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Ces soldats qui nous font honneur

© D.R

Dans une salle d’attente ordinaire, plusieurs personnes sont assises sur des bancs en bois alignés contre le mur. Le visage triste fixant le sol, elles attendent patiemment leur tour, une feuille à la main, pour être introduites chez le médecin. Tout autour règne une ambiance studieuse rythmée par le va-et-vient de blouses blanches. Une vraie ruche.  
Nous ne sommes pas dans un hôpital au Maroc. Mais très loin, au cœur de l’Europe. Bienvenue au Kosovo, précisément à Mitrovica. Ici, dans la partie sud de la ville, située à moins de 100 kilomètres de la capitale Pristina, se trouve l’hôpital militaire marocain de campagne (HMMC), installé sur une ancienne caserne de l’ex-Yougoslavie à l’époque de Tito. C’est un contingent de militaires marocains, envoyé par S.M le Roi le 8 novembre 1999, qui gère cette unité de soins composée de 33 lits et couvrant pratiquement toutes les spécialités médico-chirurgicales. En plus des services des urgences, de radiologie, de gynécologie, de chirurgie et de réanimation, il y a un cabinet dentaire, un laboratoire, deux blocs opératoires, l’un septique et l’autre aseptique, une pharmacie, un service de médecine interne et un service social. Le HMMC, monté sur des camions médicalisés, peut être déployé en 24 heures dans n’importe quelle autre zone.       
Placée sous le commandement opérationnel de l’Otan au sein de la Force de maintien de la paix au Kosovo (KFOR) et faisant partie de la brigade multinationale nord-est (BM-NE), cette équipe de 438 soldats s’acquitte d’une mission particulière. Soigner gracieusement les patients de Mitrovica dans le cadre d’une action humanitaire comprenant un volet médical et social.
“ Nous prodiguons aux habitants des soins gratuits indépendamment de leur confession ou de leur ethnie“, précise d’emblée l’officier-adjoint, le lieutenant-colonel Abderrahmane Charaï qui entreprend avec son équipe accompagnée aussi d’interprètes de nous faire visiter les différents services de l’hôpital. Cette précision est d’importance car la population de Motrovica, à l’image des autres villes du Kosovo, est composée principalement de deux frères-ennemis, Albanais musulmans (majoritaires) et Serbes ( minorité).
En  instance d’être examinée pour un problème de colonne vertébrale, une vieille femme serbe au visage fripé explique dans sa langue natale comment elle a découvert l’hôpital marocain. “ J’avais entendu parler de cet hôpital dans mon voisinage et c’est la deuxième fois que je viens maintenant, lâche-t-elle, souriante. Les médecins d’ici sont gentils et s’occupent bien de moi”. Même son de cloche du côté d’une demoiselle qui habite à 110 kilomètres de Mitrovica, hospitalisée à trois reprises pour une gêne respiratoire.  Dans un autre service, une jolie fille albanaise aux yeux verts et bien fardée est assise sur une chaise. En plus d’un traumatisme né de la guerre, elle souffre d’une malformation cardiaque, nous explique son médecin traitant. “ L’opération coûte entre 200.000 et 300.000 Dhs. J’ai essayé de trouver un mécène sur Internet. En vain“, indique-t-il avant de lâcher: je n’abandonnerai pas.
La guerre a déchiré cette partie du monde dont les stigmates sont visibles sur les visages. Une guerre qui éclata le 24 mars 1999 sur fond d’épuration ethnique qui allait mettre à feu et à sang cette province alors rattachée à Belgrade et provoquer quelques mois plus tard l’intervention de la communauté internationale. Depuis, le Kosovo est une sorte de province provisoire dotée d’un gouvernement intérimaire, gérée par les Nations unies, la KFOR (comptant les forces de l’OTAN) et l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la coopération en Europe). En attendant le démarrage des  discussions sur son statut final qui démarreront dans quelques mois, la situation reste fragile. D’ailleurs, des incidents ont éclaté en mars de l’année dernière qui ont dégénéré en affrontements entre Serbes et Albanais.  Il suffit donc d’une étincelle pour que la zone s’embrase de nouveau.     
Les cas humainement poignants, victimes de ce sale conflit, sont légion au Kosovo. Driton avait 17 ans au moment de l’éclatement de la confrontation armée entre Albanais et Serbes.
Allongé sur un lit, il raconte aujourd’hui son calvaire d’une voix exténuée. Le malade, dont une partie de la famille a péri sous ses yeux dans un massacre serbe, a perdu le goût de vivre depuis qu’il a côtoyé la mort de très près : une grenade serrée contre lui pendant pas moins de 24 heures afin d’éviter qu’elle n’explose.
Les médecins marocains tâchent d’aider ce jeune homme à retrouver une vie normale. Des cas de ce genre sont nombreux dans la population kosovare. Ils côtoient d’autres souffrant de problèmes d’audition et de troubles psychiques engendrés par le bruit assourdissant des bombes ou la perte d’un proche. Plus que celui de simples médecins, le personnel médical marocain joue le rôle de confidents qui apportent réconfort et soutien psychologique aux malades de Mitrovica. Ces derniers apprécient bien cela. “ Chaque jour, nous recevons entre 150 et 200 malades et jusqu’ici nous avons réalisé plus de 250.000 consultations et 19.841 hospitalisations“, explique le chef du HMCM, le médecin-chef commandant El Fikri. Il ajoute: “L’hôpital ne connaît pas que des situations tristes. Régulièrement d’heureux événements, les naissances qui sont au nombre de 1785, viennent égayer et détendre l’atmosphère“.     
À l’étage, se trouve la pharmacie. Ouverte comme l’hôpital 24 heures sur 24. Toujours accompagnés d’interprètes, les patients y viennent après la consultation pour chercher les médicaments qui leur sont prescrits. Ici, où officie une équipe de 5 personnes, le caporal Lahman Abderrahim arrive à communiquer avec ses “clients“ dans leurs langues natales qu’il a apprises à leur contact permanent. Un responsable estime la facture des médicaments journalière à quelque 9.000 Euros ( environ 100.000 Dhs), supportée à moitié par différentes ONG étrangères.  
Outre la mission médicale, le contingent marocain réalise des opérations de proximité pilotées par un détachement social dirigé par le commandant Nadia Abir. “ Nous sommes également mobilisées sur le front social où il y a beaucoup de choses à faire“, Souligne-t-elle. Le rôle de ce corps, effectuer des visites permanentes dans les villages et les enclaves aussi bien serbes qu’albanaises de Mitrovica et de sa région. Objectif: s’enquérir de l’état des malades, faire des consultations à domicile, distribuer des denrées alimentaires, des effets vestimentaires et des fournitures scolaires. Bref, aider les gens à retrouver les gestes d’une vie normale.  
À cette action humanitaire de tous les jours s’ajoutent des  campagnes ponctuelles comme celles relatives au dépistage de la tuberculose, cataracte, circoncision et des activités socio-culturelles au profit des enfants kosovars lors de l’été 2003. D’autres opérations, cette fois-ci en collaboration avec la société civile marocaine, ont pu être menées en 2000 sur le terrain : opération Iftar à l’occasion du Ramadan (5000 repas distribués), opération Aïd El Kébir  (1400 familles bénéficiaires), colonies de vacances à Témara en faveur de 144 enfants kosovars (72 Albanais et 72 Serbes) séjour médical au Maroc pour un groupe d’enfants victimes de la guerre et réfection d’une école de Mitrovica sud  plus son équipement en ordinateurs…
“Depuis le 22 novembre 2001, indique le lieutenant-colonel Abderrahmane Charaï, l’action du contingent marocain s’est renforcée par l’arrivée d’une compagnie d’infanterie motorisée version VAB “.  Faisant partie du bataillon français au sein de la BM-NE, cette compagnie, composée de 151 éléments, s’attelle à des missions permanentes de sécurité : protection des enclaves serbes de Preluzie et de Grace, opérations de recherche d’armes, escortes des populations, barrages ainsi que la sécurisation de la voie ferrée de Novoselo (nord-est du Kosovo), située dans la zone de responsabilité du bataillon français. À force de fréquenter la population locale, certains habitants ont appris le dialecte marocain, nous confie un membre du contingent. Celui-ci a ceci de particulier qu’il circule sans armes. Ce qui est rare ici. Chose très appréciée par les habitants de Mitrovica qui ne perçoivent pas les Marocains comme une armée d’occupation.
Il fait beau à Mirovica. Le soleil brille de tous ses feux dans un ciel azuré. Séparée en deux (Sud et nord)  par une rivière du nom d’Ibar, la ville est sous contrôle des forces de la communauté internationale.
La ligne de démarcation, une espèce de poste-frontière, est surveillée, par des soldats armés.  Les véhicules militaires estampillés Kfor circulent de temps à autre. “ Les habitants du sud (Albanais) commencent à se rendre dans la partie sud (serbes) et vice-versa“, note le commandant marocain Hassan Chbani, chargé de la presse au siège du Kfor à Pristina. Une tension est cependant perceptible. Une chose est sûre : ce n’est pas encore la paix entre les deux communautés. Il faut encore du temps pour que le désir de coexistence trouve son chemin, de manière irréversible, dans les cœurs de la population des Balkans.

Dossier réalisé par notre envoyé
spécial au Kosovo Abdellah Chankou

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