Editorial

Division du travail

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Si l’implication formelle d’islamistes marocains est solidement établie dans l’affaire de vol d’armes de la caserne de Taza, c’est toute la stratégie marocaine de lutte contre l’intégrisme islamiste et son cantonnement qu’il faut revoir. L’enquête en cours mettra certainement toute la lumière sur cette inquiétante affaire et établira, sans doute, la responsabilité des auteurs, de leurs complices et surtout des bénéficiaires ou des destinataires de cet acte criminel «fondateur».
Il paraît clair aujourd’hui que la circulation assez fluide des individus dans la nébuleuse islamiste marocaine et les accointances qu’il y a entre ceux-ci ne permettent plus de continuer à minimiser le risque intégriste chez nous en arguant d’une quelconque spécificité nationale en la matière.
Al Adl Wal Ihsane de Cheikh Yacine, et la kyrielle d’associations que ce mouvement contrôle, apparaît de plus en plus, sous couvert d’actions caritatives, comme la matrice idéologique mère à partir de laquelle s’élaborent toutes les stratégies de recrutement, de formation et de mobilisation des intégristes. Que l’on trouve ensuite les mêmes personnes enrôlées soit sous la bannière du PJD, la branche politique «légalisante» de la mouvance, soit sous celle de la Salafia Jihadia, la branche «armée», cela semble de plus en plus comme une simple question d’orientation ou pire comme une division du travail assez sophistiquée qui doit manifestement sa réussite à des procédés de cloisonnement complexe mais réel.
Le sentiment de puissance est aujourd’hui tellement fort dans le continent islamiste marocain que les pays qui le composent s’offrent le luxe public d’entretenir des querelles médiatiques sur la filiation intégriste et l’appartenance organique de tel ou tel député, au point que le PJD peut être assimilé, désormais, à une «machine à laver» politique de certains éléments radicaux d’Al Adl Wal Ihsane.
Alors que l’opinion est perdue en projections de plus en plus alarmistes sur les futurs gains électoraux des islamistes lors des prochaines communales, la classe politique, quant à elle, semble déjà accepter l’idée de gérer un certain nombre de villes et de communes marocaines avec des Islamistes. Sur Casablanca, par exemple, l’option d’une alliance au conseil de la ville entre le PJD et l’Istiqlal fait florès sans que cela ne suscite aucune indignation.
Entre la prolifération de faits criminels, de plus en plus nombreux, imputables aux intégristes et la banalisation presque «compassionnelle» de l’islamisme politique, les citoyens marocains qui se réclament du progrès, de la modernité et de l’ouverture généreuse sur le monde apparaissent, en raison de la vacuité politique ambiante, comme des otages résignés.
Si la monarchie marocaine est le rempart le plus solide contre toutes le dérives intégristes, il n’est pas évident, aujourd’hui, que la société soit bien armée pour se prémunir contre ces dérives ou pour, à la limite, défendre d’une manière autonome et organisée les valeurs de tolérance religieuse et de générosité de cette même Monarchie.
Nous sommes, on le voit bien, au coeur d’un projet de société; or si celui-ci n’est sous-tendu ni par une vision d’avenir explicite formulée par les acteurs sociaux et politiques eux-mêmes, entre ce que l’on veut et ce que l’on refuse, ni par une adhésion collective aux valeurs fondatrices de notre nation, nous risquons, en dernière instance, de perdre notre âme.
Qu’on le veuille ou non, l’affaire de Taza, par sa symbolique et par la force des faits sérieux qu’elle met en interaction, devrait constituer un tournant majeur dans notre perception du fait intégriste dans notre pays. C’est, désormais, très sérieux.

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