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La fiscalité des produits islamiques sera-t-elle réellement «halal»?

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Il y a encore fort à faire pour lancer cette industrie dans de bonnes conditions[box type= »custom » bg= »#eeedeb » radius= »5″]

L’une des principales raisons de l’échec de la précédente génération de produits islamiques, dits alternatifs, lancés en 2008, est le régime fiscal inadapté qui induisait une double imposition de ces opérations.

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La fiscalité est l’un des points les plus épineux qui restent à traiter avant le lancement des futures banques islamiques. L’enjeu est de taille, sachant que l’une des principales raisons de l’échec de la précédente génération de produits islamiques, dits alternatifs, lancés en 2008, est le régime fiscal inadapté qui induisait une double imposition de ces opérations. Cela a fait que les solutions islamiques sont constamment restées plus chères que les produits conventionnels pour la clientèle. Au passage, cela est loin d’être une particularité du Maroc, vu que ces financements ont pâti d’une fiscalité perçue comme inéquitable dans plusieurs autres pays, rappellent les spécialistes. Pour la deuxième tentative, les pouvoirs publics ont pris le taureau par les cornes et ont introduit un ensemble de dispositions visant à garantir une équité entre les produits participatifs et les solutions classiques. Des mesures spécifiques ont ainsi été introduites dans le Code général des impôts dans le cadre de la loi de Finances 2016, concernant Mourabaha et Ijara Mountahya Bitamlik.

Pour rappel, la première solution consiste en un contrat par lequel une banque vend à son client un bien meuble ou immeuble qui lui appartient à son coût d’acquisition (prix d’achat et frais d’acquisition), augmenté d’une marge bénéficiaire, ainsi que défini par Bank Al-Maghrib dans une circulaire qui paraîtra bientôt au Bulletin officiel, détaillant les caractéristiques techniques des solutions participatives. La seconde solution, quant à elle, consiste en un contrat par lequel un établissement met, à titre locatif, un bien lui appartenant à la disposition d’un client, qui a la possibilité d’en faire l’achat. Ces solutions sont aujourd’hui alignées sur le traitement fiscal des produits conventionnels comparables, en termes de TVA, d’impôt sur le revenu,  de droits d’enregistrement, d’imposition du profit foncier ou encore en matière de droits sur les contrats. Reste à traiter le cas des autres solutions qui devraient figurer dans le catalogue des futures banques participatives, qui en l’état actuel des choses n’auraient aucune chance face à leurs homologues dans la finance classique.

Notons qu’à travers les dispositions déjà introduites et vraisemblablement celles à venir, le Maroc s’est contenté du strict minimum, ainsi que l’observent les experts, puisqu’il n’est question que d’assurer la neutralité fiscale pour la finance participative en conformité avec les principes fondamentaux d’égalité et d’équité de l’impôt. Il n’est pas ainsi pour l’heure question d’une fiscalité incitative de nature à encourager le développement du produit financier islamique, comme cela a pu être mis en place dans d’autres pays.     

Mais au-delà, certains experts s’interrogent si tout est bien mis en œuvre pour que le cadre fiscal en phase d’être mis en place soit pleinement conforme à la charia.
«Le nœud du problème est que les dispositions fiscales qui doivent encadrer la finance participative au Maroc assimilent les produits de finance islamique, aux solutions bancaires conventionnelles», résume un spécialiste. «Par cette assimilation, l’on reconnaît implicitement que les produits financiers islamiques ne sont qu’un habillage des crédits conventionnels», estime-t-il. Au lieu de cela, certains professionnels estiment qu’il aurait fallu réfléchir à un cadre qui s’adapte non seulement à la structuration financière du produit, mais le plus important à l’esprit de la charia.

Des problèmes à résoudre

Le principe est qu’étant donné que la finance islamique est basée sur des actifs tangibles il convient d’appréhender correctement le traitement fiscal de ses transactions, eu égard à la fiscalité des transactions et à l’imposition des plus-values de cession. La problématique du traitement fiscal inadapté se pose d’abord pour le contrat Mourabaha. De par le principe de la TVA, la totalité du prix de revente dans le cadre de ce contrat doit être soumise à cette taxe. Aussi, la totalité de la plus-value de cession (marge de la banque) doit être soumise à l’impôt sur les sociétés, et constatée lors de l’exercice de la vente. Or ne soumettre que la marge bénéficiaire de la banque à la TVA considérant qu’elle s’apparente aux intérêts d’un prêt conventionnel, est non compatible à la Charia, de l’avis des spécialistes. Une deuxième problématique se pose pour Moudaraba. Celui-ci consiste en un contrat de société en commandite mettant en relation une ou plusieurs banques (Rab el Mal) qui fournissent le capital en numéraire et/ou en nature et un ou plusieurs entrepreneurs (Moudarib) qui apportent leur travail en vue de réaliser un projet, ces deux partenaires se partageant les bénéfices réalisés, selon une partition convenue à l’avance.

La problématique fiscale de ce produit est liée principalement au traitement des revenus perçus par les investisseurs. On se demande s’il s’agit de les considérer comme revenus professionnels ou comme revenus de capitaux mobiliers. Pour compliquer les choses, une norme de l’AAOIFI (organisme chargé de l’élaboration des standards comptables pour la finance islamique) établit que les produits Moudaraba ne sont ni des titres de créances ni des titres de capital, ils sont un produit financier hybride. Un dernier problème se rapporte aux sukuks, équivalents des obligations dans la finance islamique. En raison du montage de ces opérations, et de leur articulation autour de 3 intervenants que sont les gestionnaires de ces opérations, les porteurs de titres et l’initiateur, les problématiques fiscales sont diverses. Entre autres zones de flou, la classification des revenus servis par les sociétés gestionnaires aux porteurs de sukuks. «Sont-ils assimilés à des revenus professionnels ou des revenus de capitaux mobiliers ou des revenus liés à la catégorie du sukuk (par exemple revenus locatifs lorsqu’il s’agit de sukuks Ijara», s’interrogent les spécialistes. Des interrogations entourent aussi la fiscalité des gestionnaires eux-mêmes, pour savoir si les profits qu’ils réalisent, par ailleurs permis par la charia, doivent être imposés entre leurs mains.

Quand on sait que la fiscalité n’est qu’une pièce du puzzle à compléter pour boucler le cadre de la finance participative au Maroc, on comprend que les pouvoirs publics aient encore fort à faire pour lancer cette industrie dans de bonnes conditions.

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