Editorial

La symétrie des impostures

© D.R

L’après-guerre a déjà commencé. C’est drôle. On défile, on s’oppose, on critique et on dénonce. Mais dans les faits on agit comme si la guerre avait déjà eu lieu. Une forme de fatalité particulière à laquelle nous ne sommes pas habitués envahit nos esprits. La formidable campagne militaro-désinformationnelle américaine a déjà fait son oeuvre. On ne compte ni les morts, ni les drames, ni les massacres, ni les villes détruites ni les champs de ruines désolés. On passe immédiatement de l’avant-guerre, de la mobilisation universelle pour la paix, à l’après-guerre avec ses projections géopolitiques morbides.
La guerre quant à elle, dans son horreur intrinsèque, est occultée comme une espèce de parenthèse nécessaire, incontournable, inévitable, impérieuse et irrésistible mais sur laquelle on ne s’attarde guère.
C’est comme si un travail de deuil, psychologique, a commencé avant l’avènement du deuil lui-même. Cela s’appelle, je crois, tout simplement, la résignation. La résignation à la force, à la puissance et au pouvoir des armes.
Le Conseil de sécurité des Nations unies est majoritairement contre la guerre. L’Afrique est contre la guerre. Le Mouvement des Non-alignés est contre la guerre. Les pays musulmans sont contre la guerre.
Les Arabes et les Européens dans leur majorité écrasante aussi. Mais le problème, c’est que Bush la veut. C’est cela qui constitue, si l’on peut dire, le drame. Le drame du monde. Le nôtre, bien évidemment.
Alors nous aussi, comme les autres, on a défilé dimanche. Avec nos expressions propres, notre diversité, nos inquiétudes et nos contradictions. On a chahuté Bush comme tout le monde, appelé à la paix, vilipendé comme d’habitude les dirigeants arabes, pleuré la Palestine et célébré l’Islam. Mais comme à l’accoutumée, nous avons aussi fait défiler nos arrière-pensées, nos petits calculs, notre misérable politicaillerie et nos fanfaronnades extrémistes. Chez nous, c’est la règle depuis plus de dix ans, quand on défile pour la Palestine ou pour l’Irak, même quand la démocratie s’affirme, on montre surtout nos petits biscoteaux de politique intérieure. C’est à la fois dérisoire et pathétique. Une manifestation pour le rejet de la guerre, un sujet grave par définition qui ne peut être ressentie, chez nous, que comme des manoeuvres politiciennes grossières. L’expression démocratique collective et organisée est détournée de son objet principal, noble et universel, pour être fourvoyée dans des combines domestiques.
Alors que la guerre sonne à notre porte, nous, on compte les gandouras. Alors que le Moyen-Orient est en train d’imploser sous nos yeux, nous, on dénombre les barbus. Alors que le mode a peur et se mobilise, nous, on s’offre un pseudo sondage lamentable d’où chacun veut tirer, misérablement, des petits bénéfices.
Voilà ce que dit du sursaut pacifiste et citoyen marocain de la manifestation de Rabat Fathallah Arsalane, un apparatchik d’Al Adl Wal Ihssane, à l’Agence Reuters : «Les autorités ne réussiront pas à nous museler quels que soient leurs efforts. Elles ne peuvent nous extirper des coeurs et des esprits du peuple marocain». Quel est le rapport avec l’Irak et la guerre de Bush ? Rien, sauf la symétrie dangereuse des impostures.

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