Emploi

Eric Giuily: La com’ ne doit pas être une affaire de gourous

© D.R

Eric Giuilly, responsable en France de la conception et de la mise en œuvre des lois de décentralisation au ministère de l’intérieur entre 1981 et 1986, a accompagné, par la suite, plusieurs grandes entreprises en matière de communication. Son livre, intitulé «Affaire de Com’», coïncidera avec sa présidence à la tête de Publicis Consultants où il occupera cette fonction pendant 7 ans.

Il décidera, par la suite, de monter son propre cabinet, spécialisé en stratégie de communication qui consacre une grande part de son activité à la gestion de crise en entreprise. Son regard sur le métier de la com’ est édifiant à plus d’un titre. Interview exclusive.

ALM : Vous avez été directeur général des collectivités locales en France pendant plusieurs années. Qu’est-ce qui vous a motivé à créer votre cabinet de communication ?
 

Eric Giuily: Le lancement de CLAI a été l’aboutissement d’un parcours très diversifié. Après avoir quitté la direction générale des collectivités locales, j’ai dirigé plusieurs entreprises dans le domaine des transports et des médias. Puis, je me suis tourné vers le métier de consultant en intégrant le Groupe Publicis, dont j’ai dirigé la branche communication corporate et institutionnelle pendant plus de 8 ans. Après avoir été haut fonctionnaire, manager salarié, j’ai souhaité tenter une nouvelle expérience, celle d’entrepreneur, être indépendant et n’avoir de compte à rendre qu’à mes clients et à moi-même.

A quel niveau vous positionnez-vous dans le monde de la com’ ?

CLAI est un cabinet indépendant de conseil en stratégie de communication corporate et institutionnelle, qui intervient principalement dans deux domaines, à savoir l’accompagnement de situations et projets sensibles par la communication et la définition de l’identité et la promotion de l’image corporate.

Vous êtes l’auteur du livre Affaire de Com’/ stratégies gagnantes, stratégies perdantes. Vous dites dans l’introduction que le livre est né d’une indignation. Pouvez-vous l’expliquer brièvement ?

Cette indignation est née de la tendance très forte des journalistes et de certains de mes confrères, à faire de la communication une affaire de gourous, de ce qu’on appelle les « spin doctors », à qui l’on prête des pouvoirs mystérieux, une influence occulte qui garantirait leur efficacité. Pour moi, celle-ci est un métier, qui repose sur un certain nombre de techniques, de règles et qui s’inscrit dans une pratique éthique rejetant certains comportements ou moyens d’actions tels que la manipulation ou le mensonge. Et j’ai voulu dans ce livre expliquer et surtout illustrer ce que sont ces principes ou règles qui font les stratégies gagnantes.

Comment, selon vous, pouvons-nous détecter une stratégie de com’ gagnante ainsi qu’une stratégie perdante pour rectifier le tir rapidement ?

Un des problèmes majeurs en communication c’est qu’une communication qui part sur de mauvaises bases est souvent extrêmement difficile à redresser. Pour qu’une stratégie de communication soit gagnante, il faut que la dimension communication soit au cœur même de la décision qu’il s’agit d’annoncer ou d’accompagner – quand il s’agit de communiquer pro activement.
Quand il s’agit de réagir à une crise, la règle essentielle est de ne pas se mettre dans une situation où l’on serait amené à se démentir et à exprimer des vérités successives.

La mondialisation a fait que les entreprises font de plus en plus appel à des experts en communication. Selon vous, comment choisir son conseiller en communication ?

Ce qui est très important dans la relation entre le client et son conseiller, c’est la confiance. C’est elle la relation qui permettra un dialogue fructueux entre le spécialiste de son domaine qu’est le chef d’entreprise et l’expert de la communication qu’est le conseiller, afin de définir la stratégie et les moyens d’action les plus adaptés. Cette relation de confiance est d’autant plus indispensable que la communication est un art d’exécution : la stratégie est essentielle mais la manière dont on la met en œuvre compte encore plus ; une bonne recommandation mal appliquée par le client peut se révéler désastreuse.Au-delà de cette confiance, ce qu’un consultant doit susciter chez un client potentiel, c’est l’envie de travailler ensemble.

Dans les pays en voie de développement, la fonction communication continue à être le parent pauvre dans l’organigramme de la société. Quel est votre regard sur cet aspect sachant que vous opérez dans un pays où la communication est bien ancrée dans la culture d’entreprise ?

L’émergence de la communication dans les pays développés est finalement assez récente, surtout dans la dimension corporate et institutionnelle. Elle s’est faite très progressivement, d’une part, par contagion du modèle politique où l’importance de la communication n’est plus à démontrer et a frappé les esprits, notamment ceux des chefs d’entreprises ; d’autre part, parce que les crises diverses (financières, produit, judiciaires, sociales…) ont démontré à ceux-ci l’importance des risques d’image. Je n’ai pas de doute qu’il en ira de même dans les pays émergents.

Selon vous, comment peut-on arriver à ce niveau au Maroc ?

Le développement des entreprises et leur internationalisation, la montée des médias de toute nature, notamment numériques, devraient accélérer cette prise de conscience au Maroc comme ailleurs.
 
Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur des budgets globaux alloués à la com’ en France?

On ne peut pas répondre à cette question car les budgets alloués sont trop dépendants de la taille des entreprises, de leur secteur d’activité, de leur organisation aussi. En revanche, ce qui me paraît essentiel, c’est que les directeurs de la communication, d’une part, aient en charge l’ensemble des communications corporate (externe, interne, financière), pour donner à celles-ci cohérence et force, et, d’autre part, qu’ils participent aux décisions stratégiques et donc qu’ils soient membres des comités de direction ou exécutifs de manière à ce que la dimension communication soit prise en compte à tout moment dans l’ensemble des décisions.

Le débat sur l’image d’un pays est toujours d’actualité. Il intègre en plus de la com’ d’autres éléments qui convergent vers le lobbying. Quels sont les bénéfices justement d’élaborer une stratégie de communication pour une nation ?

On peut faire un parallèle entre les entreprises et les pays. Pour réussir, une entreprise doit construire une image forte qui lui permettra de se caractériser et par là-même de se différencier de ses concurrents. Il en va de même pour un pays dans la compétition mondiale. Pour attirer les activités, les investissements ou les touristes, il faut que le pays ait une image attractive, promeuve ses atouts et ses spécificités. Et c’est ce qu’une communication pays doit promouvoir au même titre que la communication d’entreprise.

La communication de crise est une spécialité à part entière. Vous y consacrez tout un chapitre dans votre ouvrage. Le titre en dit long. Pouvez-vous nous en livrer les principaux axes ?

La communication de crise est effectivement un domaine important des activités de mon cabinet. Pour autant, nous expliquons à nos clients qu’en agissant le plus en amont possible, il est possible d’éviter les crises – même si certaines situations sont imprévisibles, comme un accident.

Il y a trois règles de base en communication de crise : bien évaluer les enjeux réels de la crise, afin de réagir de manière appropriée, c’est-à-dire ni trop, ni pas assez, ni à contretemps ; bien peser les premières prises de parole de façon à n’avancer que des choses certaines et éviter les vérités successives qui rendent progressivement inaudibles ; et enfin parler avec parcimonie et à bon escient – parce que ne pas parler, c’est laisser la parole aux autres et donc courir le risque d’être en permanence dans une position d’accusé, et qu’à l’inverse trop parler c’est entretenir le «feuilleton» et nourrir soi-même la crise médiatique.

Parmi vos clients, certains ont des vues sur le Maroc. Comment les accompagnez-vous dans le domaine de la com’ ? Avez-vous des partenaires ou vous opérez directement ?

CLAI intervient essentiellement en France pour le compte d’entreprises françaises ou étrangères. Nous accompagnons beaucoup d’entreprises qui s’installent en France et nous serions bien évidemment très heureux d’aider des entreprises marocaines à s’implanter ou se développer sur notre territoire. Par ailleurs, quand nos clients ont des projets vers l’étranger, le Maroc ou d’autres pays, nous faisons appel à des partenaires locaux sans avoir à ce jour de rapport exclusif avec l’un d’entre eux.

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