Editorial

Les vertus du dissensus

© D.R

Personne ne s’est aperçu d’une chose. Pourtant elle ne devait pas passer inaperçue dans un pays comme le nôtre. Et pourtant. Il n’y a plus rien et personne ne s’en est rendu compte. Tout s’est évaporé. Progressivement, mais totalement. C’est extraordinaire. Il n’y a plus de divergences. Plus de nuances. Plus de contradictions. Plus de contre-propositions. Plus d’idées. Plus rien. Nous naviguons dans la pensée unique la plus délétère et dans la réflexion la plus naphtalinisée. On ne voit qu’une tête. Et un seul visage. Celui du libéralisme le plus rudimentaire à la sauce locale. Il n’y a plus de débat économique au Maroc. Même pas le commencement des prémices d’un débat. Rien. Les chercheurs ont été remplacés par les consultants. Les experts par les conseillers en communication. Les observateurs par les VRP des lobbies. Les enseignants par les vacataires des écoles privées. Les journalistes spécialisés par des trimardeurs rémunérés à la tâche. Et même le ministre des Finances a été remplacé par un haut fonctionnaire du FMI. Voilà. Notre paysage intellectuel économique est aussi sinistré que notre économie elle-même. Quelle est l’origine de la panne de l’investissement national ? On n’en sait rien. Peut-être de la panne elle-même. Notre fiscalité bloque-t-elle la croissance ? Posez la question à la fiscalité. À quoi servent les grands équilibres ? À avoir des distinctions internationales, peut-être. Quelle est l’utilité d’une inflation maîtrisée ? D’un déficit contenu ? De dépenses publiques réduites à la peau de chagrin ? A quoi peut servir l’investissement de l’État ? Le gel de la consommation des ménages ? Le désinvestissement industriel ? La déprotection du textile ? De la banane ? De la tomate ? De Tout ? On ne sait strictement plus rien. On a dû décider tout cela dans une autre vie et l’on a oublié pourquoi. Certains appellent cela des « choix » parfois ils ajoutent « stratégiques », cela fait plus profond. Mais quand un choix est unique quel nom porte-t-il ? Tout ce que l’on nous dit et que l’on ânonne comme des ânes, c’est qu’en 2010 c’est l’accord de libre-échange avec l’Europe. Pourquoi on l’a accepté ? Tais-toi crétin tu ne comprends rien ! Demain, l’accord de libre-échange avec les USA. Pourquoi ? Ferme-là, tu ne comprends rien à la géopolitique ! En 2010, c’est la Coupe du monde de football? Pourquoi le foot? Boucle-la fainéant ! Dix millions de touristes en 2010 ? C’est peut-être un peu trop ? Silence, ignorant de la prospective futuriste ! Plus de bidonvilles dans quatre ans ? Comment on va faire ? Ça suffit, salafiste latent, graine de kamikaze ! Notre débat se résume, bien sûr, caricaturalement, à cela. Les choix sont faits, comme au casino. Rien ne va plus. Maintenant, pour redevenir sérieux, il faut dire que tous les débats chez nous sont plantés depuis belle lurette. Montrez-moi un seul débat qui fonctionne honorablement. Aucun. Le premier qui l’ouvre se fait tabasser par des hommes de main appointés. Alors pourquoi voulez-vous que le débat économique soit fracassant, vif et intelligent ? Il n’y a, vraiment, pas de raison. Qui sème le consensus récolte la mollesse.

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