Editorial

Les vacances de Job

La rumeur est un sujet inépuisable et, pour un journaliste, elle est à la fois le recours, le marronnier, toujours en fleurs, l’attelle, la béquille, le soutien, la source d’inspiration, le filon d’or inépuisable, la Bible. Des fois, elle prend d’autant plus de relief qu’elle vous est parvenue par des voies qui se veulent très mystérieuses, bien introduites, initiées et quasiment dans le secret des dieux. Lorsque, par exemple, quelqu’un de ces spécialistes (presque un métier à plein temps) de la diffusion de la rumeur, parcimonieuse en apparence mais à rayonnement très large dans les faits, vous aborde sur le ton de la confidence et vous fait part de la «dernière», en vous introduisant dans l’intimité d’une conversation fermée, en tête-à-tête, le plus souvent, vous vous sentez gâté par une telle attention. Il va vous rendre compte des secrets des entretiens d’un chef d’Etat avec un pair, un de ses ministres, un haut fonctionnaire, un officier supérieur ou un proche courtisan. Votre informateur vous reproduira, mot à mot, les termes de cette conversation, intime et confidentielle. Il ne vous taira ni les inflexions de la voix, ni les gros mots qui ont été prononcés, ni le courroux exprimé, ni les supplications honteuses du blâmé, ni l’escalade, excessive, dans les propos du maître de céans, ni la réconciliation, ni le pardon final ou la rupture consommée.
Cela donne lieu à des scènes assez suggestives, à tel point que vous êtes tenté de compléter le tableau en intégrant les décors, les accessoires, le fond sonore, les lumières, avec les tons qui conviennent au contexte, les animaux de compagnie, les gerbes de fleurs, la complicité du temps, les grincements des pneus, le chant du coq, la musique au lointain.
La dernière, et comme pour faire écho à cette surenchère, m’est fournie par le monologue, long et soutenu, d’un vieux monsieur, respectable dans la vie, certainement, et croisé récemment au milieu des vapeurs d’un bain maure. Je n’ai pas eu directement et personnellement affaire à lui, mais par le simple vagabondage de mes oreilles, j’ai été épaté par son discours. Il était en train de rapporter, avec moult détails, et à voix très haute, une scène à son jeune masseur. Elle remonte aux temps immémoriaux de l’Histoire et elle met en jeu Sidna Ayoub (Job), dans les propos qu’il avait échangés avec Notre Seigneur Tout-Puissant. J’ai été, personnellement, époustouflé par l’accent purement fassi des propos échangés par ces interlocuteurs, respectables et respectés, par la familiarité et la simplicité du protocole qui régissait les relations entre Dieu et ses sujets-subordonnés, par la ressemblance extraordinaire entre les moeurs d’antan et celles d’aujourd’hui. J’ai notamment appris nombre de secrets sur la vie et la patience légendaire de Job.
«Un jour qu’il était assis, baignant dans le pus et les ecchymoses de ses plaies, il avait perdu tous ses cheveux, toutes ses dents et son corps, maigre, était parcouru de taches violacées qui marquaient sa peau, le long des bras, sur le visage, les jambes. Personne ne savait de quel mal il souffrait ; au retour d’un voyage durant lequel Dieu sait qui il avait rencontré, qu’est-ce qu’il avait fait, il a commencé à changer physiquement à vue d’oeil…». La morale qui donnera lieu à la légende de la patience de Job est qu’il n’a jamais demandé à Dieu de soulager ses souffrances. Pour nous, simples pécheurs ci-bas et désireux de jouir d’un instant de détente, notre patience a été mise à rude épreuve.

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