Editorial

Carnet de campagne

© D.R

Un candidat-député en campagne se doit de labourer sa circonscription. Il doit visiter les coins et les recoins de celle-ci méthodiquement et méticuleusement pour se présenter, présenter son parti et son programme. Enfin, normalement, c’est comme ça que cela doit se passer. D’autres choisissent des raccourcis. Ils font appel à des agents électoraux, à des intermédiaires patentés et rémunérés, à des barons, à des voyous du coin ou carrément à des milices fortement motivées. Le candidat reste chez lui, le personnel électoral fait le boulot à sa place. Lui, il a uniquement pour mission de garder la table ouverte à son domicile. On connaît depuis longtemps ce menu.
Maintenant, revenons au candidat sérieux. Lui, il parle, il argumente, il s’expose, il va vers les autres et surtout il va de surprise en surprise. Un candidat dans la circonscription de Sidi Moumen a découvert, à son corps défendant, Douar Secouila. Tout le monde l’a dissuadé d’aller dans ce douar qui est présenté depuis des mois comme une cité interdite de l’islamisme radical et violent casablancais. Il ne fallait pas y aller parce que c’est dangereux, risqué, etc. Selon ses conseillers frileux, même la police ne se hasarde plus dans cette zone de non-droit et qu’il fallait l’oublier. Devant le refus et la ténacité du jeune candidat, une visite a été organisée. La rose à la main, comme on porte une fleur au fusil. Et là, stupeur et damnation. La découverte est à la hauteur des mythes creux. Enorme.
Douar Secouila est habité par des êtres humains. Comme vous et moi, et eux. Oui, c’est extraordinaire. Des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes et des vieux. Oui tout ça ensemble. Des petits commerces. Des clients. Des ouvriers et des ouvrières. Oui, il y a des bidonvilles mais comme ceux d’Anfa. Oui, il y a des barbus. Des voyous. Des délinquants. Une mosquée informelle. Un imam en même temps président de commune qui cumule les travers connus des deux fonctions, mais il y ajoute son abnégation très personnelle. Et, ensuite, il y a la vie. La mal-vie certes, mais c’est la vie quand même.
Les habitants de Douar Secouila n’ont pas peur. Les femmes sourient. Les enfants jouent. Les vieux se dorent au soleil. Ceux qui travaillent, travaillent. Les autres ont peur d’eux. Ils ne savent pas trop pourquoi mais, eux, ils n’ont pas peur. Ils invitent le candidat chez eux. L’invitent à manger, à boire le thé ou le café. Ils sont fiers de lui. Un gars du Maroc d’en haut vient les voir. C’est une fête. Ils veulent le toucher, lui parler, lui faire des confidences, raconter leur vie. Eux que l’on n’écoute jamais, pour une fois, on leur prête une oreille sérieuse. Quelqu’un vient de lever le siège psychologique qu’ils subissent. Oui, ils ont des voyous qu’ils connaissent depuis longtemps, qui leur compliquent la vie. Oui, ces voyous sont devenus plus méchants depuis qu’ils ont laissé pousser la barbe et qu’ils se sont entichés d’un islamisme rudimentaire pour analphabètes sans emplois, sans formation et sans logis. Mais ils les connaissent depuis toujours.
Les autorités assoupies aussi. Ils ne trompent personne avec leur barbe. Les mêmes trafics, les mêmes combines, les mêmes micmacs sordides, la même violence que par le passé, sauf que, cette fois, elle se fait au nom d’Allah, car un apprenti mufti des bidonvilles un peu plus malin que les autres a compris qu’une association avec Dieu peut booster les affaires et blanchir les esprits ténébreux.
Douar Secouila n’est ni Qom de Khomeini. Ni Jalalabad, ni Tora Bora. C’est un bidonville casablancais banal où des voyous sous la barbe des autorités démissionnaires veulent faire la loi. La loi des pauvres. Mais le désir de vie des habitants du douar est plus fort que tout. Il peut user des montagnes. Vous verrez bien.

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