Editorial

Un ministère de l’Amour

Le Pape est mort. Rainier est mort. Fatna Bent Lhoucine est morte. Voilà, maintenant, chacun peut pleurer et enterrer son mort comme il le conçoit. Pleurer les morts des autres a quelque chose d’inconsistant. Une sorte de compassion à distance qui manque de corps et de substance. Avec Fatna, nous tenons un authentique deuil national. Un vrai, celui qui titille l’identité, qui travaille l’inconscient et qui vous renvoie à votre propre image.
Le pontificat de Fatna a duré 60 ans. Jeune Chikha, elle a parcouru les quatre points cardinaux avant d’être «ordonnée» papesse de la aïta. Une sorte d’appel qui vient de loin, des tréfonds de la terre. Elle a  régné sur un territoire plus grand, des milliers de fois, que le rocher de Monaco. Son Vatican à elle, c’était Sidi Bennour. Ses fidèles se comptaient par millions, leur dévotion était paillarde et leur liturgie un peu avinée. Bois, c’est du rouge. Mange, c’est de l’agneau.  La chair et le sang. Une parabole vécue au quotidien, souvent, très tard le soir, des vêpres iconoclastes.
Fatna ne faisait pas des miracles. Elle-même était une miraculée de la vie. Elle n’était pas une sorcière, sa magie ne trompait personne, la foi était trop exubérante. Non, elle officiait avec amour, constance et labeur. Avec la patience des pasteurs prosélytes. Recommencer, séduire, transporter jusqu’à la conversion finale. Et la lumière fut.
C’est vrai qu’elle pouvait détourner un croyant de la prière. Un père de famille de ses devoirs. Quelques femmes de leur vertu. Mais l’esprit était le même, seule la communion changeait de nature. Pour le reste, Dieu restait au centre de tous les plaisirs. C’est lui qui a fait Fatna à l’image de nos désirs. Probablement pour mieux nous éprouver. Mais quand l’épreuve est douce, la rencontre avec le divin se fait au son d’un violon râpeux et d’une taârija sourde.
Fatna convoquait les corps. Ceux-ci, se rendaient avec âmes et bagages. Elle demandait la reddition des esprits. Ceux-ci venaient avec leurs peines et leurs morsures. Elle demandait une capitulation totale, et souvent elle l’obtenait. Des riches, des puissants, des démunis ou des nécessiteux. Son ordre était transcendantal. Il se fichait des classements ou des hiérarchies. Tout le monde, avec elle, était inscrit au même registre : celui de la sensualité, de la jouissance et de la délectation.
Le domaine de Dieu est bel et bien le ciel. Celui de Fatna était plus terre-à-terre. Mais, il avait quand même une certaine hauteur. Celle des âmes dévouées au ravissement des autres. Un sacerdoce courageux qu’elle a su faire vivre en creusant des sillons de tendresse et d’amitié. En quelque sorte, un ministère de l’Amour.  

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