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Ancien marché de gros, tout un souk

© D.R

Ce sont deux vigiles qui veillent désormais sur l’ancien marché de gros de Casablanca au quartier Belvédère. Pour accéder à ce bâtiment, repaire squatté auparavant par des vagabonds, il faut désormais montrer patte blanche. D’une superficie de 5.000 m2 au centre de la métropole, cette assiette foncière aiguise les appétits depuis vingt ans. Au cœur de cet édifice, Mohamed Sajid  contemple, avec admiration mais aussi un brin de regret, ce marché qui a fait couler beaucoup d’encre dernièrement. Entouré de quatre de ses conseillers, il nous invite à visiter un marché qui se trouve soudainement sous les feux de la rampe, après des années de délaissement. Dans un état délabré, cet édifice remontant aux années 30 du siècle dernier se retrouve au centre d’une nouvelle polémique et une avalanche d’accusations contre la mairie de Casablanca.
Après le déplacement de ses activités à Sidi Othmane au début des années 1990, ce local muni d’un toit autoportant est resté fermé jusqu’au jour où une sombre société française a reniflé une belle opportunité d’affaires. Dénommée "Développeur immobilier commercial" (Dimco), cette société signe, en juin 1997, un contrat de location avec la commune urbaine des Roches Noires, approuvé par le gouverneur de la préfecture d’Aïn-Sebaâ-Hay-Mohammadi qui n’était autre que Abdelmoughit Slimani. Cette location est consentie pour une durée de neuf ans, renouvelables par tacite reconduction, pour un loyer annuel de 1 million de dirhams. Les travaux  pour la réhabilitation et l’aménagement des locaux pour l’exercice d’activités commerciales devraient commencer en mars 1998.  Cependant, rien n’a été initié et la commune n’a jamais perçu le moindre sou. Dans quelles conditions ce contrat a-t-il été établi et qui se cache derrière Dimco ?
«Ce sont des mercenaires ! D’après mes premières investigations, ces prétendus investisseurs, qui ne jouissent d’aucune crédibilité, ont fait les mêmes arnaques dans d’autres pays d’Afrique. Ce sont d’illustres inconnus qui ne cherchent guère à développer des projets ou des investissements», lance M. Sajid.
En mars 2002, quatre ans avant l’expiration de ce premier contrat de location, les propriétaires de Dimco refont surface. Avec la commune des Roches Noires, Dimco signe un nouveau contrat sous forme d’un bail commercial pour réaliser un centre de commerce dans ce bâtiment. Un autre "contrat de dupes" (consentants ?) avec un préjudice plus important. Cette fois-ci, Dimco lorgnait le parking du marché donnant sur l’avenue Abdallah Ben Yacine, avec un loyer annuel de 90.000 dirhams, en plus bien sûr de la halle et du sous-sol. «Le présent bail est consenti pour une durée de 18 années entières et consécutives à compter de l’ouverture du centre commercial à la clientèle. A défaut de modifications dans la loi du 24 mai 1955, le bail sera renouvelé d’office par tacite reconduction pour une nouvelle durée de 18 ans», lit-on dans ce contrat approuvé le 14 mars 2002. Autrement dit, si le centre ouvre ses portes à la clientèle en 2006, le bail ne prendra fin qu’en 2042 ! Le loyer annuel passe à 1,2 million Dh pour la première année, 1,3 million Dh pour la deuxième année et 1,4 million Dh pour la troisième année. Et à partir de la quatrième année, le loyer sera révisable tous les trois ans et plafonné à un maximum de 10%. Depuis, Dimco a entamé des travaux de réhabilitations qui ont été arrêtés par les autorités locales à cause du non-respect de l’architecture de ce patrimoine. «Il y a eu plusieurs arrêts de chantiers puisqu’ils voulaient construire des étages, saucissonner le bâtiment en petits magasins sans prendre en considération l’aspect architectural de ce marché. Pour protester, ils ont commencé par gesticuler par-ci, par-là. Ils sont même partis voir le Premier ministre pour lui demander pourquoi le Maroc bloquait-il de tels projets !?», ajoute le maire qui a du mal à cacher sa stupéfaction. Le projet n’a pu aboutir et c’est toute une bonne partie de Casablanca qui continuait de payer les pots cassés de ce blocage. L’édifice, entre-temps, s’était davantage détérioré et quelques familles s’y étaient même installées avec meubles et marmailles. 
En 2005, "Label Vie", société opérant dans le secteur de la grande distribution, exprime son intérêt pour ce centre. Elle entre en contact avec les propriétaires de Dimco qui lui proposent de reprendre toute l’affaire monnayant la bagatelle de 11 millions de dirhams et un contrat des plus favorables pour les repreneurs. Craignant de s’engager dans une affaire aux contours incertains, "Label Vie" demande l’avis des autorités locales.
«C’est à ce moment-là que nous avons appris que cette société cherchait à se retirer de cette affaire. Nous avons ainsi demandé à des experts en la matière de trouver une issue à ce problème. Dans ce contrat, mal fait mais légal, la commune est lésée. Nous nous sommes retrouvés pieds et poings liés. C’est une aberration!», précise M. Sajid.  Face à ce contrat léonin, la commune cherchait le moyen d’être rétablie dans ses droits. En vain.
L’affaire prend une nouvelle tournure avec l’arrivée de Miloud Chaâbi qui a réussi de "doubler" "Label Vie" en achetant la totalité des actions de "Dimco".
Il compte installer dans l’enceinte de l’ancien marché de gros, l’année prochaine, le cinquième hypermarché de sa chaîne "Aswak Assalam" pour un investissement global de 150 millions de dirhams. Le patron de Ynna Holding propose à la commune, comme loyer annuel, 2 millions de dirhams pour le marché et  200.000 Dh pour le parking. Pourquoi avoir écarté la voie de la justice pour modifier les clauses de ce contrat ou le déclarer caduc et non-avenu ? «Devant la justice, il se peut que la commune soit déboutée. Il se peut aussi qu’on nous demande de verser des indemnités pour retard. L’objectif n’est pas de bloquer le projet, mais de renégocier ce contrat», réplique M. Sajid qui se dit confiant face à un nouveau partenaire qu’il qualifie de "sérieux" et "crédible". Miloud Chaâbi, selon des informations recueillies par ALM, aurait accepté de "jouer le jeu" surtout que la "chance" d’avoir un "Asswak Assalam" en plein cœur de Casa est une réjouissante option.
Dans l’attente d’une issue honorable pour tout le monde (entre autres pour les 400 ou 500 emplois à créer), cette affaire continue de défrayer la chronique casablancaise sur fond de campagne préélectorale. La presse USFP met la pression alors que, dans les couloirs du Conseil de la ville, on s’interroge sur la part de responsabilité des élus du parti de Mohamed Elyazghi dans l’élaboration et l’adoption du contrat avec "Dimco". L’affaire du marché de gros de la plus grande ville du Royaume tourne au Souk.

Mohammed Boudarham et Atika Haimoud


 Dimco : Un contrat léonin


Devant un contrat totalement en faveur de Dimco, la ville, lésée contre son plein gré, sait pertinemment qu’elle ne peut révoquer ce contrat. Conclu dans les "règles de l’art" entre de présumés investisseurs adeptes de l’esbroufe dans les anciennes colonies françaises et des autorités locales peu regardantes, ce bail commercial est un vrai scandale. Les mains liées, les autorités actuelles se trouvent devant un contrat léonin qui réduit leurs marges de manœuvre. Ainsi, la commune des Roches Noires s’est désengagée, dans le contrat de mars 2002 (le deuxième), de son droit de regard sur la gestion de cet ancien marché de gros. «Le bailleur (la commune) renonce expressément et irrévocablement au droit d’être appelé à concourir aux actes de sous-location», en plus les deux parties signataires « s’engagent expressément et irrévocablement à renoncer à toutes actions judiciaires, notamment en dommages intérêts». Qui dit mieux? qui ferait plus bête ?!

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