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Le post Covid-19 ou les signes de rupture économiques et géostratégiques

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Entretien avec Abdelghani Youmni, économiste et spécialiste des politiques publiques dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée (PSEM)

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«L’ordre de priorité est de construire une souveraineté économique et industrielle régionale, basée sur le codéveloppement, l’avantage comparatif, la diversification et la relocalisation des chaînes de valeur, la consommation responsable écologique et durable».

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L’impact de la crise sanitaire bouscule non seulement les projections financières mais également les modèles économiques, et ce, à l’échelle du globe. Au Maroc, les mesures gouvernementales ont été prises certes pour maintenir le cap, il s’agira, cela dit, d’anticiper pour tirer les enseignements d’une pandémie qui change bien de données. L’auteur de l’ouvrage «Le Maroc et ses riverains méditerranéens», Abdelghani Youmni, nous livre son opinion sur l’après-pandémie au Maroc et les approches à adopter plus tard.

ALM : Quels sont les principaux secteurs sinistrés par le Covid-19 qui devront être suivis de très près pour rééquilibrer les agrégats économiques du pays ?

Abdelghani Youmni: Le PLF 2020 s’est construit autour de 5 hypothèses, désormais réfutées par l’épidémie due au coronavirus. Déjà, le taux de croissance, estimé auparavant à 3,7%, devra être revu à la baisse, en raison de la sécheresse, de la pandémie, et du gel du secteur touristique. La récolte céréalière qui avait été évaluée à 70 millions de quintaux sera largement inférieure et donc cette hypothèse n’est plus d’actualité. Troisième point, le cours de butane, à 350 dollars, a baissé de 22%, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. De son côté, le baril est à moins de 28 dollars mais la consommation est quasi à l’arrêt. La quatrième hypothèse est liée à la dépréciation du dirham, face au dollar évaluée, aujourd’hui, à 18,7%. Enfin, la demande internationale qui avait été estimée à +3,5% connaîtra, certainement, une décrue. Les secteurs qui subiront des externalités négatives seront, prioritairement, les nouvelles et anciennes locomotives de l’économie marocaine, à savoir celui de l’automobile, du tourisme, de l’industrie des phosphates, de l’industrie aéroportuaire, du transport aérien et de l’aéronautique. Les PME de services et de commerce hors alimentation, les circuits informels de l’économie populaire et les artisans et le monde rural seront aussi, lourdement, impactés pour cause d’inactivité.

Est-ce que Bank Al-Maghrib pourra maintenir le taux de 2% en matière de règles prudentielles après le Covid-19 ?

C’est une évidence que de le maintenir face à cette crise. La baisse du taux directeur permettra de sauver les entreprises et restaurer la confiance. Elle pourra réduire la pression sur la dette publique, sur le financement du déficit budgétaire tout comme sur les coûts d’emprunt et les taux d’intérêt pour les ménages et les entreprises. Le Covid-19 constitue un vrai choc sur les outils de production «capital et travail», sur le marché de l’emploi et la distribution des revenus. Bank Al-Maghrib qui est devant une crise sanitaire inédite a décidé de tripler les capacités de refinancement des banques, qui doivent, à leur tour, faire preuve d’audace et d’innovation pour réussir le sauvetage des opérateurs de l’économie nationale.

Pensez-vous que l’on sera amenés à utiliser la ligne de précaution de liquidité accordée par le FMI ?

La Ligne de précaution et de liquidité accordée par le FMI au Maroc est de 2,97 milliards de dollars pour deux années. Il s’agit d’une assurance utile pour des chocs extérieurs comme celle que nous vivons aujourd’hui. Les rapports élogieux du FMI sur les progrès du pays en matière de gouvernance et de réduction des vulnérabilités macroéconomiques ne sont pas que des flatteries. L’exception marocaine est réelle de même que son leadership continental. Pourtant nombreuses sont les attentes du FMI et de la Banque mondiale quant à la modernisation du marché du travail, la poursuite de l’amélioration des scores Doing Business et la réduction du chômage des jeunes.
Le Maroc a levé un peu plus 1 milliard de dollars sur le marché international, en novembre 2019. Sa dette extérieure avoisine 114 milliards de dollars, soit 29,5% du PIB. Elle n’est pas abyssale.
A mon avis, le Maroc ne doit utiliser cette ligne que si les répercussions sur les réserves en devises deviennent insurmontables. Cette manne permettra dans ce cas au pays d’amortir les chocs exogènes de baisse de la demande extérieure et ses conséquences sur le marché de l’emploi. Le Maroc devra réduire drastiquement ses importations et compter sur le faible niveau de son inflation et sur la chute des cours du baril de pétrole et du gaz butane qui impacteront, positivement, la facture énergétique et la Caisse de compensation.

Quels seraient, selon vous, les principaux axes sur lesquels le pays devra concentrer ses efforts pour accroître rapidement sa production et limiter ainsi ses importations ?

Cela nécessitera une vraie modélisation de notre ADN socioéconomique. Le progrès et le décollage en temps de coronavirus ne se décrètent pas. Le monde est dépendant de la Chine. Le Maroc aussi. La Chine a donné naissance au capitalisme d’Etat. Elle est à la fois la fabrique du monde et le prêteur en dernier ressort des Etats-Unis.
A mon avis, il faudra miser tous ensemble sur la proximité L’Europe est développée mais vieillissante et le sud de la Méditerranée plus jeune mais moins avancé. L’ordre de priorité est de construire une souveraineté économique et industrielle régionale, basée sur le codéveloppement, l’avantage comparatif, la diversification et la relocalisation des chaînes de valeur, la consommation responsable écologique et durable.
Il faut changer de cap. En 1960, la planète comptait 2,5 milliards d’habitants. En 2020, elle abrite 7 milliards d’individus qui seront dénombrés à 9 milliards en 2050. Le choc climatique est dévastateur mais le plus à craindre est la bombe démographique non désamorcée en Afrique. Cela nécessite d’urgentes transitions démographique et démocratique. Le ralentissement de l’urbanisation devra également être envisagé pour éviter de pires crises migratoire, nutritionnelle et énergétique.

Selon vous, les accords de libre-échange devront-ils être renégociés ?

La question est centrale. Ce ne sont pas seulement les accords de libre-échange qu’il faudra renégocier mais toute la structure du partage de la valeur ajoutée en amont et en aval. L’idéal dans le post Covid-19 est de cesser d’importer des autres ce qui est possible d’être produit localement. La mise en place d’une fiscalisation progressive du revenu serait aussi à envisager. Les politiques publiques devront se concentrer sur les mécanismes de financement par l’impôt des secteurs vitaux de la société comme l’éducation, la santé et la culture.

 

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