Editorial

Homo légitimus

© D.R

Débattre, comme dans toutes les démocraties qui se respectent, avec le Premier ministre sur le sens politique profond du naufrage électoral de sa majorité gouvernementale relève-t-il du complot ou de la cabale ? Questionner le premier responsable du gouvernement sur les conséquences politiques immédiates d’un échec électoral manifeste relève-t-il également d’un crime de lèse-primature, indigne, obscure et pernicieux ? Dans un pays où les responsables politiques n’ont jamais eu le courage ou la compétence d’assumer leurs actes, il est normal que chaque débat sérieux se transforme en foire d’empoigne journalistique où chaque partie fait donner ses troupes ou ses obligés. Une affaire politique, encore une fois, sérieuse devient rapidement une affaire de presse où les coups bas fusent, où les procès d’intention sont la règle et où les indignations sont proportionnelles aux services, souvent sonnants et trébuchants, reçus. Mais sortons de ce marécage hideux et revenons aux arguments avancés. Mais, auparavant, des questions simples. Comment des partis politiques qui se sont déchirés, avec une rare violence, lors de ces communales, peuvent-ils s’asseoir de nouveau avec Driss Jettou et s’occuper, comme si de rien n’était, des affaires difficiles de la nation ? De quelle autorité peut encore exciper un Premier ministre quand, il n’a pas pu imposer, probablement à son corps défendant, un minimum de discipline « majoritaire » aux membres de sa coalition lors de ce scrutin ? La sympathie, parfois très enthousiaste, que suscite Driss Jettou auprès de l’opinion publique ne peut, à elle seule, éluder ces questions. Il va bien falloir aller au-delà… On nous dit, religieusement, que le Premier ministre bénéficie de la légitimité royale et qu’à ce titre aucune autre forme de légitimité supplémentaire ne peut être exigée de lui. C’est un raisonnement archifaux, voire même fallacieux. Dans ce cas, tous les ministres et tous les hauts fonctionnaires (directeurs centraux, walis, gouverneurs…) du pays peuvent en dire autant. Or la confusion vient du fait que ceux qui volent au secours, avec un amateurisme touchant, de Driss jettou qui n’est en réalité attaqué personnellement par personne confondent allègrement, certainement par ignorance, la confiance royale qui peut être donnée ou retirée à tout moment, y compris à Driss Jettou, et la légitimité Royale qui, elle, est insécable et strictement liée à la personne du Souverain. Autrement, on se demanderait alors, pourquoi on s’embarrasse d’une Constitution, des institutions qui vont avec, d’un Parlement à deux chambres et de quelque chose de bizarre qui s’appelle la séparation des pouvoirs. C’est effarant. Le Premier ministre dans notre pays est nommé par le Souverain conformément à la Constitution. Cette nomination ne confère aucune légitimité particulière, elle dote le récipiendaire de cette charge d’un attribut légal qui lui permet d’exercer sa fonction. Le vote par le Parlement de la déclaration de politique générale du Premier ministre confère à celui-ci une majorité Parlementaire dont il devient naturellement le chef. Un point c’est tout. Le reste relève de l’action politique dans le sens noble du terme. Maintenant si le Premier ministre perd sa majorité en cours de route à la faveur d’élections calamiteuses, cela a un nom. Ça s’appelle banalement une crise politique et non pas un drame politique comme on veut nous le laisser abusivement croire. C’est le cours normal des choses dans une démocratie digne de ce nom. Alors, aujourd’hui, quel est le problème de Driss Jettou ? Il est simple. Sa majorité s’est déchirée. Il ne peut pas ne pas en tenir compte de cet événement majeur. Ni crier au complot contre sa personne sans tromper l’opinion publique. Cela, n’ a aucun sens. À moins justement qu’il ne se considère doté d’une légitimité extra-politique et par conséquent, il n’a de compte à rendre à personne. Là, c’est un autre problème qui est posé. Ce n’est plus d’une crise politique qu’il s’agit mais d’une crise constitutionnelle générée par une lecture iconoclaste de la Constitution. Il est incontestable que la mission de Jettou I est finie avec les élections communales. Soit un Jettou II obtient la confiance royale – ce qui est probable – et cela ouvre la porte à un remaniement ministériel et à un reprofilage de la majorité gouvernementale. Soit un autre Premier ministre est nommé et la boucle est bouclée. Où est le mal ? C’est le cours normal de la vie des nations qui ont fait voeu de démocratie. Une anecdote pour finir : il est drôle dans notre pays que ceux qui, hier, hurlaient comme des loups à l’avènement d’une monarchie à l’espagnole en soient réduits aujourd’hui à vouloir inclure le Premier ministre dans le champs de l’article 19 de la Constitution. Avec des amis comme ceux-là, le «valeureux» Jettou n’a pas besoin d’ennemis. Et c’est cela qui doit l’inquiéter plus qu’autre chose.

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