Economie

Piège en haute mer

C’est une drôle de partie de pêche qui se livre actuellement au port de Tan Tan immobilisé depuis le 23 avril par une grève des marins. C’est le groupe de Mohamed Laraki, Omnium marocain des pêches (OMP) qui fait les frais de cette cessation de travail qui n’en finit pas de durer : 55 bateaux et quelque 1300 marins sont concernés. Ce n’est que mardi 4 juin que l’OMP a reçu le cahier revendicatif assorti d’une menace de prolonger la grève jusqu’au 12 juin.
À première vue, ce mouvement devrait normalement s’arrêter puisque celui déclenché en même temps au port d’Agadir a cessé depuis plusieurs semaines. D’autant plus que l’OMP s’est engagé à adopter les recommandations issues du dialogue entre les armateurs d’Agadir et le syndicat national des officiers et marins de la pêche hauturière (SNOMPH), affilié au FFD de Thami Khiyari. Un dialogue qui a débouché sur la fin du conflit social dans la capitale du sud.
Mohamed Laraki soutient mordicus que ce syndicat, dirigé par Abderrahmane El Yazidi, par ailleurs enseignant à l’institut des pêches à Agadir, n’avait aucune existence à Tan Tan et qu’il n’a entendu parler de lui dans cette ville qu’à la veille de la grève. Le SNOMPH, lui, rétorque qu’il est bel et bien constitué à Tan Tan et que les gens de la mer de l’OMP réclament la régularisation de leur situation matérielle. Le ministre de tutelle, qui s’est aligné depuis le début sur la position du syndicat, appelle l’OMP à se réunir avec le SNOMPH à Tan Tan pour régler le conflit social. Ce qui équivaudrait pour M. Laraki de reconnaître l’existence et la légitimité de cette centrale syndicale.
C’est là apparemment où les choses coincent, puisque chaque partie s’entête à camper sur ses positions.
Dans cette affaire, ce n’est pas tellement l’existence ou pas du syndicat qui est important. Ce qui interpelle plutôt c’est le jeu de Saïd Chbaâtou dont le statut lui impose en principe un rôle d’arbitrage et non pas de soutien au syndicat et à son secrétaire général. Par ailleurs, la tempête sociale qui s’est abattue sur le secteur de la pêche hauturière trouve en grande partie son origine dans le plan d’aménagement de la pêcherie poulinière. Un programme qui s’il est censé rationaliser la ressource halieutique a créé un problème social étant donné que ce plan a débouché sur des arrêts d’activité. Une situation qui s’est répercutée sur le temps de travail de l’équipage et par conséquent sur les revenus surtout des marins. C’est pour dénoncer cet état de fait que ces derniers aussi bien à Agadir qu’à Tan Tan sont entrés en grève.
Afin de corriger ce dysfonctionnement, le ministre a pris la décision d’appliquer, à partir du 1er mars 2002, le système de rémunération au pourcentage sur le chiffre d’affaires au profit de l’équipage. Les armateurs se braquent, refusant d’appliquer la résolution du ministre, arguant entre autres que ce système de compensation fait du personnel marin des associés dans leurs entreprises de pêche. Devant cette position catégorique, le SNOMPH décrète la grève aux ports d’Agadir et de Tan. Le bras de fer s’installe.
Pourquoi Saïd Chbaâtou, qui s’est toujours enorgueilli de se concerter avec les professionnels, n’a pas consulté au préalable les intéressés sur cette affaire sensible de compensation ? Voulait-il s’ériger, sur le dos des opérateurs, en défenseur des marins et les monter contre leurs employeurs ? La vision est pour le moins manichéenne : Les possédants d’un côté (les armateurs) et les dépossédés de l’autre (les gens de la mer). Ceux qui triment et ceux qui exploitent. La lutte des classes en haute mer. Étonnant de la part d’un ministre dont le rôle normalement est d’éteindre un feu social au lieu de l’attiser. “Il convient de juste de constater que l’alliance du ministre MNP de Mahjoubi Aherdan et d’un syndicat appartenant au FFD de Thami Khiyari intervient à la veille des élections législatives de septembre“, note un professionnel. M. Chbaâtou, de plus en plus à l’étroit dans son propre parti, envisageait-il de prendre une autre étiquette politique ?
Une choses est sûre : depuis qu’il a pris les commandes du bateau-amiral de la pêche, le ministre n’a de cesse de surfer sur une vague facile et populiste. Il a reconnu à plusieurs reprises ce que aucun de ses prédécesseurs n’a osé avouer publiquement : l’existence d’une pêche informelle importante. Mais qu’a entrepris M. Chbaâtou pour réduire de l’intensité de ce marché parallèle qui représente un manque à gagner substantiel pour l’économie nationale ? A-t-il jamais pris en flagrant délit les coupables des transbordements en pleine mer ? Non.
En fait, Saïd Chbaâtou est passé maître dans l’art de noyer le poisson. Et de masquer les véritables enjeux d’un secteur hautement juteux. Il a beau jeu de dénoncer en apparence une situation dont tout le monde s’accommode in fine. Beaucoup d’intérêts en jeu. Et puis comment expliquer le fait qu’il ait accordé récemment une dizaine de licences à un armateur mauritanien du nom de Abdellah Noueïgeud ? Le ministre a-t-il oublié ses engagements, lui qui avait publiquement affirmé que l’état de la ressource, soumise à une exploitation excessive, ne supporte plus l’octroi de licences de pêches supplémentaires. Il a même écrit cela noir sur blanc dans son plan d’aménagement de la pêcherie poulinière. Un plan justifié justement par sa volonté proclamée de rationaliser l’effort de pêche et de contribuer à la transparence d’un secteur, il est vrai, opaque. Il y a vraiment anguille sous roche. Beaucoup de zones d’ombre. Le Maroc s’est débarrassé de la flotte européenne en refusant de renouveler l’accord de pêche, soit une quarantaine de licences de moins.
Voilà que M. Chbaâtou, à la surprise générale, donne des autorisations comme on distribue des prébendes à un opérateur mauritanien dont le pays a signé, lui, un accord de pêche avec l’UE. Tout cela fait scandale.

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