Economie

Tourisme : Menaces sur la « Vision 2010 »

© D.R

Comment céder aux sirènes de l’autosatisfaction ambiante qui paraît de plus en plus être partagée par les uns et les autres ? Comment ne pas se poser en effet des questions de bon sens, simples et que l’on s’obstine pourtant à mettre en équation sinon même à évacuer? C’est que tant de clignotants –rouges, faut-il le rappeler – sont là devant nous. Ce sont autant d’indicateurs significatifs de fortes menaces pesant sur la vision 2010 du tourisme.
A grands traits, l’état des lieux n’est guère encourageant. On avait par exemple annoncé une dynamique commerciale et une stratégie produit. L’articulant et l’accompagnant. Elle devait en particulier se traduire par un repositionnement de l’offre balnéaire, de manière chiffrée, le programme retenu prévoyait ainsi une capacité additionnelle de 65.000 chambres. Qu’en est-il aujourd’hui ? Sur le six sites retenus, seuls trois d’entre eux ont été lancés- avec pratiquement deux ans de retard… Il n’y a pas plus d’avancées pour ce qui est des programmes sectoriels : consolidation de la baie d’Agadir, restructuration de Tanger et de la côte de Tétouan. Pas davantage, le produit culturel n’a engrangé la moindre visibilité ni la moindre attractivité supplémentaire : tant s’en faut. Et au rythme actuel, qui peut sérieusement escompter que d’ici 2010 15.000 nouvelles chambres seront commercialisées dans ce créneau?
On nous avait également parlé d’une stratégie prix avec des mesures opératoires et conséquentes : une étude détaillée du positionnement concurrentiel de la destination Maroc, une politique de tarification concertée avec les professionnels, un projet de «label qualité», etc. On n’a (encore ?) rien vu venir et il n’y a même pas les effets d’annonce habituels.
Même l’ONMT est en «stand by» puisque le projet de restructuration de cet Office qui paraissait bien avancé, voici un an et demi, a été retiré. Si bien que les dossiers restent en instance : tel un nouveau régime de collecte de la TPT dont l’ONMT devait être déchargé, telle la réaffectation du personnel de cet Office sur la base d’une nouvelle politique de valorisation du potentiel humain, sans oublier la nécessaire réforme du mode de fonctionnement de cet organisme laquelle devait impliquer plus fortement les professionnels.
Est-on mieux loti avec la stratégie formation qui devait également embrasser la professionnalisation des métiers ? On ne peut guère l’affirmer : qu’a-t-on fait en matière de renforcement des filières de ce secteur (instituts, écoles…) ? Le plan de formation continue et de reconversion professionnelle a-t-il eu, pour sa part, un commencement de réalisation ?
La dynamique institutionnelle – qui est l’un des grands volets de la Vision 2010 – n’est pas plus avancée. Ainsi, la constitution d’une réserve foncière relève encore largement de la rhétorique de principe ; ainsi encore l’étude d’identification des terrains à fort potentiel touristique paraît subir le même sort que tout le reste ; sans oublier le ré-ingeneering des outils actuels d’aménagement touristique qui ne peut non plus se prévaloir d’acquis tangibles. Comment dans ces conditions, compte-t-on mettre à la disposition des investisseurs des terrains compétitifs sur la base d’engagements contraignants et incitatifs ? Pour ce qui de la stratégie fiscale, les opérateurs n’attendent pas des retouches de détail mais une vraie réforme devant répondre – annoncé dans l’accord-cadre – à des principes de simplification et d’harmonisation, d’incitation et d’orientation mais aussi de compétitivité internationale.
Les droits de douane constituent encore une lourde charge alors qu’il avait été prévu des taux réduits tels que ceux de la charte Investissements pour les importations de biens d’équipement opérés par le secteur touristique. Un engagement avait été pris dans ce sens pour modifier ce régime à moyen terme. Or, quatre ans après, c’est plutôt le statu quo qui perdure. Le même constat peut être tout aussi bien formulé à propos de la révision de l’abattement de l’impôt sur les sociétés éligible à la quote-part du chiffre d’affaires réalisé en devises. Si l’on se tourne maintenant vers la stratégie financière, les mêmes contraintes continuent de peser alors que des mesures avaient été programmées : celle de la formule de «crédit tourisme», celle de la mise sur pied d’un observatoire de la compétitivité et des coûts, celle de la politique de promotion et d’élargissement de la base en fonds propres des investisseurs, enfin celle de la facilitation et de la promotion des introductions des sociétés touristiques à la Bourse de Casablanca. Mais il y a plus encore. Ainsi, à côté de ces programmes sectoriels dont l’état d’avancement est ce qu’il est, nous sommes bien loin de la dynamique globale qui avait l’engagement des pouvoirs publics enjanvier 2001. Une Charte opérationnelle de mise enoeuvre de la nouvelle stratégie touristique n’est plus inscrite à l’ordre du jour. On n’en sait pas plus du document de référence devant articuler précisément cette Charte et qui devait être la «feuille de route» mise à la disposition des opérateurs et des investisseurs potentiels tant nationaux qu’internationaux. On n’est pas davantage fixé sur le Programme de développement et d’investissement stratégique qui devait constituer une synthèse de tous les investissements publics et privés inscrits dans la Vision 2010. Ce rappel était nécessaire pour montrer que l’état des lieux, tel qu’il se présente, ne peut conduire qu’à ce constat : de fortes menaces pèsent sur la stratégie couvrant la présente décennie.
La force d’inertie de l’administration –parlons plutôt de bureaucratie- reste pratiquement maîtresse du jeu, autrement dit de l’immobilisme. Les CRT régionaux sont marginalisés, les budgets alloués à ces entités régionales frappent par leur modestie. Ils sont même dérisoires.
Là où l’on attendait une approche participative marquée au coin de la concertation, l’on n’a affaire qu’à des décisions prises à huis clos, là où devait prévaloir le principe d’association et d’implication de tous- les citoyens, les autorités locales, les élus, les professionnels- l’on ne rencontre que des faux-semblants de dialogue qui dissimulent mal une certaine forme de gouvernance que l’on croyait pourtant relever d’une autre époque. A telle enseigne que la vision 2010 qui devait mobiliser les énergies et promouvoir les potentialités existantes dans le cadre d’un véritable projet de société du Maroc de demain a épuisé son sens et compromis la portée qu’avait voulu lui donner S.M. Mohammed VI. Rien d’étonnant alors que le Comité de pilotage stratégique, pourtant réuni le 15 décembre dernier, sous la présidence du Premier ministre en personne, en soit encore à l’étude du financement du secteur hôtelier ; ou que la dernière réunion entre l’ONMT et les bureaux des CRT régionaux n’ait été que la traduction de cette politique de la frilosité, du repli et de l’abandon des engagements pris. Au lieu des 340 millions de dirhams pourtant prévus au départ, seule une enveloppe résiduelle d’un peu plus de 100 millions de dirhams, est en fait réservée à la promotion du produit Maroc… Quelles retombées espère-t-on vraiment d’un budget aussi médiocre alors que les concurrents régionaux mobilisent des ressources quatre à cinq fois plus importantes ?
Tout paraît se déployer sur deux niveaux : le premier est celui de communiqués officiels s’efforçant de mettre en avant des statistiques mensuelles sur la base des critères de routine et comparant chaque mois avec l’autre sans prendre la peine d’appréhender ce qui est fait et ce qui reste à entreprendre par rapport au programme de La Vision 2010. Quant au second niveau, il intéresse lui, le mirage des 10 millions de touristes en 2010. Un rêve ? Un espoir ?
Qui sait vraiment en fin de compte? Et puis est-ce si important ? L’essentiel au fond n’est-il pas qu’on continue à en parler, dans le confort de la pensée et dans les réunions aseptisées dont il est rituellement l’objet. Que l’on ne s’y trompe pas; c’est cette même méthodologie mâtinée d’absence de réflexion critique et où l’autosatisfaction le dispute à l’incapacité réformatrice qui a marqué l’échec des grands projets touristiques que nous avions élaborés durant les quatre dernières décennies. Plus de trois ans après le lancement de la Vision 2010, nous voilà donc sur la même voie. Légitimement, la question qui doit nous interpeller, tous, est de savoir s’il faut continuer à garder le moindre espoir pour le tourisme marocain tel que nous le voulons pour la fin de cette décennie.
Allons-nous continuer, devant tant de confusion, à nous engager sur la pente du déclin de notre produit touristique dans un marché international où les stratégies offensives pour des parts de marché sont le trait dominant de cette industrie ?

• Par Abdelhadi Alami.

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