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Attentat de Marrakech : Sur les pistes des terroristes d’Argana

© D.R

L’affaire de l’attentat terroriste d’Argana n’a pas encore livré tous ses secrets. Près de deux mois et demi après cet acte criminel qui a coûté la vie à 17 personnes dont 8 Français, 3 Marocains, un Britannique, un Canadien, un Hollandais, un Portugais et un Suisse, en plus de 21 blessés, les investigations se poursuivent. La liste des arrestations ne cesse de s’allonger. La recherche attentive et suivie menée par les éléments de la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) et la Direction général de la Surveillance du territoire (DGST) ont permis jusqu’à présent d’arrêter neuf suspects dont l’auteur principal de l’attentat, Adil El-Atmani, âgé de 25 ans, tous originaires de la ville de Safi. La dernière arrestation en date remonte au mois de juin dernier. Les services de sécurité ont réussi à mettre la main sur deux nouveaux suspects impliqués dans cet attentat. «Les complices» de Adil El-Atmani ont tous eu connaissance du projet d’attentat mais sans avoir pris part à son exécution.
Les neuf prévenus sont poursuivis pour «constitution de bande criminelle dans le cadre d’un projet collectif visant à porter gravement atteinte à l’ordre public, meurtre avec préméditation, détention et fabrication d’explosifs et appartenance à un groupe religieux interdit». Le procès des accusés impliqués dans l’attentat s’est ouvert jeudi 30 juin. A l’issue de cette première séance marquée par la comparution de sept accusés, la chambre criminelle chargée des affaires du terrorisme près l’annexe de la Cour d’appel de Salé a décidé de reporter au 18 août prochain ce procès afin d’inclure le dossier de deux prévenus impliqués et d’accorder le temps aux avocats commis d’office pour préparer leurs défenses. Le report devra également permettre à l’avocat de la partie civile d’élaborer un mémorandum des doléances civiles. Lors de cette première séance, marquée par la présence d’une délégation judiciaire française et de responsables sécuritaires de ce pays, la défense des accusés avait demandé la liberté provisoire aux prévenus eu égard à l’existence de toutes les garanties légales, ce que le représentant du ministère public a rejeté. Ainsi et après délibérations, la chambre criminelle a rejeté toutes les demandes de liberté provisoire pour les accusés.
La séance du 30 juin a confirmé que El-Atmani, l’auteur principal, ne fait pas d’illusion à propos des objectifs de son acte criminel. Dans ses déclarations à la Cour et même au moment de la reconstitution des faits de l’attentat, El atmani ne dément nullement son implication dans l’attentat. Bien au contraire, il se déclare fier de son acte criminel ayant coûté la vie à 17 personnes innocentes. Fidèle à son idéologie takfiriste jihadiste, Adil affirme qu’il a accompli son acte par «conviction». «Ne me demandez pas pourquoi j’ai fait ça, mais plutôt comment je l’ai fait», avait-il dit au moment de la reconstitution du crime. Même chose qu’il avait dit aux enquêteurs après son interpellation, vendredi 5 mai dernier, avec deux autres suspects, Hakim Dah, 41 ans, et Abdessamed Bitar, 28 ans. Cette attitude met en exergue, selon les analystes, l’ampleur du danger de l’idéologie jihadiste de la Salafiya.
«Ce qu’il y a à relever dans ce dossier, c’est bien l’attitude de l’accusé principal dans cette affaire. Le sang-froid de l’accusé, son insistance sur le caractère glorieux de son acte et le fait de faire des signes de victoire de la main sont des données intrigantes. Une personne accusée de meurtre devrait au moins ressentir de la peur, être tourmentée de remords ou encore être confuse, mais rien de tout ça. L’accusé principal dans l’affaire Argana est fier et heureux de ce qui est pour lui un acte de jihad. Si cela doit interpeller sur quelque chose, c’est bien sur le danger que représente les doctrines takfiriste et jihadiste. L’accusé a été victime de ces doctrines avant de se transformer lui-même en criminel sans scrupule. Il faut s’arrêter sur le danger et la dimension extraordinaire que peut prendre une simple idéologie», explique l’islamologue Saïd Elakhal, dans un entretien à ALM (voir entretien ci-contre).
Certes, la vie a repris son cours normal à la place Jamaâ El-Fna et la ville ocre semble être remise du choc, mais la douleur persiste. La journée du jeudi 28 avril marquera à tout jamais les familles des victimes innocentes. D’ailleurs, les familles de six sur les huit victimes françaises de l’attentat de Marrakech ont décidé récemment de demander réparation à l’Etat marocain.
La reconstitution des faits de l’attentat, le mercredi 11 mai dernier, avait permis aux Marocains de découvrir la personne de Adil El-Atmani et aux enquêteurs d’approfondir les investigations à propos de l’attentat. Escorté par des éléments cagoulés relevant des forces spéciales, El-Atmani avait montré comment il est arrivé, le matin de l’attentat, par le train vers 6 heures de la ville de Safi. Au moment de la reconstitution comme au moment de la perpétration de l’attentat, Adil était vêtu d’un maillot blanc, et portait une perruque, un chapeau bleu et des lunettes de soleil. Outre le sac à dos, il avait une guitare. Une fois dans le café Argana, il a commandé un jus d’orange qu’il a bu. Puis, il a demandé au serveur s’il pouvait laisser son sac à dos, «le temps d’aller chercher sa copine». Il est ensuite sorti du café, a marché 300 mètres, et peu avant midi, a actionné à l’aide d’un téléphone portable les deux charges placées dans le sac. El-Atmani s’est ensuite rendu à la gare routière de Marrakech, à Bab Doukkala, pour prendre un autocar, et rentrer à Safi. Entre-temps, il a expliqué comment il s’était débarrassé de la perruque dans un petit jardin près de la gare routière et s’est rasé la moustache. Adil Al-Atmani avait œuvré, depuis six mois, à l’acquisition de matériaux nécessaires à la fabrication d’explosifs, déposés au domicile familial à Safi et ayant servi à la fabrication de deux engins utilisés dans cette agression. Ayant choisi la ville de Marrakech en tant que destination très prisée par les touristes marocains et étrangers, l’auteur principal avait initialement prévu de commettre son acte criminel dans un autre café de la ville, où il s’est rendu, un mois avant l’attentat, pour la reconnaissance des lieux, avant d’opter finalement pour le café Argana. L’auteur principal s’était également mis à consulter des sites Internet et des encyclopédies spécialisés dans les techniques de fabrication des explosifs, ce qui lui a permis de développer un savoir-faire en la matière et de maîtriser ces techniques. Les citoyens et les journalistes ayant assisté à cette reconstitution minutieuse des faits avaient pu suivre les moments forts de la préparation et de l’exécution d’un projet terroriste, le plus meurtrier depuis les attentats terroristes à Casablanca du 16 mai 2003 qui avaient fait 45 morts et plusieurs blessés.
Deux mois et demi après ce terrible attentat, les observateurs tirent des enseignements pertinents à propos de l’idéologie takfiriste jihadiste.
«Près de trois mois après l’attentat terroriste de Marrakech, la première conclusion à tirer c’est que la Salafiya Jihadiya n’est pas une organisation. Il s’agit d’une idéologie ayant une grande capacité de recruter des adeptes pour perpétrer des attentats terroristes partout où il y a des non-musulmans. La preuve c’est que les accusés impliqués dans cet attentat contre le café Argana ont choisi à titre individuel d’assurer un minimum de coordination et de perpétrer l’attentat sans qu’ils aient un dirigeant bien déterminé», explique Abdelhakim Aboullouz, chercheur en sciences politiques. «Le deuxième constat c’est que le jihadisme de la Salafiya vise essentiellement les non-musulmans quelle que soit leur religion en plus des mécréants. Il ne fait pas de distinction entre les non-musulmans. La Salafiya Jihadiya est une idéologie qui ne reconnaît pas le droit de l’autre à la différence et à l’existence. La preuve c’est que El-Atmani, le principal accusé, a déclaré, après son interpellation, qu’il a regretté le fait que des Marocains musulmans ont trouvé la mort à cause de son acte», ajoute M. Aboullouz. Ce chercheur au Centre marocain des recherches en sciences sociales estime que le danger de la Salafiya provient essentiellement du fait qu’il ne s’agit pas d’une organisation structurée. «L’absence de ce qu’on peut qualifier d’institution orientant les jihadistes semble être un point faible pour les salafistes, mais ce n’est nullement le cas. C’est un point fort à partir du moment où les jihadistes peuvent agir à tout moment et à titre individuel sans être lié par des ordres d’une direction supérieure. Un acte de ce genre est difficile à repérer par les services de sécurité d’où son danger. C’est ce qu’on appelle en quelque sorte le jihadisme individuel. Dans le cas de l’attentat d’Argana on peut parler d’une cellule terroriste qui regroupe des personnes ayant une vision commune et répondant à un degré minimum d’organisation», fait observer M. Aboullouz. Ce dernier met en garde contre le danger que représente le courant de la Salafiya et appelle à revoir la politique religieuse.
«En matière de terrorisme, l’exception marocaine n’existe pas. Le Maroc est menacé au même titre que les autres pays. Ce qui pose problème au Maroc c’est le caractère exclusiviste de la politique religieuse. Certes, le rite Malékite constitue le principal référentiel en matière religieuse, mais il existe dans la pratique une diversité religieuse qu’il faut gérer. Il faut reconnaître le courant de la Salafiya comme l’une des principales composantes du champ religieux au Maroc. C’est un courant qui a une base populaire très importante dans notre pays. La reconnaissance de ce courant passe par le dialogue», souligne M. Aboullouz. Et d’ajouter qu’il «existe au Maroc trois catégories de la Salafiya. Il y a en premier lieu le courant traditionnel de la Salafiya de Cheikh Mohamed El Maghraoui basé à Marrakech et qui puise ses fondements du wahhabisme de l’Arabie Saoudite. Il y a aussi un courant scientifique mené par les enseignants universitaires, notamment dans les facultés des études islamiques et de la Chariâa. Ce courant tente de former une élite d’ouléma à l’image de ce qu’a fait le Prophète Sidna Mohammed. Et il y a, en dernier lieu, bien évidemment, le courant de la Salafiya Jihadia qui n’est pas une organisation mais une idéologie qui prône la violence et appelle à combattre les mécréants et les non-musulmans là où ils se trouvent». Incontestablement, l’attentat d’Argana montre que le Maroc n’est pas à l’abri du danger terroriste. Cet attentat ayant secoué la ville ocre met le Maroc devant de nouveaux défis sécuritaires.

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