Economie

Reportage : Le trafic à ciel ouvert

Mustapha, garçon d’à peine 10 ans, a de l’argent plein les poches. L’école ? Il ne connaît pas pour n’y avoir jamais mis les pieds. Nador c’est sa ville natale, là où il gagne sa vie. Par la débrouillardise.
Son capital de départ, pas plus de 200 Dhs. Il y a un an, il a commencé à faire comme les autres. Il rentre à Méllilia, située à quelque 10 km de Nador, où il achète un sac de biscuiterie qu’il revend ensuite dans un marché chez lui . La contrebande. Une activité certes illicite. Mais tout le monde à Nador, faute d’une activité économique formelle et conséquente, vit de cela. Grands et petits, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes.
Poste-frontière de Beni Ansar, voie d’accès à l’enclave marocaine de Mélilia, sous administration espagnole. Le ciel est cadenassé par des nuages lourds de pluie. Aux abords de ce poste réglementaire, une activité intense. Va et vient humain et ballet de véhicules incessant. Un rassemblement de jeunes, qui ne peut visiblement montrer patte blanche, attend dehors l’occasion de pouvoir passer de l’autre côté.
Normalement, il faut être muni d’un passeport avec un visa Schengen pour se retrouver à Mélilia, terre marocaine au coeur de l’Europe. La police et la douane marocaine veillent au grain. Dans un brouhaha indescriptible de voix qui s’élèvent, de bruits de moteurs qui ronronnent. Une pagaille en fait organisée. Dans le sens des retours, file interminable de voitures dont les conducteurs ont fait le plein d’essence moins cher là-bas qu’ici. Des hommes à pied, regardant droit devant eux, chargés de sacs bourrés de produits. Des femmes, les bras encombrés de marchandises et des ballots sur les épaules et le dos… Les piétons-commerçants pressent le pas sous l’oeil indifférent des uniformes espagnols, Guardia civile et police nationale.
Les agents jettent systématiquement un coup d’oeil aux malles des voitures depuis que Mélilia est devenue la cible de l’immigration clandestine, notamment algérienne et subsaharienne.
À part cela, aucun contrôle du côté espagnol ni à l’entrée ni à la sortie : bienvenue au Maroc en Espagne. Tout bénéfice pour l’occupant, cette contrebande animée par la population de Nador. L’argent dégouline, mais l’essentiel de ce dernier passe par un seul circuit, celui de l’enclave.
Une enclave bien sûr proprette où il fait bon vivre. Les Nadoris n’y font pas seulement du commerce. Ils s’y rendent pour se distraire, fréquenter les bars et les restaurants chics. Car à Nador, 300.000 habitants environ, située pourtant sur la Méditerranée, c’est la grisaille, l’ennui. Absence sidérante d’équipements socio-éducatifs. En dehors de quelques unités industrielles, l’activité économique formelle est embryonnaire. Là aussi, les stigmates de l’abandon et le poids de l’oubli sont visibles. Au vu de son état, on se demande si Nador possède les attributs d’une ville tels qu’ils sont reconnus.
Urbanisme anarchique, routes défoncées, paysage défiguré. Et pourtant, le foncier atteint des prix astronomiques dans la deuxième place bancaire après Casablanca en termes de dépôts (11 milliards de Dhs environ). «Les promoteurs immobiliers ne louent pas au premier venu, à n’importe qui, explique un responsable local, quitte à ce que les appartements restent inoccupés». Un autre note que la promotion immobilière sert en grande partie à blanchir l’argent de la drogue. «La plupart des propriétaires n’ont pas besoin, ajoute-t-il, du produit de la vente encore moins du loyer pour vivre». Résultat : la vie à Nador ne répond à aucune logique économique, échappe à toute forme de normalité.
Difficile pour quelqu’un de «l’intérieur du pays» de tenir le rythme à moins de rentrer dans les combines de la contrebande. Car l’argent ici coule à flots. «Les enfants des riches locaux circulent en belles voitures avec un argent de poche hebdomadaire équivalant au salaire d’un cadre moyen d’une ville normale», nous confie un fonctionnaire désabusé.
Ce sont les paradoxes d’un centre sans attrait autre que ce qu’il représente, une plaque tournante pour la contrebande, le trafic des stupéfiants.
Déterminés et téméraires, les bonnets de ce business juteux arrivent à la tombée de la nuit en convoi à une vitesse vertigineuse. Souvent armés de sabres et mêmes d’armes à feu, ils sont prêts à tout y compris de mourir. Un danger permanent, toujours en embuscade, pour les douaniers et les gendarmes qui se mettent sur leur route. Des scènes de violence surviennent régulièrement au détour des chemins tortueux des trafics.
Un commerçant, qui a l’air prospère, exprime une autre inquiétude. « Si, d’aventure, le commerce avec Mélilia s’arrête, lâche-t-il, Nador se viderait de ses habitants». À chacun ses soucis. Pour faire face à cette éventualité, nombre de personnes ont d’ores et déjà acquis la nationalité espagnole et même investi une partie de leur fortune dans le préside marocain. D’ailleurs, les caissiers de deux agences bancaires de la place qui ont détourné il y a quelque temps chacun un superpactole sont des maroco-espagnols.
Les auteurs de cette arnaque se coulent certainement des jours heureux au soleil de Marbella. L’Espagne c’est aussi un jardin d’Eden pour les fortunes y compris celles sujettes à caution.
Nador, actuellement pseudo-pôle économique comme l’a si bien décrit Mustapha Mansouri (voir interview), accumule l’argent qui part dormir ensuite dans les banques locales. Chaque jour que Dieu fait, Mustapha se rend au poste de Béni-Ansar. Un itinéraire de routine. La route de la contrebande.

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