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Corse : La valise ou le cercueil

© D.R

“Les Arabes, c’est les meilleurs! T’en tue un, il en naît deux”. Des inscriptions de ce genre sont nombreuses sur les murs, les toilettes publiques et même les arbres de Bastia. Pour qui vient enquêter sur le racisme à Bastia en Corse, la tâche n’est pas difficile. Il le rencontre dans la rue, les cafés. Il l’attrape au vol en prêtant l’oreille aux conversations. Il rencontre aussi ceux qui luttent contre sa propagation. Des agents de la municipalité sillonnent la ville à seule fin d’effacer les traces du racisme. Ils badigeonnent avec des balais les “Arabi fora” (Arabes dehors) et “Arabes, rendez-nous la Corse”. On les dirait engagés dans une lutte à l’usure. C’est à qui se fatiguera le premier : celui qui inscrit des graffitis racistes ou celui qui les efface.
Vendredi dernier, le premier camp donnait de la voix devant le siège du conseil régional de Haute-Corse. De jeunes lycéens n’ont eu qu’à se laisser aller en descendant l’une des multiples pentes de la ville pour se rassembler devant le bâtiment, situé à 60 mètres de leur lycée. Encadrés par des dizaines de CRS, en tenue de guerre, ils protestaient contre l’arrestation de treize de leurs camarades, membres de l’organisation “Clandestini Corsi”. Ce groupuscule, auteur d’une demi-douzaine d’attentats racistes depuis mars 2004, avait justifié dans un communiqué l’usage de la violence par la volonté de “stopper l’immigration qui ronge l’île“. Et pour donner des gages de leur détermination, ses membres ont affirmé que “les plus réticents seront éliminés physiquement“. Le plus curieux, c’est que parmi les treize jeunes du groupuscule, quatre Marocains ont été interpellés.
Tout le monde les connaît à Bastia, et personne ne semble s’étonner du fait qu’ils augmentent les rangs de Corses racistes.
“Ils ont choisi le camp des loups”, commente Emile Zuccarelli, député-maire de Bastia. “Ils ont été élevés avec les Corses. Ce sont des gars qui vivent au Fangu, le quartier des riches”, lâche avec mépris Zakaria Ennigrou, un Marocain âgé de 19 ans. Lui, il vit dans la rue droite: le nerf vivant du quartier maghrébin de Bastia. Ce quartier ne se situe pas en banlieue, mais au coeur de l’ancienne ville à cent mètres du vieux port, haut lieu de tourisme et plate-forme des restaurants cotés de Bastia. Les maisons de cette rue ressemblent aux autres. Même architecture italienne, mêmes fenêtres aussi grandes que des portes. Seuls traits distinctifs, les demeures ne sont pas repeintes et on aperçoit du linge accroché aux murs. Les jeunes de ce quartier réagissent à la haine des Corses par la haine. Ils l’affichent, la proclament et vivent quasiment en ghetto. Ils sortent entre eux et quittent très rarement la fameuse rue droite. A Bastia, cette rue n’est pas seulement connue pour être celles des Maghrébins.
C’est aussi l’adresse indiquée pour acheter du shit. “Depuis que les jeunes Maghrébins ont commencé à vendre du haschich, c’est la «merde» ici”, affirme le président de l’association des Marocains de Corse. Il vit dans l’île depuis 30 ans et passe son temps dans un local excentré, au quartier des abattoirs. Eclairé par une ampoule jaune, le siège de l’association des Marocains de Bastia se compose d’un comptoir dominé par des étagères où sont alignées des canettes de soda et des bouteilles de jus de fruit. Sur une feuille accrochée au mur, on lit en arabe “mamnouaâ attalk” (la maison ne fait pas de crédit).
Dans une autre pièce, plusieurs tables sont disposées. Les gens y viennent pour discuter, jouer aux cartes et prier dans une salle au fond. Vendredi en fin d’après-midi, ils étaient nombreux à s’être donné rendez-vous. “Ils cherchent la rébellion ou quoi ces jeunes ! Nous, on a toujours vécu en paix”, lance un commerçant sexagénaire. “Pour avoir la paix, il est obligé de payer”, s’écrie un autre. Et il clarifie son propos en affirmant qu’aucun Arabe ne peut avoir un commerce sans payer “l’impôt révolutionnaire”. Du racket ! S’il n’a pas de protecteur corse, sa boutique sera plastiquée – terme très en vogue ici pour désigner les attentats à l’explosif. “Mais les Arabes ne sont pas les seuls à payer des racketteurs, c’est la règle ici”, dit un autre. L’homme qui tient un commerce refuse d’indiquer la somme qu’il paie pour avoir la paix. Mais il ne nie pas. Les langues se déliant, le président de l’association résume la recrudescence des actes de violence raciste par le fait que les Corses n’acceptent pas la réussite des Maghrébins. “Il ne faut pas qu’ils construisent une maison ou circulent dans une belle voiture. Moi, je planque ma caisse. Je roule en Renault Express”.
Tout le monde n’est pas de cet avis. Mohamed Khalouqui, âgé de 32 ans, défend le modèle de société en Corse. Ce jeune président du Conseil régional du culte musulman et secrétaire général de l’association culturelle des Marocains ne planque pas sa berline. Avec ses yeux bleus, ses cheveux blonds et son teint clair, il peut se fondre dans la foule sans que son faciès ne révèle ses origines marocaines. Il travaille comme électricien à EDF. “Je n’ai pas peur. Ma vie, je la construis ici”, dit-il. Il explique que les Maghrébins diffusent la peur, “en rajoutent”.
Il loue les qualités humaines des Corses et rappelle que le maire de Propriano, “un nationaliste”, avait “mobilisé deux semi-remorques pleines de médicaments, de couvertures et d’aliments à l’occasion du tremblement de terre d’Al Hoceïma”. Pourtant, les chiffres sont têtus et l’actualité de la Corse est opiniâtrement raciste. Un attentat a visé dans la nuit de vendredi à samedi la maison d’une famille d’origine maghrébine à Calvi (Haute-Corse). Et dimanche matin, une maison en construction appartenant à un artisan-maçon marocain a été la cible d’un attentat à Borgo, au sud de Bastia. Selon un rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, sur les 92 faits les plus graves recensés en France en 2003, 56 ont été commis en Corse. “Il n’y a pas plus de racistes en Corse que sur le Continent. Des années de violence ont banalisé l’usage des explosifs et des armes sur l’île. Là où un acte raciste se manifeste d’une façon détournée, ici, il prend une forme violente”, résume Paule Parsi Gradziani, adjointe au maire de la ville, chargée des affaires scolaires. Elle ajoute que sur les 250.000 personnes qui vivent en Corse, seules 40% sont actives. “Et parmi les 40% d’actifs, 25% sont Maghrébins, et donc majoritairement d’origine marocaine”. Effectivement, la communauté marocaine, estimée à 26 000 personnes “sans compter les clandestins”, comme on l’indique souvent à Bastia, est la plus forte. Cette communauté va décroissant. Des familles quittent tout pour s’établir au sud de la France. “C’est très visible. Chaque année, j’ai un peu moins d’élèves marocains dans mes classes“, déplore un instituteur marocain. Selon l’adjoint du maire de Nîmes, 300 familles de Marocains se sont établies dans le département du Gard. Et ce n’est pas fini.
D’autres projettent de partir. Néanmoins. Les bonnes volontés se mobilisent pour lutter contre ce que certains désignent déjà par l’expression «exode des Arabes». Des Corses résistent par les échanges culturels, les manifestations artistiques. C’est dans cet esprit que s’inscrit le festival du film et des arts méditerranéens, Arte Mare (du 12 au 21 novembre), auquel ont participé de nombreux artistes arabes. Un buffet très marocain a été organisé au théâtre municipal de la ville à l’occasion de la visite, jeudi 18 novembre, de Nouzha Chekrouni, la ministre déléguée chargée de la communauté marocaine résidant à l’étranger. Pendant que les hôtes dégustaient les cornes de gazelle, briouates et thé à la menthe, madame la ministre faisait l’apologie de la «notion de diversité culturelle».

• DNES à Bastia, Aziz Daki

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