Editorial

Un gouverneur est replié et c’est tout le peuple qui est dépeuplé

© D.R

Ça y est, on l’a eu, notre gouverneur ! Quelle joie intense remue les tripes de la nation unie ? Quel plaisir raffiné traverse doucement les entrailles de notre corps social embaumé ? Quel frisson ardent réchauffe notre société civile congelée? Et quelle charge d’adrénaline sublime stimule notre opinion publique alerte ? Un gouverneur est tombé courageusement sur le champ d’honneur de la transparence et de la sincérité des élections. Que demande le peuple? on ne va pas lui donner du pain en plus. Gloire, donc, au processus démocratique rigide comme le droit et ferme comme la justice. Il va falloir que l’on édifie solennellement à Azilal une stèle commémorative pour marquer à jamais l’événement. «Ci-gît le gouverneur inconnu qui a payé de sa chair pour l’avènement de la transparence électorale et la sincérité votative dans notre pays ». Il restera à entretenir la flamme pour que cet agent d’autorité généreux demeure à jamais le porte-flambeau de nos enthousiasmes démocratiques les plus enflammés.
Mais, à cette occasion, il faut quand même noter une chose. Le ministère de l’Intérieur version nouveau concept de l’autorité rédige mieux ses communiqués, tels qu’ils nous sont servis par l’agence nationale. «Afin de garantir les conditions de neutralité et de transparence nécessaires au déroulement des prochaines échéances électorales, le ministre de l’Intérieur a décidé de replier le gouverneur de la province d’Azilal sur l’administration centrale.» D’abord, ça commence avec « afin ». C’est une vraie trouvaille.
Commencer par conclure en guise d’introduction, c’est fort. On vous sert la finalité avant la cause ! Sur le plan rhétorique, c’est imparable et la valeur argumentative est indéniable. Ensuite arrive le verbe «garantir». Là, ça installe tout de suite un climat de confiance. C’est du bon business. Qui n’aime pas les garanties et les jouissances assurées qu’elles annoncent? C’est rassurant, contractuel et ça génère un droit. Et derrière, on sent poindre le fameux «satisfait ou remboursé» qui va en général avec. C’est super ! Mais cette garantie veut dans ce cas d’espèce nous offrir «des conditions de neutralité». Vous remarquez tout de suite que le rédacteur du texte ministériel a fait philo. La neutralité ne peut jamais être confondue avec les conditions qui déterminent sa réalisation. La neutralité ne peut jamais exister en elle-même dans l’absolu, sans les conditions qui favorisent sa transmutation de concept évanescent à une réalité tangible.
Pour être plus clair, on peut prendre en exemple un couple lié par une relation conjugale. Si on parle des «conditions de la fidélité», vous voyez les dégâts que cela peut faire. Si un homme dit à son épouse : «Je suis innocent, mais j’étais dans un lieu où les conditions de la fidélité n’étaient pas réunies», il va recevoir une casserole sur la tête, c’est tout. Lui et la fidélité ne sont pour rien, ce sont les conditions qui sont en cause et qui sont dans ce cas précis incarnées par une jeune femme aux atouts irrésistibles qui n’arrêtait pas de se trémousser sous le nez de l’homme fidèle. Alors, dans ces conditions…, il ne répond naturellement de rien.
Passons sur la transparence, la démonstration vaut aussi pour elle, et revenons à notre communiqué fondateur de la nouvelle ère qu’il ne faut pas confondre avec le nouveau testament. On lit ensuite que le ministre a décidé de replier le gouverneur sur l’administration centrale. Là, il faut marquer une pause. Replier un gouverneur relève tout simplement du tour de force. Ce n’est pas facile. Déjà pour le déplier, quant à le replier, c’est une double prouesse physique. Car nos gouverneurs, en général, sont costauds et surtout rigides. Je ne connais pas le gars qui replie les gouverneurs au ministère de l’Intérieur, mais il doit avoir une sacrée équipe d’ouvriers, et un immense atelier. Allez replier Driss Benhima et vous allez voir le travail que ça demande. Une législature ne suffirait pas ,car notre wali à nous est sportif et en bonne forme, que Dieu le préserve.
Nos rédacteurs auraient pu écrire « rappeler à l’administration centrale », ils ne l’ont pas fait. C’est «replier sur l’administration centrale» qu’ils ont écrit. On voit d’ici si le concept de l’autorité prospère et si les conditions de neutralité et de transparence des élections continuent à être garanties, on ne pourra plus voir l’administration centrale avec tous les gouverneurs repliés sur elle. D’abord ça va étouffer les fonctionnaires sur place et obstruer les accès de service. On s’acheminera alors directement vers l’étouffement total de l’activité d’un ministère-clé dans justement la réussite du processus. Un tas de gouverneurs repliés, ça fait une vraie montagne de problèmes. À l’avenir, il vaut mieux choisir de les rappeler même si c’est en nombre, ça fera plus élégant et plus moderne. N’est-ce pas?

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