Faire vivre le Maroc du 14ème siècle d’une manière crédible, spirituelle, sensible et intelligente, telle est la prouesse artistique indéniable réalisée par Ahmed Toufiq, le ministre des Habbous et des Affaires islamiques. La publication en français de son roman, «Les voisines d’Abbou Moussa», écrit en arabe en 1997, par les éditions Le Fennec, est, vraisemblablement, un des évènements majeurs de cette rentrée littéraire. De quoi s’agit-il, au juste ? D’un Maroc sultanien — makhzénien, on dirait de nos jours — où les destins sont écrits à l’avance, où l’ordre est immuable, où la société est durablement hiérarchisée, où la vie est dure mais où l’égalité entre tous est assurée par une foi sublimée. L’auteur nous propose un traité de soufisme marocain à usage quotidien. Vécu, pratique et porteur d’ouvertures personnelles à ceux à qui toutes les portes semblent fermées. La passion d’Ahmed Toufiq pour la spiritualité est connue et respectée. Toutefois, avec ce roman, il a réussi à donner à cette passion, impérieuse chez lui, une vie réelle, tangible. Il a ramené, avec un talent de narrateur achevé, les choses de l’esprit — produit d’une élévation intellectuelle souvent raffinée —, à la hauteur de petites âmes empêtrées. Un ailleurs forcément divin contre un ici-bas sordide. Salé sert de décor féérique à cet exercice de haute volée. Ahmed Toufiq fait revivre, avec une infinie douceur, les métiers, les gens, les espaces proches et lointains, les pouvoirs, la ville, les champs, les croyances, les frustrations, les amours, etc. La lecture de ce livre participe à donner corps à une marocanité séculaire qui est extrêmement difficile à saisir dans le tintamarre d’aujourd’hui.