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Boucetta : Le retour du patriarche

La nomination de me M’hamed Boucetta par S.M. le Roi Mohammed VI à la tête de la commission chargée de la réforme de la Moudawana, à la place d’un autre homme de droit, Me Driss Dahak, surprend par son timing mais pas par le choix de la personne qui succède à M. Dahak. Elle intervient quarante huit heures à peine, après l’audience accordée par le Souverain à M. Dahak qui a demandé un délai supplémentaire pour que la commission puisse achever ses travaux. C’est dire qu’il y a blocage quelque part.
La réforme de la Moudawana ne date pas d’aujourd’hui. Le printemps des femmes, en 2000, a été une expression pressante d’une revendication qui germait depuis des années. Le 8 mars 2000, deux grandes manifestations ont eu lieu simultanément à Casablanca et à Rabat. La première visait le blocage du Plan d’intégration de la femme, proposé par le gouvernement de l’alternance et dont Mohamed Said Saadi, ministre en charge du dossier, a fait les frais. La deuxième, à Rabat , et regroupait les pro-plan d’intégration. À partir de cette double manifestation, on a compris que les clivages sociaux n’ont rien à voir avec les positionnements politiques des partis.
L’USFP déchirée à propos de la question, l’Istiqlal a pris part aux deux manifestations, l’UC et le RNI ne savaient pas dans quel camp basculer alors que la logique les prédestinait à manifester à Rabat. Il était urgent de clarifier la situation et de sortir avec un schéma qui soit plus logique. Ce n’était pas le cas.
Mais c’est ce clivage-là, cette notion de champ politique anachronique, qui est ressortie plus qu’autre chose. Et depuis, sur la base des positions des uns et des autres, vis-à-vis du plan d’intégration, on pouvait classer les différents protagonistes.
Il faut dire que la réforme de la Moudawana n’est pas un luxe ou un choix. C’est une exigence de la période historique que l’humanité vit et dont le rythme de changement ne cesse de s’accélérer, depuis quelques décennies. Ainsi, si le Royaume a bien adhéré le 21 juin 1993 à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes – entrée en vigueur douze ans plus tôt, le 3 septembre 1981 – il ne l’a fait qu’en assortissant l’approbation de cet instrument international de déclarations et de réserves sur la nature et la portée qu’il entendait donner à cet acte (choix de la résidence par la femme, nationalité de l’enfant de mère marocaine et de père inconnu, égalité des droits et des responsabilités en cours de mariage et lors de sa dissolution). D’ailleurs, la même année, 1993, feu S. M. Hassan II avait veillé – sur la base des travaux d’une commission ad hoc qu’il avait créée – à apporter certaines modifications au statut personnel. Dans ce même sens, la nouvelle Constitution de 1996, reprenant en cela celle de 1992, avait réaffirmé dans son préambule l’attachement du Royaume « aux Droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus ». Il s’agit là non pas d’un additif de principe mais, tout au contraire, d’un texte de portée considérable qui va désormais intégrer dans le droit interne marocain des textes internationaux de nature universelle. Ces avancées à petits pas, si l’on ose dire, ont été couronnées par la nomination de S.M. le Roi Mohammed VI des membres de la commission chargée de la réforme du statut personnel, dont la présidence a été confiée à M. Dahak. C’était en avril 2001.
Mais, si l’objectif principal recherché par la désignation de cette commission est de parvenir à un consensus autour d’un certain nombre d’amendements de ce texte, il s’est avéré que les débats entre les différentes sensibilités idéologiques constituant le groupe sont de plus en plus animés. Les membres se seraient divisés en deux tendances : des conservateurs, au nombre de onze, et les rénovateurs, au nombre de quatre.
En ce qui concerne les détails sur les questions à propos desquelles les débats semblent coincer, les membres de la commission refusent de faire un commentaire. La seule information confirmée par certains d’entre eux est qu’il existe une tendance qui appelle à une interprétation innovatrice des textes religieux alors que d’autres insistent sur la fidélité à ces textes.
Aujourd’hui, avec le changement intervenu à la présidence de la commission force est de relever qu’il s’agit de blocage d’ordre idéologique ou du moins politique. Le choix de Me Boucetta, un homme politique d’une longue carrière, doublé d’un juriste confirmé, ne peut qu’être une belle issue. Surtout que les modernistes ne peuvent accuser le vrai leader istiqlalien d’être intégriste, ni les islamistes ne peuvent le taxer de libéral. D’autant plus que Me Boucetta jouit d’une bonne réputation auprès de l’ensemble de la classe politique, de gauche ou de droite. Si la présidence Dahak a été marquée par les réglages d’ordre juridique, celle de Me Boucetta sera marquée par le déblocage de la situation sur le plan politique.
Un véritable défi que l’ancien ministre des Affaires étrangères saura relever. Gageons qu’il peut le faire avec maestria.

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