Editorial

La chaussure de Jettou

Le risque d’explosion, en plein vol, de la majorité parlementaire du Premier ministre, Driss Jettou, est réel. La bataille pour la présidence du Parlement sert, aujourd’hui, de détonateur à cette déflagration attendue, et aussi inutile que contre-productive.
Mais avant d’aller plus loin, il serait utile que l’on constate, ensemble, que je suis le moins indiqué pour défendre cette majorité. Nous avons formulé des réserves très sérieuses dès sa constitution et les critiques solides que nous avions, à l’époque, adressées au gouvernement de Driss Jettou, surtout après le cirque des élections municipales, sont, aujourd’hui, tombées dans le domaine public. Le Premier ministre, lui-même, bon joueur, a convenu du bien-fondé, non seulement de notre démarche, mais de notre analyse.
Maintenant que nos prédictions, dans les faits, s’avèrent exactes, on va rendre à César ce qui lui appartient. Fallait-il à tout prix mettre l’USFP et l’Istiqlal dans le même gouvernement ? Les deux voulaient y être. Ils y sont. Mais, mêmes liés par un machin obsolète appelé Koutla, les deux partis ne sont, sur le terrain, ni des alliés, ni des coalisés sur le front électoral. Au Parlement, aujourd’hui, ils sont des «rivaux» déclarés : Abdelhamid Aouad veut la place de Abdelouahed Radi. Et il en a les moyens. De l’autre côté du fleuve, la Mouvance populaire joue l’arbitre en masquant son jeu. Si elle se débrouille bien, pour une fois, elle peut rafler la mise en renvoyant les deux protagonistes au tapis. Le PJD, lui, boit du petit-lait. Il jouit de sa qualité de leader de l’opposition tout en se préparant, le cas échéant, à assumer, avec foi, des responsabilités gouvernementales. Au second tour des élections pour le Perchoir, le PJD votera pour Aouad -une question de valeurs partagées – et obtiendra par là même son ticket d’entrée à la majorité gouvernementale. Bien joué. L’UC ou le PND peuvent, de leur côté, voter pour Radi et si ce dernier gagne, ils peuvent légitimement demander à être payés en retour. Le RNI, quant à lui, se positionnera en fonction d’un seul élément. Voter pour celui qui garantira à ses ministres de rester au gouvernement. L’ambition est simple, mais elle a le mérite d’être claire.
Face à ce schéma emberlificoté, on ne peut que demander à Dieu de venir en aide à Driss Jettou, un Premier ministre indépendant, mais gérant une majorité hétéroclite avec laquelle, au hasard de discussions interminables et oiseuses, il devait composer sans une feuille de route politique préétablie. Depuis le premier jour, le problème est là. Le programme du gouvernement Jettou et ses priorités sont extraits des discours royaux. Ce programme n’est pas le produit d’une coalition partisane victorieuse aux élections. Le Premier ministre lui-même a été choisi par le chef de l’État en dehors de la sphère partisane, car aucun parti n’a pu imposer un leadership politique et électoral indiscutable. La majorité actuelle, quant à elle, est venue, de manière factice, s’agglutiner autour de Driss Jettou et son gouvernement sans que la légitimité de sa démarche ne soit justifiée. Tous les partis politiques, sans exception aucune, voulaient entrer au gouvernement Jettou, sans aucune réserve. Sauf celle concernant les hommes à ministrabiliser. Jettou a choisi. Bien ou mal, peu importe désormais. Moussa Haj ou Haj Moussa, c’est du kif-kif au même. Il a, d’emblée, choisi de travailler avec des hommes à lui et c’est ce qu’il fait. Son bilan dépendra de la qualité personnelle de ses ministres actifs et de leur capacité à coller concrètement au rythme qu’il imprime à son action. Ils sont 5 ou 6 dans ce cas de figure.
Venir, aujourd’hui, à deux années de la fin du mandat du Premier ministre poser le problème de la refonte de sa majorité, c’est, tout simplement, choisir de faire perdre du temps à notre pays. Par un petit tremblement de terre politicien, dont l’épicentre est au Parlement ouvrir de nouveau des négociations pour une nouvelle majorité parlementaire, c’est prendre délibérément le risque de casser ce qui marche à peu près correctement dans l’action gouvernementale. C’est, aussi, infliger inutilement à Driss Jettou l’exercice qu’il aime le moins dans l’action publique et pour lequel il n’est pas formé, alors qu’il ne lui reste en fait que 12 mois pleins pour pouvoir exciper d’un vrai bilan.
Les manœuvres auxquelles nous assistons anticipent les affrontements qui auront lieu en 2007. Mais celui qui ouvre les hostilités aussi tôt prend le risque de se disqualifier pour l’avenir. Ce dont Driss Jettou et notre pays ont besoin, aujourd’hui, c’est d’un moratoire politique jusqu’à la fin de la présente législature. Une sorte de statu quo en attendant de revenir à la vérité des urnes, à la vérité des programmes et à la vérité des alliances. Mettre un caillou dans la chaussure de Jettou est, à présent, un geste inutile, voire irresponsable.

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