux débat

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Toute approche pour mieux comprendre la valeur externe du dirham doit être placée dans un cadre multidimentionnel.
La connotation nationale attachée à chaque monnaie traduit certes, sur le plan politico-juridique, le droit de tout pouvoir souverain d’émettre sa propre monnaie ayant seule le pouvoir libératoire sur tout le territoire de son ressort et ce chaque fois qu’il y a monétisation (action d’attribuer une valeur monétaire…) par une institution monétaire en faveur d’agents non monétaires, de créances sur l’économie, sur l’Etat ou sur l’étranger. Mais ladite connotation, spécifie, en outre, qu’une monnaie ne quitte jamais son pays d’émission du fait qu’elle ne peut être gérée que par le circuit bancaire national ou dépendant des Banques centrales fédérales ou communautaire et ce qu’elle soit détenue dans des comptes de résidents ou de non-résidents.
Les sources de création monétaire au Maroc font ressortir sur une base annuelle (avril 2004 – avril 2005) une évolution saine, avec une prédominance des avoirs extérieurs nets (+16%), une expansion notable des crédits à l’économie (+12,5%) et une contraction des concours nets à l’Etat (presque 13%), ces indications chiffrées intègrent déjà les effets d’un certaine spéculation (empressement pour régler les importations quitte à emprunter auprès des banques, attentisme pour rapatrier le produit des exportations…), comportement entretenu par une campagne de désinformation, le FM1 n’ayant pas préconisé de réaménager la valeur du dirham. Les statistiques enregistrées durant les quatre premiers mois de l’année en cours (janvier – avril 2005) portent la marque de ces turbulences, puisque les avoirs extérieurs nets ne se sont accrus durant cette période que de 5,1%, alors que les créances sur l’économie ont fait un bond en avant de +17,50% et que les concours nets à l’Etat ont continué à diminuer (-13,8%).
En considération d’autres données tels un taux d’inflation parmi les plus modérés dans notre environnement économique international, respect des équilibres fondamentaux dont une balance des paiements positive et un déficit budgétaire correctement financé somme toute Compte tenu également des perspectives d’avenir tels les infrastructures de base dans le monde rural, port de Tanger sur la méditerranée, construction de 100.000 logements par an, nouvelles unités hôtelières et industrielles etc… il y a lieu de conclure que nous sommes en train d’édifier un appareil de production de plus en plus moderne et compétitif offrant des emplois plus sûrs et mieux protégés socialement.
Outre une mondialisation qui avance rapidement, comment faire face à d’autres forces exogènes d’une intensité imparable.
La réouverture du marché des changes international en décembre 1958 a mis fin à un certain nombre de pratiques tels les zones monétaires et les accords de paiement… et a amorcé la multilatéralisation des règlements internationaux. Les monnaies introduites alors aux côtés du dollar (celles du Royaume-Uni, la Fance, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, la Hollande, la Suède…) ne bénéficient de l’article 8 du FMI libérant les paiements courants qu’en février 1961. Le Japon n’y souscrit qu’en 65, l’Espagne en 86 et le Portugal en 88. Le Maroc a suivi ce mouvement en 93 quelques mois après la Grèce.
Cette décision renforce la convertibilité externe dont bénéficiaient depuis 1988 les non-résidents, les MRE et les étrangers résidant dans notre pays. Tous avaient la liberté d’y investir dans de nombreux secteurs et le droit de retransfert du principal du bénéfice et de la plus-value pour tout apport en devises.
– L’abolition du système des parités fixes (fin 1971) avec son corollaire la démonétisation de l’or (1976) va instituer un flottement généralisé des monnaies, lesquelles n’ayant plus d’étalon de référence, se détermineront les unes contre les autres.
– La démantèlement des restrictions de change sur les opérations en capital, a été plus laborieux. Si les Etats-Unis ont été les précurseurs, l’Allemagne n’a accédé à la convertibilité intégrale qu’en 1975, le Royaume-Uni en 79, la France, suite à l’insistance de la CEE en 90 et l’Espagne en 92.
L’expansion spectaculaire de ce marché international des capitaux s’explique également par l’intrusion des firmes internationales et des investisseurs institutionnels ainsi que par l’usage d’innovations financières, c’est-à-dire de supports de financement désintermédiés et mobilisables (en fonction des notations), d’où une circulation libre de l’épargne, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières, d’autant plus que les produits dérivés (option, swaps…) offraient des réponses adaptées au risque de change.
Ainsi, le marché des changes international après avoir intégré toutes les mutations, y compris les mouvements de capitaux de toutes natures, les progrès technologiques en matière de télécommunication, la hiérarchisation des monnaies traitées avec à leur tête le dollar et l’euro, va, grâce à son gigantisme (presque 1.400 milliards de dollars par jour) et à l’exception de quelques cours fixés autoritairement comme en Chine (le yuan = 8,25 dollars) mesurer seul la valeur externe des monnaies, soit directement pour celles qui y sont traitées, soit indirectement pour les monnaies rattachées à des monnaies cotées (satellisation) ou pour celles définies par un panier constitué de monnaies cotées. L’on distingue le panier DTS et le panier composite structuré par chaque pays selon les spécificités de ses échanges. Sur ce marché, les opérateurs n’obéissent pas toujours à des motivations rationnelles (différentiel de croissance, de taux d’intérêts ou d’inflation), ce qui donne lieu à des fluctuations de forte amplitude, par exemple, l’euro est passé entre janvier 1999 et le milieu de 2001 de 1,19 dollar à 0,83 dollar soit une chute de l’ordre de plus de 30%. Depuis lors, l’euro a suivi une courbe haussière pour s’inscrire à 1,19 dollar il y a quelques jours (après avoir atteint 1,35 dollar).
Ces mouvements de cours se communiquent à toutes les monnaies du monde entraînant un déphasage entre les cours effectivement enregistrés et l’évolution d’indicateurs économiques et financiers (équilibres macro-économiques, inflation…). Aucune monnaie ne se trouve plus cotée sous sa vraie valeur théorique, il n’y a plus que des situations d’appréciation ou de dépréciation.
Le Maroc a dès le départ (début 1973) préféré à la définition par les DTS, l’ancrage à un panier composé à l’origine en trois parts : dollar, franc français, autres monnaies occidentales.
Ce panier aura à accompagner la politique d’investissements étatiques suscitant déficits budgétaires et endettement extérieur et ce jusqu’en juillet 1983 date du début du programme d’ajustement structurel imposé par le FMI et dont la vigueur va se traduire par une série de dévaluations se terminant en septembre 1985 et totalisant une baisse globale de 45%.
Après une autre dévaluation intervenue en mai 1990, le même panier accompagnera durant la décennie 90 une politique anti-inflationniste et de réformes visant une libéralisation et une marchéisation dans tous les domaines (distribution du crédit, épargne, change, déprotection douanière…). L’instauration dans notre pays d’un marché des changes inter-bancaire, en juin 1996, a représenté un mécanisme plus libéral pour appliquer le panier définissant le dirham, les banques marocaines ayant de ce fait toute latitude d’arbitrer à l’étranger devise contre devise et de sawaper devises contre dirham. Le dernier ajustement de la valeur externe du dirham (avril 2001) revêt un intérêt particulier : tout d’abord le mouvement profond d’une ampleur jamais vue, qui a secoué le marché des changes international et bouleversé le panier dirham (hausse du dollar et baisse de l’euro), a engendré mécaniquement, sans relation avec un quelconque indicateur, un repli de notre monnaie vis-à-vis du dollar et son appréciation (c’est-à-dire une sur-révalution) à l’égard de l’euro. D’où des difficultés pour des secteurs d’exportation déjà fragilisés. Le correctif apporté a consisté de réduire au sein du panier le taux de pondération de la composante en tendance haussière (le dollar) et de relever d’autant le taux de pondération de la composante en trend baissier (l’euro). Cette opération s’est traduite par une dévaluation de l’ordre de 5%. La deuxième signification de cet ajustement tient précisément à sa modicité car il fallait prendre en considération l’évolution rapide du marché des changes international avec éventuellement un retournement de ses tendances comme il convenait de tenir compte des contraintes que représentent les approvisionnements en produits de première nécessité et de matières premières ou les remboursements de l’endettement extérieur.
De même, les gouvernants ne pouvaient oublier l’effet renchérissement des importations consécutif à une réduction non justifiée du pouvoir d’achat d’une monnaie.
Lors de la conjoncture actuelle, les points suivants méritent d’être soulignés. La situation est complètement différente de celle de 2001, alors que la configuration de la structure de nos échanges extérieurs reste la même, cela veut dire que la baisse du dollar (avec une appréciation mécanique du dirham à son égard) favorise les importations libellées en dollar (pétrole, biens d’équipement, certaines matières premières, quelques produits alimentaires) ainsi que les remboursements d’une partie de l’endettement extérieur, la hausse de l’euro (avec une dépréciation mécanique moins nette du dirham à son égard) favorise les exportations traditionnelles libellées en cette monnaie… sauf en face de pays hors concurrence telle la Chine. Ce serait une illusion que de croire qu’une variation du taux de change, quelle que soit son importance, pourrait contrer le pays sus-visé. Comme il serait irresponsable de renchérir et le dollar et la facture pétrolière, le baril étant déjà à + de 60 dollars. Quoi qu’il en soit, il faut élargir notre vision pour l’avenir.
Depuis l’avènement de l’euro (janvier 1999), il y a similitude des composantes entre le panier DTS et le panier d’ancrage du dirham (dollar, euro, yen, sterling), quoique les taux de pondération diffèrent. Comme il est à constater que ce régime de change international n’apporte plus aucun moyen pour amortir les fluctuations sans limites du marché des changes international, ce qui risquerait de créer des émules des monnaies aussi dissemblables que la riyal saoudien et notre dirham.
La solution de la fixité n’est pas viable car toute satellisation à l’euro, par exemple, ferait renoncer à toute politique monétaire autonome. L’autre hypothèse c’est la flexibilité option où la valeur externe du dirham résulterait d’une confrontation directe aux autres monnaies avec toutes les incidences que cela suppose.
En matière de gestion du taux de change, il n’y a pas de solution magique, autrement les grandes puissances en auraient fait usage au lieu d’assister les mains liées aux fortes variations affectant leurs monnaies respectives. Il va de soi par ailleurs, qu’en référence aux exemples historique du passé, il ne s’avère pas nécessaire qu’une monnaie à introduire sur le marché des charges international bénéficie déjà de la convertibilité intégrale. En revanche, trois préalables s’imposent :
Un appareil de production performant et compétitif;
La réalisation de réformes structurelles destinées à parfaire la marchéisation;
Une politique monétaire cohérente et crédible.

Par Mohamed Benjelloun
Ancien directeur de l’Office des changes

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