Editorial

Les trottoirs de Bouarfa

© D.R

Pour refaire un trottoir à Bouarfa, il faut que le ministre de l’Intérieur signe le dossier à Rabat. Imaginez-vous qu’il ne connaisse pas Bouarfa, qu’il ne connaisse rien aux trottoirs en général et ceux de Bouarfa en particulier, qu’il ignore si cette bonne ville a vraiment besoin d’un trottoir, et qu’il se méfie des faux trottoirs comme de la peste. Vous voyez le problème, le résultat va être catastrophique : Bouarfa va mettre 6 ans pour avoir un faux trottoir qui n’a jamais existé et, au passage, on aura ainsi privé le président de la commune de la pierre d’achoppement de son bilan. Et l’on dira encore que l’autorité hégémonique et dominatrice a jeté une pierre dans le jardin d’un élu sincère et transparent comme des opérations votatives suisses. Autre problème. Un président vend à 200 DH le mètre carré un terrain appartenant à sa commune. Il envoie le dossier à Rabat pour que le ministre de l’Intérieur le signe. Ce dernier est dubitatif, comme tous les ministres de l’Intérieur du monde. Et si le terrain coûtait plus ? Et s’il coûtait moins ? Et si, ce qui est dramatique, il coûtait effectivement 200 DH le mètre ?
Cette honnêteté ostentatoire ne cacherait-elle pas une malhonnêteté plus subtile qui aurait échappé à la tutelle tatillonne ? Eh oui, c’est dur d’être ministre de l’Intérieur dans ce cas précis, surtout si le terrain en question est toujours à Bouarfa. Maintenant, imaginez que Bouarfa décide de se lancer dans les nouvelles technologies de l’information et d’édifier une technopole qui puisse rivaliser avec le parc industriel «hi-tech» dédié à l’aéronautique et aux industries spatiales de Figuig. Là vous comprendriez tout de suite que les choses se compliqueront et le ministre ne signera rien sans avoir finalisé la construction dudit trottoir et avalisé définitivement la cession du terrain à 200 DH. Sinon, rien en sera possible.
C’est ça le quotidien de nos collectivités locales, toutes engagées autant qu’elles sont dans les NTIC comme Bouarfa. Un trottoir peut effectivement bloquer la mondialisation et contrarier l’avènement du libre-échange globalisé du 3ème millénaire si on ne fait pas attention. C’est pour cela que Driss Jettou, notre pragmatique ministre de l’Intérieur, dans le sillage de la lettre royale sur l’investissement, a préparé un gros paquet de 85 000 signatures à renvoyer de Rabat vers les régions et les provinces. Que les Walis et les gouverneurs se débrouillent en toute légalité déconcentrée. C’est à eux de se farcir, dans le style «Je suis décentralisé ,mais je peux toujours vous chercher des poux dans la tête» , le trottoir de Bouarfa et le terrain à vendre qui va avec.
Ils peuvent aussi plancher sur la technopole troglodyte de Bouarfa, s’ils ont le coeur à l’ouvrage, et laisser un peu tranquilles les parapheurs du ministre. Il a autre chose à faire.
Toutefois, il est évident qu’avec le nouveau concept de l’autorité, aujourd’hui, tout est possible, y compris la possibilité de rencontrer l’ancien. La dernière fois que j’ai demandé à mon Mokadem – un célèbre agrégé de philo comme tout le monde le sait dans le quartier – qu’est ce que c’est qu’un concept, il est resté prostré pendant des heures. Il a fallu le réanimer à coups de billets frais de 200 DH. 200 dirhams -dites-vous ?- exactement le prix au mètre du fameux terrain de Bouarfa. C’est étonnant.

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