Le niveau des dommages et intérêts — 6 millions de dirhams — atteint dans la condamnation du quotidien «Al Massae», dans l’affaire de Ksar El Kébir, ne «pénalise» pas uniquement le directeur de cette publication pour une faute commise, avérée, et pour laquelle des excuses publiques ont été présentées par voie de presse. Cela va plus loin. Ce jugement, par ses conséquences financières, entend mettre en faillite l’entreprise en question et jeter dans la rue ses salariés. Ce n’est plus une application légitime de la loi, à laquelle personne ne veut échapper, mais une punition collective, une sorte de razzia judiciaire, dans laquelle la condamnation n’est ni proportionnelle, ni individualisée, ni personnalisée, ni adaptée aux faits et au contexte précis. Si l’objectif d’une condamnation en matière de délit de presse est de rétablir la vérité, de «réparer» l’honneur touché, de restaurer la dignité des gens ou l’honorabilité maculée, il est légitime. Et aucun professionnel, digne de ce nom, ne le conteste. L’Etat de droit s’applique aussi, et surtout, à la presse. Mais si l’objectif est, in fine, de se venger d’une profession, de faire fermer une entreprise de presse, ruiner son investissement et ses efforts — et par conséquent faire taire sa voix singulière— par la réclamation de dommages et intérêts irréalistes et farfelus, ce n’est plus, en vérité, d’une affaire de justice qu’il s’agit. C’est plutôt une affaire d’injustice. Le fait que les demandeurs, dans cette calamiteuse affaire, soient des magistrats n’est pas, en soi, un facteur d’explication, il devient, dans le cas d’espèce, une circonstance aggravante.