Editorial

La beauté se soucie de son état

© D.R

Je suis d’accord avec Abbas El Fassi. Les ministres ne doivent pas utiliser les moyens du gouvernement lors de la campagne électorale. Il a fait une lettre dans ce sens au Premier ministre Abderrahmane Youssoufi.
Ce dernier, lui-même dans un Conseil de gouvernement, a abordé la question d’une manière explicite et formelle. Lors d’une rencontre de presse avec le Premier ministre à son domicile, la question lui a été reposée. Il a répondu clairement et sans détours en disant que sur ce point, en dernière instance, cela dépend des ministres eux-mêmes, de leur éducation, de leur sens des valeurs, de l’idée qu’ils se font de l’intérêt général et finalement de leur correction.
Il est évident que l’on ne peut pas mettre derrière chaque ministre en campagne un inspecteur de police ni un mokhazni. Pire, en cas d’infraction constatée, on ne peut pas non plus traîner tout ce beau monde ministériel devant un juge. Nos textes en l’état ne le permettent pas. Alors, que reste-t-il à faire ? Rien, probablement.
Mais il faut dire aussi que la frontière entre la vie normale d’un ministre en exercice et celle d’un ministre en campagne est ténue. Il parle toujours dans le même portable. Il jouit toujours de la même flotte de voitures. Il commerce tant bien que mal avec les mêmes fournisseurs. Il est entouré des mêmes conseillers spéciaux ou membres du cabinet qu’à l’ordinaire. Il va un peu plus souvent à sa circonscription provinciale que d’habitude, mais personne ne lui reproche d’avoir un mal du pays impromptu. C’est difficile. Un bon d’essence est un bon d’essence, quelle que soit la période. Une photocopieuse, c’est la même chose. Idem pour les primes, indemnités, bonifications, gratifications et tout le toutim. Un ordre de mission aussi. Un imprimeur, également. C’est valable aussi pour une diffa : le menu est le même, ce sont les invités qui changent. Vous voyez bien, on n’est pas sorti de l’auberge.
Ne dit-on pas chez nous, dans une traduction approximative, que «la beauté se soucie de son état, mais la laideur ne peut le faire que si elle est touchée par la grâce de Dieu.» Ce qui est rare. Je pense que cette maxime est aussi valable pour nos ministres. En tout cas, c’est ce qui, implicitement, est laissé à notre entendement par le Premier ministre.
Maintenant, on ne va pas se lancer dans une taxinomie ministérielle en mettant, dans un ordre ascendant et hiérarchique, d’un côté les beaux et d’un autre les laids. Nous risquons de sombrer dans un eugénisme électoral coupable qui nous imposerait rapidement, si on n’est pas intellectuellement vigilant, une sorte de solution finale condamnable.
Laissez-les vivre les quelques petites semaines qui les séparent de la fin programmée de leur fonction illustre. Même s’ils continuent à squatter la télé avec des inaugurations bidon ou le lancement de projets aussi impromptus qu’aléatoires. Il faut être généreux. N’avez-vous jamais entendu hurler de douleur le soir au fond des bois un ministre en partance. Ça déchire les sens assoupis. Ça découd les sentiments les mieux tissés. Et ça taillade les foies les plus biliaires.
Un ex-ministre de mes amis m’a dit un jour après s’être assez bien remis de son sevrage que ce qui lui manquait le plus, ce n’est ni le salaire, ni la voiture, ce sont les plantons et leur décorum, le regard consentant de ses interlocuteurs obligés et les garde- à-vous aux carrefours. C’est ce genre de petits riens qui font un tout. Et quand ils arrivent à manquer tout, manque. Finalement, nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons.

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