Editorial

Sinistrose, quand tu nous tiens…

Les amis de notre Premier ministre, Driss Jettou, commencent à parler en privé – c’est leur secteur favori – de sinistrose. Alors, forcément, quand ils en parlent…ça suppure, ailleurs. Après nous avoir chanté sous tous les modes un remake tropicalisé du refrain suranné «Tout va bien madame la marquise », ils se rendent compte que rien ne va. Justement. Mais est-ce vraiment la faute exclusive d’un honnête homme appelé Driss Jettou ? Peut-on sérieusement demander à un homme égaré dans les méandres glauques de notre vie politique, lesté par les insuffisances notoires de notre économie et ligoté fermement par notre haute administration de faire plus que ne le permettent les qualités qu’on lui attribue, habituellement pour mieux le mettre en difficulté? Non. Il est vrai que le Premier ministre ne peut imposer par voie de décret le bonheur, ni l’enthousiasme, ni l’euphorie. Il ne peut pas non plus décréter la confiance encore moins l’optimisme. Alors que reste-t-il de la promesse fugace, un peu surdimensionnée, compte tenu de l’épaisseur de notre conjoncture, qu’il a incarnée ? Peu de choses. A-t-il élargi le périmètre constitutionnel que confère justement la constitution au Premier ministre? Non, il joue sur le même registre que le palais royal qui est autrement plus pugnace et plus efficace sur les dossiers qu’il prend directement en charge. Le plaît-il, Monsieur Jettou, qu’il ne pourrait pas le faire tellement, en s’arc-boutant sur un carré de ministres aussi dévoués qu’inexpérimentés, il s’est coupé des moyens dont dispose un gouvernement, naturellement constitué. Alors que se passe-t-il ? Pourtant le Premier ministre est, pour faire vite, un responsable «institutionnellement correct». Sa carrière le démontre, il a toujours été en phase. Il n’a jamais fait dans le genre décalé ou transgressif pour pouvoir, aujourd’hui, exciter à vérifier d’un quelconque désamour, aussi insolite qu’anachronique pour quelqu’un de son profil, de la part de ce que ses nouveaux amis appellent, avec beaucoup une délectation assez nostalgique, le makhzen. Là non plus, on ne trouve pas. Et si on voyait du côté de la communication! On ne voit rien non plus. Il a un porte-parole à la loquacité aussi franchement indiscutable que sympathiquement envahissante. Nabil Benabdellah paie de sa personne, sans compter, en occupant quotidiennement, avec une abnégation qui finalement force l’estime, les deux chaînes de télévision publiques, sous sa tutelle, comme jamais personne, dans l’Histoire récente de ce pays, ne l’a fait avant lui. Ça améliore redoutablement la visibilité du ministre de la Communication mais peu celle du gouvernement et même, souvent, pas du tout celle de son patron le Premier ministre. C’est un cas sur lequel devraient se pencher, sérieusement, un jour, les chercheurs en communication. Il me semble que les spécialistes appellent cela dans leur jargon fleuri le «cannibalisme». Quel est, donc, notre problème ? Nous n’avons pas de problème à en croire certains abonnés au pack du bonheur infini du libéralisme à bon escient et à l’offre exclusive de la dérégulation de bon aloi. Il faut peut-être un jour arrêter de se moquer des gens. La nationalisation «comptable», de fait, des projets de logement du secteur privé ne fait pas, à elle seule, une politique nationale du logement. Cela crée des statistiques avantageuses, pas plus. La signature du nouveau code du travail, rédigé et voulu, à juste titre, par l’UMT, ne crée pas une politique de l’emploi alors que dans tous les secteurs, traditionnellement pourvoyeurs d’activité, on perd des emplois. Le maintien précaire de l’investissement international, aussi spectaculaire soit-il parfois, ne peut pas masquer la panne de l’investissement national. Les grands équilibres financiers avec leur vision «intégriste» de notre économie ne peuvent masquer notre indigence totale, depuis plus de vingt ans, à imaginer une autre politique économique pour le pays. Quant à être fier en 2003 de notre programme autoroutier, il y a quelque chose que la pudeur nous interdit de dire à l’aube de ce troisième millénaire. Même le credo libéral, pour emprunter à l’air du temps ce qu’il a de plus irrésistible, est battu en brèche. Dès que des gros intérêts, des corporations ou des lobbies se mettent en action, on maintient les monopoles contre toutes les nécessités de réforme et de modernisation. Même dans le champ médiatique où le discours sur la libéralisation fait florès, d’une manière bavarde, on renforce, dans un mutisme effarant et des complicités intellectuelles multiples, l’étatisation – presque à la soviétique des bonnes années – d’un service public télévisuel exténué sous les poids conjugués de l’indigence, morale et matérielle, et d’une tutelle superbe, sûre d’elle-même et vaniteuse. L’on voit bien, ensemble, que nos affaires publiques, surtout, vues sous cet angle, n’incitent guère à la franche rigolade. Quant à la sinistrose, il vaut mieux franchement en rire.

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