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Al Adl Wal Ihssane et le 20 février : Pourquoi la Jamaâ cherche la confrontation avec l’état ?

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La participation massive de la mouvance Al Adl Wal Ihssane aux manifestations non autorisées de dimanche 22 mai suscite plusieurs points d’interrogation. Les membres de la Jamaâ de cheikh Yassine savaient que les forces de l’ordre allaient intervenir pour disperser les manifestants car ces manifestations étaient non autorisées. Et pourtant, ils ont tenu à être présents en grand nombre pour pousser les jeunes du Mouvement du 20 février à la confrontation directe avec l’Etat. La Jamaâ renoue, ainsi, avec ses pulsions provocatrices. Al Adl Wal Ihssane, fidèle à son idéologie extrémiste, exploite le Mouvement des jeunes qui plaide pour des réformes dans divers domaines, pour servir son propre agenda. En effet, cheikh Yassine cherche à «relancer» son projet de société après l’échec de la prophétie ayant prévu une Qawma, un soulèvement populaire, en 2006. Le cheikh revient, cinq ans après, pour mettre en œuvre une nouvelle stratégie. Cette fois-ci, la Jamaâ cherche l’escalade de la violence à travers une confrontation directe avec l’Etat. Ceci dit, après les incidents de dimanche 22 mai, Al Adl persiste et signe. Les membres de la Jamaâ annoncent leur participation aux marches prévues par le Mouvement du 20 février ce dimanche 29 mai. Khalid Naciri, ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, a accusé, lundi 23 mai, les islamistes à côté des gauchistes d’attiser les braises de la contestation dans le Royaume sous couvert des manifestations en faveur de réformes démocratiques. «Les pouvoirs publics ont eu affaire à des gens qui utilisent le Mouvement du 20 février pour servir les objectifs liberticides d’Annahj Addimocrati, de Justice et Bienfaisance et du groupe Jihadi», a souligné M. Naciri dans une déclaration à Reuters. Les observateurs s’accordent pour affirmer que la politique de la confrontation n’est pas étrangère à l’idéologie d’Al Adl Wal Ihssane qui prône le recours à la violence pour imposer sa vision et s’oppose aux grandes orientations de l’Etat. «Cheikh Yassine est un leader qui a pour stratégie de faire tomber le régime et d’en créer un autre. Le régime souhaité par cheikh Yassine et ses disciples consiste à revenir à la khilafa du temps du Prophète Sidna Mohammed. Cheikh Yassine veut conduire une révolution à l’image de Khomeini et attend que la base de ses alliés et ses partisans s’élargisse avant de les conduire à réclamer la chute du régime dans les rues», souligne l’islamologue Saïd Lakhel (voir entretien page 4). Même son de cloche auprès de Abdellah Rami, chercheur au Centre marocain des études sociales à Casablanca. «Cheikh Yassine a tracé un projet idéologique contradictoire par rapport au régime marocain. Aujourd’hui, le cheikh veut réaliser son projet, mais il se retrouve automatiquement en confrontation avec le système existant. Cheikh Yassine n’a pas besoin de chercher cette confrontation. Au contraire, le cheikh adopte la confrontation depuis le début puisque son projet repose essentiellement sur des fondements «putschistes» et se présente comme une alternative», souligne-t-il (voir entretien page 6). Abdelhakim Aboullouz, chercheur auprès du Centre marocain de recherches en sciences sociales, indique, pour sa part, que la confrontation avec l’Etat est l’une des constantes de la doctrine religieuse et politique de cheikh Yassine. «Il s’agit de la pièce maîtresse du projet de la Jamaâ pour mettre en place les fondements d’un Etat qui soit conforme à la conduite du Prophète Sidna Mohammed. Il s’agit-là d’une stratégie dont les bases ont été jetées dans le cadre de la lettre «l’Islam ou le déluge» dans le milieu des années 70, et qui a été adressée à l’Etat. A partir du moment où le projet de Yassine n’a pas encore été concrétisé, on peut dire que rien n’a encore changé. La confrontation reste de mise car les deux parties tiennent fermement à leurs positions», indique M. Aboullouz dans une déclaration à ALM. Concernant le timing de cette confrontation, M. Aboullouz estime que «le contexte politique actuel se caractérise par plusieurs éléments. Il y a, tout d’abord, les révolutions qui se déclenchent dans plusieurs régions du monde arabe. Il y a, aussi, la dynamique sociale sur la scène nationale. Al Adl a décidé d’interagir avec cette dynamique et de montrer qu’il adopte certaines positions du mouvement de protestation notamment celles radicalistes, comme la dissolution des institutions, la mise en place d’une assemblée constituante et l’établissement d’une construction démocratique qui rompt avec les périodes révolues. Il s’agit-là des mêmes revendications exprimées par Al Adl mais avec un ton islamiste». «On peut dire qu’il y a une forte présence de la Jamaâ parmi les jeunes du 20 février lors des manifestations. Les slogans scandés par le Mouvement du 20 février encouragent les mouvements radicaux, gauchistes ou islamistes, à intégrer la démarche de protestation. C’est ce qui explique la mobilisation des radicalistes dans le cadre de ce mouvement. Au cas où ces derniers exprimeraient leurs projets de société lors des manifestations, le mouvement sera fragmenté», précise M. Aboullouz. Traitant la manière avec laquelle l’Etat devra gérer le dossier d’Al Adl, M. Aboullouz estime que l’Etat tentera de démanteler la Jamaâ de l’intérieur. «Pour atteindre cet objectif, l’Etat cherchera à faire la distinction entre le groupe radicaliste et les groupes modérés au sein de la Jamaâ en incitant ces derniers à la négociation. Le but étant de les convaincre de la pertinence des réformes engagées par l’Etat. Celui-ci peut également octroyer des dons aux leaders du Mouvement du 20 février et par conséquent ébranler son leadership», explique-t-il. Et d’ajouter que «quoi qu’il en soit, la confrontation directe et violente est écartée vu la conjoncture internationale et la chute d’un nombre de régimes dans le monde arabe suite aux protestations populaires. Certes, la confrontation directe portera atteinte à la réputation du Maroc et mettra fin à l’exception marocaine à l’égard des autres Etats de la région». Pour ce qui est de la contradiction entre le projet de société d’Al Adl et les aspirations du peuple marocain, M. Aboullouz signale que «ce qu’on appelle les aspirations unifiées du peuple marocain est une notion qui n’existe pas. Les disparités politiques, ethniques et linguistiques font la diversité de l’identité marocaine. Et par là, cette identité ne peut être limitée dans un projet déterminé. Même s’il y a une unanimité à un moment donné, cela ne veut pas dire qu’il va continuer et perdurer». «Avec l’évolution de la société marocaine, les attentes et les projets évoluent. Celui d’Al Adl Wal Ihssane n’est qu’un seul parmi ces projets. Et il a évolué remarquablement depuis ses débuts dans les années 70 comme les projets d’autres sensibilités politiques, y compris l’Etat. Le sentiment de citoyenneté, c’est-à-dire l’appartenance à un territoire déterminé et l’oubli des différentes doctrines est le seul susceptible de créer des aspirations unifiées pour les Marocains. Quand on arrive à croire à la logique de la citoyenneté affranchie des doctrines religieuses et lorsque le regard porté sur la religion ne constitue pas le point de départ des sensibilités politiques, on pourrait en ce moment parler d’un consensus, notamment entre l’Etat et Al Adl», ajoute-t-il. À travers ses manœuvres, Al Adl Wal Ihssane s’acharne à entraver l’actuel processus de réforme visant à faire entrer le Maroc dans une nouvelle ère de démocratisation et de modernisation.

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