Editorial

Savez-vous sonder les choux ?

© D.R

La vague de protestations partisane qu’a suscitée le sondage d’opinion Alm/Csa-Tmo/Maroc 2020 que nous avons publié le 28 novembre 2001est absolument normale. Révéler, certes sur la base d’un sondage, que près de 88% des Marocains tournent le dos à la politique est un fait effectivement difficile à admettre.
Au-delà des réserves d’usage, légitimes, qui entourent tous les sondages, leur fiabilité ou la représentativité de leur échantillon, il faut savoir raison garder et ne pas verser dans l’hystérie démagogique. Un sondage est une photo de l’opinion à un moment donné, c’est tout. Cette photo peut évoluer ou peut radicalement changer à la faveur d’un fait, la situation peut régresser ou progresser ; en tout cas ce n’est jamais figé. La multiplication des sondages peut quant à elle nous informer sur l’évolution de la question ou du sujet traité sur une période plus longue. Tout cela est connu. Mais le consensus entre tous les protagonistes mécontents, ou franchement en colère contre le sondage s’est réalisé à un niveau qui est quand même assez inquiétant. On en appelle à l’Etat pour légiférer et codifier les sondages au Maroc. C’était la réaction la plus commune. Mais personne ne nous a dit ce sur quoi il faut légiférer. Ce que nous avons retenu comme arguments sont étonnants : ne doivent faire des sondages que les personnes habilitées. Oui, mais qui habilite et pourquoi et de quelles valeurs morales ou politiques ou de quelle légitimité supérieure cette instance tient son pouvoir d’habiliter ou pas. L’accès au sondage est libre : une administration, des consommateurs, des usagers, des associations, des ONG, des partis politiques, des entreprises, des multinationales, une collectivité locale, tout le monde a la possibilité de commander un sondage pour mieux appréhender son activité ou organiser son travail.
L’accès au sondage est une des formes de liberté universellement admise. Nous devons réglementer les questions. On ne peut pas poser n’importe quelle question à n’importe qui. Là on ne commente pas tellement cette approche, on relève seulement le fait qu’elle provient d’une volonté d’encadrer le débat public, de le circonscrire, voire de le mettre sous tutelle. Ce n’est plus une affaire de démocrates et de démocratie. C’est une affaire de malhonnêteté intellectuelle et d’irresponsabilité politique. Aucune instance officielle ou semi-officielle ne peut sombrer dans le ridicule de « légiférer » sur des questions de sondage sans éclabousser tout le pays. Dire ou ne pas dire. Se taire ou parler…c’est ridicule. Celui qui commande un sondage doit être légitime. Oui mais là aussi personne ne dit qui confère cette légitimité. Nous sommes toujours dans le schéma enfantin de celui qui le dit, le premier, c’est celui qui l’est, pour toujours. N’est légitime que celui qui s’auto-confère cette qualité d’une manière bruyante, solennelle ou honteuse car usurpée. Tous les autres qui ont un peu de pudeur et qui ne le disent pas sont des chiens, des – comme l’on dit – fils de prostitués, ou des bâtards sans foi ni loi. La légitimité, la morale et la vertu sont d’un côté et l’indignité, l’illégitimité et la déchéance sont de l’autre.
C’est une certaine vision du monde. Ce n’est pas le monde merveilleux d’Amélie Poulain mais c’est plutôt le monde de la haine et des imposteurs. Le sondage doit être scientifique. C’est évident, normal et nécessaire. Scientifique, oui, avec mais tous les autres préalables avancés et qui sont de fait contre la liberté de savoir, cette science peut ressembler comme une soeur à celle qui renvoyait au goulag. On peut être fou de sondage, mais on doit au moins pouvoir choisir son psychiatre. Tous ceux qui font des sondages sont des comploteurs contre la nation. Ça c’est vrai parce que tout le monde l’a dit. C’est un complot ourdi par des forces obscures financées par des puissances secrètes pour détruire les partis politiques constitués, le mouvement national, la transition démocratique, l’alternance, le gouvernement de progrès, la majorité, la gauche au pouvoir, et les élites politiques comme avant-garde, volontaire et généreuse, de la nation. Oui, d’accord, les gars, mais ce n’est qu’un sondage. Ce n’est pas la guerre contre l’Algérie, ni la capitulation contre l’Espagne, ni l’état d’exception, ni la dissolution des deux Chambres, ni la suspension de la Constitution. Ce n’est qu’un sondage, alors on se calme. Gardons nos forces, il y a trois autres encore à venir avant les élections. Nous avons tout notre temps…

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