Editorial

Dans le ventre de la nuit

© D.R

Le mensonge, comme chacun sait, est menteur de l’Histoire. Dans l’affaire du Caillou du Persil, qui a permis à l’Espagne de renouer avec ses épopées d’antan, ses gloires inoubliables du passé et de montrer la valeur, le courage et le sens du sacrifice de ses soldats d’élite, il y a comme du mensonge dans l’air.
La petite histoire est la soeur jumelle de la grande. Et il est banal de constater que la petite se fait avec des petits riens, de petits mensonges et de quelques lâches et bénignes compromissions.
Trois mensonges à souligner dans l’affaire du caillou qui a tellement mis à l’épreuve la virilité ibère, mis en émoi la soldatesque franquiste récemment démocratisée, mis en transe les « africanistes » de tous poils que compte l’Espagne post-franquiste d’aujourd’hui.
Premier mensonge. Les députés espagnols ont soutenu le gouvernement sans défection pour qu’il trouve une solution négociée et diplomatique à la crise. Ils lui ont donné mandat pour cela. Quand Aznar a sorti ses pectoraux, bombé son torse de toréador en mal d’oreilles et a lancé son armada des grands jours contre le caillou, de ce fait il a violé le mandat des Cortès. Le débat fait rage sur ce point en Espagne.
Deuxième mensonge. Quand Ana Palacio, la ministre espagnole des Affaires étrangères, a fait état, pour justifier le grand débarquement du siècle de la marine espagnole – le monde entier est admiratif devant ce Pearl Harbor des pauvres -, de l’arrivée sur l’îlot de commandos de la marine marocains. Elle a menti, toute honte bue, pour forcer l’option militaire. À leur arrivée, les commandos d’élite d’Aznar, qui, comme chacun sait, ont à leur compte la libération, armée et sans bavure, de Gibraltar, ils ont trouvé sur le caillou six éléments marocains, pas un de plus, une partie de ceux qui avaient débarqué le 11 juillet. Ana avait menti. Ce n’est pas bien madame.
Troisième mensonge. Ana Palacio a nié toute médiation américaine et l’existence de tout accord avec les Marocains avant le débarquement flamboyant, historique et glorieux, des forces spéciales espagnoles spécialisées, comme chacun sait, dans le dépotage du persil. Mohamed Benaïssa, quant à lui, soutient le contraire avec des détails précis qui en disent long sur les tractations de la nuit du mardi à mercredi. Qui croire ? M. Benaïssa, bien sûr. Dans sa situation et compte tenu de la gravité du dossier, il ne peut pas mentir. En fait, il s’est fait berner par Ana. Tandis que l’armada appareillait dans la nuit – le ventre de la nuit comme il dit – , Ana lui tenait le crachoir pour l’empêcher de dormir ou mieux l’endormir. Comme on veut.
Finalement, cette affaire est d’un ridicule qui n’échappe plus à personne depuis les exploits guerriers, les faits d’armes et les actions de bravoure des militaires d’Aznar 1er. À chacun son Tora-Bora. Nous avons remarqué, grâce à la sagacité de nos confères d’El Périodico, que cela n’a pas échappé à la presse européenne. Le journal allemand Süddeutsche Zeitung titre « Ile en Absurdistan » et ajoute que « l’humanité a des problèmes plus importants à régler que la question de savoir à qui appartient un caillou que certains appellent Persil et les autres Leïla ».
Un autre journal allemand, Frankfurter Rundschau, fait plus fort et titre « Don Quichotte au persil » et écrit que « l’Espagne met fin au conflit avec les Marocains par la force ». Quand aux Anglais, qui sont plus fins, il y a un autre son de cloche. The Financial Times a parlé, quant à lui, «d’acte de folie» au sujet de l’équipée des Espagnols pour la réoccupation d’un «rocher plein de chèvres que l’Espagne appelle Persil». «Cette confrontation a lieu alors que l’Espagne et le Royaume-Uni sont proches d’arriver à un accord sur un rocher plus important : Gibraltar.» Il ajoute, toujours en dentelle anglaise, que « l’Espagne croit qu’elle peut mettre fin à une dispute qui existe depuis 300 ans sur la colonie britannique, cédée par le traité d’Utrecht en 1713, et ne comprend pas que son attitude peut commencer à poser des interrogations sur ses possessions également anachroniques en Afrique, comme Ceuta et Mellilia et autres îles au large de la côte. » Vous voyez bien que grâce à Aznar, la grande Espagne est de retour. Mais avec toutes ces gesticulations guerrières disproportionnées et maladroites, il n’a fait que montrer à la communauté internationale la fragilité de sa position sur Sebta et Mellilia et les autres îles marocaines, et affaiblir spectaculairement l’argumentaire de son pays sur Gibraltar. Mais que voulez-vous? ça, c’est du Aznar. Il est comme ça. Passée l’euphorie patriotarde, les Espagnols finiront bien par s’en rendre compte.

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