Economie

Othmane Sekkat : L’export c’est le prix

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ALM : Avec la déferlante chinoise, et à la lumière du débat opposant la super-puissance asiatique à l’Europe, pensez-vous que le textile marocain à toujours de l’avenir ?
Othmane Sekkat : Pour expliquer ce qui se passe actuellement dans le secteur textile, de par le monde, je vous donnerai un exemple très simple : celui du coût d’une même pièce ici et ailleurs. Si la Chine fabrique cette pièce à 10 dollars, celle-ci coûterait plus de 30 dollars en Europe, coût de la main-d’œuvre oblige. Au Maroc, elle coûterait 17 dollars. La raison n’est autre que les charges liées non pas au produit lui-même, mais celles que l’Etat nous oblige à payer et qui équivalent à 70% du prix de revient. Sans parler de la valeur du dirham, car cela relève d’un autre débat. Et si la prise de conscience des autorités européennes quant aux dangers qui guettent le secteur commence déjà à apporter ses fruits, nos responsables continuent à croiser les bras. Nous avons pourtant un secteur qui, à un certain moment de l’Histoire récente du pays, employait, entre emplois directs et indirects, quelque 500.000 personnes. Un secteur qui générait des milliards en devises chaque année. Mais qu’est-ce qu’on a fait pour ce secteur, à part poser toutes les entraves possibles et imaginables devant son évolution.

Quelle est la part de responsabilité de l’Etat marocain dans le marasme que vit le secteur actuellement ?
Nous avons plus d’un atout à faire valoir pour tenir tête à la Chine. A la proximité géographique du Maroc vis-à-vis de l’Europe s’ajoute la série d’accords de libre-échange qui nous lient avec de grands marchés. Nous avons une qualité de fabrication qui nous vaut à chaque livraison les félicitations des donneurs d’ordres. Nous avons une main d’œuvre d’une qualité exceptionnelle. L’industrie textile marocaine est aussi une industrie très réactive. En Chine, les donneurs d’ordres doivent attendre 10 mois, entre la date de la commande et celle de la livraison. Ce qui nous manque, c’est une politique d’Etat qui soit capable de contribuer à ce que ces atouts soient optimisés et des facilités à même d’aider nos produits à s’exporter. Ce qui n’est pas le cas. On s’est contenté d’élaborer des projets de relance et autres contrats-programmes aussi inappropriés que vides de toute substance.

Ne pensez-vous pas que les industriels marocains, qui n’ont pas su suivre l’évolution du secteur, sont aussi responsables ?
Tout ce qu’on demande à un industriel de faire, c’est de fabriquer un bon produit, de recruter des compétences et de la main-d’oeuvre et de participer au développement économique du pays. La politique, les stratégies relèvent de la mission de l’Etat. Que celui-ci nous donne les mêmes avantages que ceux accordés par l’Etat chinois à ses industriels et je peux vous garantir que toutes les pertes enregistrées jusqu’ici ne seront qu’un mauvais souvenir. En attendant, la gestion dont le secteur fait l’objet, les taux bancaires excessifs, les cotisations à la CNSS, qui n’atteignent même pas leurs destinataires, continuent d’en finir avec le textile marocain.

Les officiels, à leur tête le ministère de tutelle, prônent désormais une autre approche, celle d’un textile haut de gamme. Qu’en pensez-vous ?
Ceux qui tiennent ce discours sont ceux-là mêmes qui partageaient nos points de vue du temps où ils étaient de l’autre côté de la barrière. Maintenant, on veut faire de nous des «Versace» et des «Pierre Cardin». Mais comment peut-on opérer une telle transformation, alors que les industriels marocains avaient une moyenne de 10.000 pièces fabriquées par jour ? Avec quelle baguette magique peut-on développer un secteur avec 100 ou 200 pièces « signées » et quelles marges peut-on espérer par la suite ? Je pense qu’un tel discours n’est fait que pour rejeter la faute sur l’autre et se faire une image sur le dos de ces milliers de gens qui chôment actuellement, à cause de leur mauvaise gestion, en nous demandant de devenir stylistes du jour au lendemain.

Des sociétés étrangères, suivant une logique de niches, ont pourtant procédé à des augmentations de capital au Maroc. C’est le cas de Setavex…
Si de telles sociétés trouvent leur compte au Maroc, c’est parce qu’on leur déroule le tapis rouge quand elles s’installent, avec toutes les facilités qu’on peut imaginer. C’est aussi parce qu’elles tablent sur des marchés avec 0% des droits de douane. D’ailleurs, ce n’est pas une règle applicable à tous puisqu’on assiste parallèlement à ces implantations à des fuites de sociétés étrangères qui préfèrent désormais s’installer ailleurs. Nous, il faut qu’on continue à ramer.

La bataille est-elle perdue ?
Nous pouvons le plus facilement des mondes récupérer nos donneurs d’ordres. Mais en export, la seule règle est celle du prix. Et nous restons chers par rapport non seulement à la Chine, mais aussi à des pays comme la Tunisie et l’Egypte. Nous sommes chers parce qu’à nos prix de revient il faut rajouter 100% de mauvaise gestion qui a traversé le secteur tout au long de ces dernières années et qui a conduit au véritable désastre que nous vivons aujourd’hui. Il nous faut des prix raisonnables à offrir. Et pour le faire, il faut nous alléger de toutes ces lourdeurs fiscales qui grèvent le secteur. Il faut qu’on se débarrasse de mécanismes comme celui de l’Admission temporaire, abandonnée partout sauf au Maroc.

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