Economie

Sénégal : La fin du FAO ?

© D.R

Le président du Sénégal Abdoulaye Wade a renouvelé ses accusations à l’égard de l’Organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, au cours du récent sommet de Rome sur la crise alimentaire mondiale. Après avoir, au mois de mai, demandé la suppression de l’institution,
M. Wade a déclaré aux chefs d’Etat et de gouvernement qui ont assisté au sommet que la situation actuelle était une «farce». «Nous ne pouvons pas continuer à être assistés comme des mendiants», a-t-il dit, «Ne venez plus nous imposer des institutions, des experts, l’Afrique d’aujourd’hui ce n’est plus celle d’il y a 20 ans».
Pourrait-il avoir raison? Supprimer une organisation comme la FAO – dont le budget annuel d’un montant de 1,65 milliard de dollars permet d’aider les pays émergents à développer leur agriculture – peut paraître de prime abord paradoxal dans la mesure où une telle décision va à l’encontre de ce qu’il convient de faire pour lutter contre la faim. Pourtant, la FAO, qui est une des premières institutions internationales à avoir été créées en 1945 par l’ONU, commence à prendre de l’âge. Les accusations portées contre l’organisation se sont multipliées au fil des ans concernant son énorme bureaucratie, ses nominations politiques et son inefficacité générale. Selon les conclusions d’une étude externe indépendante conduite l’année dernière (une première dans l’histoire de l’organisation), «l’organisation se trouve aujourd’hui dans une situation de crise financière et stratégique».
M. Wade a déjà demandé le transfert du siège social de la FAO de Rome en Afrique, où réside l’essentiel de son action. Le mois dernier, le président est même allé plus loin, proclamant sur les ondes radiophoniques que : «Cette fois-ci, nous devons la supprimer». Reste à savoir par quoi la remplacer et si oui, effectivement, un remplacement s’avère nécessaire.
La création d’un certain nombre d’institutions, qui supplantent d’une certaine manière le rôle de la FAO, apporte un élément de réponse au premier point. Comme l’a indiqué M. Wade, le Fonds international de l’ONU pour le développement agricole (FIDA) agit plus efficacement, et semblerait dupliquer le travail élaboré par la FAO. Si le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, était amené à suivre les recommandations du président Wade en faveur de la suppression de la FAO, il lui suffirait d’accroître la capacité d’action de ces nouvelles institutions pour échapper à la bureaucratie et à l’opacité institutionnelle chroniques qui caractérisent la FAO.
Mais peut-être un changement radical serait-il plus approprié. Les économistes africains libéraux, à l’image de James Shikwati, directeur du Réseau économique interrégional (IREN), proposent un changement d’attitude envers la question de la faim en Afrique. Selon M. Shikwati, l’aide internationale, loin d’aider l’Afrique sub-saharienne, constitue une véritable entrave à son développement. «La faim en Afrique découle du fait qu’il n’y a aucun profit à tirer des cultures agricoles», a-t-il déclaré à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. «Si les pays industrialisés veulent vraiment aider les Africains, ils doivent arrêter cette aide affreuse».
Bien que ce raisonnement est discutable, Shikwati a raison sur un point : trop d’aide à l’Afrique encourage la dépendance, au lieu de l’autosuffisance ou l’existence d’avantages comparatifs, concept principal de la théorie traditionnelle du commerce international. Chaque sac de riz ou de blé portant le cachet du Programme alimentaire mondial (PAM) au-dessus de la mention «Don de…», est un gage en puissance contre la production nationale. Pas même le plus productif des paysans ne peut produire de produits agricoles gratuitement.
Certains affirment que la distribution de riz du PAM a lieu en période d’extrême famine ou de difficulté, et c’est en partie vrai. Néanmoins, la relation de cause à effet est complexe, et les pénuries – ainsi que les famines – peuvent être causées par des insuffisances logistiques et économiques qui sont exacerbées par la dépendance à l’aide au développement. Selon l’ONU, au cours des trente dernières années, la production alimentaire par habitant en Afrique a enregistré une baisse et la productivité agricole ne représente que le quart de la moyenne mondiale.
Les produits alimentaires se comportent comme tout autre matière-première: si l’économie de marché est faussée, les mécanismes de l’offre et de la demande ne fonctionnent pas. Selon le représentant de la Banque mondiale à Dakar, les prix des produits alimentaires au Sénégal sont de 24% supérieurs à la moyenne africaine. Pourtant, il paraît que 200 000 tonnes de sacs de riz sont entassés dans des silos en banlieue de Dakar (soit l’équivalent de la campagne de riz de 2000). Alors pourquoi ne pas les vendre ? Certains soutiennent que vu le nouveau prix officiel du riz à la consommation fixé par le gouvernement, il n’est pas possible de le vendre. Tant que les disputes ne seront pas résolues, l’approvisionnement du marché restera rare.
La situation actuelle est particulièrement contrariante, étant donné que le Sénégal a réalisé d’importantes avancées ces dernières années en termes de diversification agricole au profit de cultures vivrières rentables et de produits horticoles destinés à l’exportation. Par exemple, le Sénégal est aujourd’hui le deuxième exportateur de tomates cerise au monde (après Israël), avec une capacité de production de près de 8000 tonnes par an. Avec la hausse des barrières commerciales à l’échelle mondiale sous l’effet de l’envolée des prix, le Sénégal doit mettre en oeuvre les mesures nécessaires visant à devenir autosuffisant en riz. La politique agricole précédemment en place tablait sur une production en riz à hauteur de 1 million de tonnes à l’horizon 2010. Mais la récente hausse des prix incite le gouvernement à vouloir atteindre ce total d’ici à la fin de l’année. Au bout du compte, les résultats du Sommet de Rome paraissent bien menus: beaucoup de débats et quelques engagements à l’aide au développement. Les barrières commerciales restent élevées, et pour encore un bon moment, semblerait-il. Le commerce mondial alimentaire tend vers un développement des relations bilatérales, une situation face à laquelle l’ONU semble impuissante. Le Sénégal, et d’ailleurs l’ensemble de l’Afrique, méritent mieux que le FAO. Si l’institution ne tient pas ses engagements, alors elle n’a aucune raison d’être.

• Oxford Business Group
(26 juin 2008)

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