Economie

La Schizophrénie de l’Etat

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ALM : La circulaire du ministre des Finances et de la Privatisation intervient pour tenter de résoudre un problème vieux de plusieurs années. Quelles sont les origines de ce malaise lié aux crédits jeunes promoteurs ?
Dr Saâd Benmansour : Le crédit Jeunes promoteurs a vu le jour dans les années 87, date où l’effort de réforme structurelle mené par l’Etat, dicté par les instances internationales comme le Fonds monétaire international et la Banque Mondiale, allait dans le sens du délaissement de l’emploi par l’Etat des jeunes diplômés. L’Etat a choisi comme alternative la promotion de l’auto-emploi. L’attention a été particulièrement portée aux lauréats issus des établissements de formation professionnelle. La loi 16-87 sur le crédit jeunes promoteurs a été adoptée. Cet article de loi stipulait que tout jeune lauréat ayant un projet pouvait contracter un crédit dont le montant pouvait aller jusqu’à 500.000 dhs. Le financement de ces crédits s’effectuait à hauteur de 65 % par l’Etat, 45% par les banques et 10% par le jeune promoteur. Cet article de loi était également accompagné d’une série de mesures, accordant plusieurs avantages fiscaux à l’entrepreneur. Il s’agit notamment de l’exonération de la TVA et des frais de douane sur le matériel d’exportation et de l’exonération des timbres fiscaux, dont la valeur pouvait atteindre plusieurs milliers de dirhams. Quelques mois après, et afin de faire bénéficier également les lauréats des universités marocaines, l’Etat a revu cet article, ouvrant l’accès à ces derniers à ces crédits. L’article 36-87, modifiant le précédant stipulait que, désormais, tous les lauréats pourraient accéder à ces crédits, dont le montant pouvait atteindre un million de dirhams.
Tout cela paraît positif. Qu’est-ce qui a donc changé ?
Les lauréats des universités et les opérateurs travaillant dans le secteur de la santé constituent la plus grande partie des bénéficiaires de ces crédits (70%). L’esprit de cet article de loi a été biaisé. Conscientes qu’une telle démarche était des plus rentables pour elles, les banques gèrent, elles-même, les dossiers. Les études prévisionnelles sont effectuées sans l’avis du jeune promoteur. Les garanties sont des plus faibles et ne comprennent ni assurance-maladie, ni invalidité (la seule assurance prise en ligne de comptes est celle du décès). Le choix de l’assureur est du ressort de la banque et non le promoteur. Les échéances de l’Etat et des banques ne prennent pas en considération l’évolution des projets. A partir de 1994, ce même article de loi a été également revu. La part des banques dans les projets d’investissement a été rehaussée pour atteindre 45%, celle de l’Etat a été revue à la baisse et elle tourne actuellement autour de 55% (13-14-1994). D’autant que, concernant tout le matériel acheté, le promoteur ne reçoit pas d’argent. Le chèque est au nom du fournisseur. Résultat : le promoteur ne peut pas tirer profit des avantages fiscaux mentionnés ci-haut.
L’Etat a donc repris d’une main ce qu’il a prêté de l’autre…
A cela, s’ajoute l’anarchie du système de santé, marqué par la non-application des lois, le cumul des fonctions, la concurrence qu’opposent les polycliniques qui font que le jeune promoteur dispose de peu, ou pas, de marge de manoeuvre. A partir des 1997-1998, les premières difficultés ont commencé à se manifester. Pour l’Etat, saisi dès lors des problèmes à venir, ce n’étaient que des cas isolés dont l’échec relevait de l’incompétence des promoteurs qui en avaient la charge. En 2002, les dossiers en souffrance s’élèvent à 8000, dont 70 % dans le secteur de la santé.
Quelles sont les démarches entreprises pour résoudre cette crise?
L’Alliance nationale de la santé libérale s’est proposée de jouer un rôle d’intermédiaire entre les jeunes promoteurs, d’un côté, et l’Etat et les banques de l’autre. Nous cherchons d’abord à prouver la bonne foi des jeunes promoteurs, qui ne cherchent pas d’amnistie. Tout ce qu’ils revendiquent, c’est que les paiements soient conséquents à leurs capacités réelles. Nous avons dans ce sens élaboré une étude sur la base de 1200 cas. Il en ressort que 40% de la dette est d’ores et déjà payée, avec une moyenne de remboursement allant de 1000 à 3000 DH par mois. L’étude prouve également que les problèmes posés pourraient être réglés dans un délai de 8 ans si les revendications des promoteurs sont pris au sérieux. Présentée dans un premier temps à la Direction des crédits et Investissement relevant du ministère des Finances, cette étude a également été communiquée aux banques. L’Etat s’est, pour sa part, engagé à procéder à un rééchelonnement des crédits sur une durée de 15 ans. Ce que nous n’avons pas manqué d’applaudir. Mais cette décision, trop technique pour être globale, ne concerne que 250 dossiers sur le total de 1200 dossiers qui devaient être traités. L’Etat doit également intervenir au niveau des banques. Plus 80% des dossiers jeunes promoteurs en souffrance le sont au niveau de leurs crédits avec les banques. Nous demandons un rééchelonnement sur la base du même principe avec ces banques. Ceci, avec l’application de l’article 16-87 et les avantages fiscaux qu’il implique et une assurance-maladie et invalidité.
Autrement ?
Si ces affaires partent en justice, c’est l’Etat et les banques qui seront perdants. Et même si ce n’est pas le cas, la reprise d’un matériel vieux de 15 ans et plus ne profiterait à personnes. Cette situation témoigne de la schizophrénie de l’Etat qui affiche la volonté d’encourager l’auto-emploi mais qui, sur le terrain, bloque son développement. Ce n’est pas le cas de pays voisins, comme la Tunisie, où le jeune promoteur peut bénéficier d’un prêt à 100% étatique, avec un délai de paiement allant jusqu’à 5 ans et un échelonnement établi sur la base du rendement. Le système doit être partie prenante dans l’entreprise.

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