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Doit-on suspendre la charia ?

Tariq Ramadan, professeur universitaire en Suisse, puis aux Etats-Unis, et surtout petit-fils de Hassan El Banna, fondateur des Frères musulmans, a lancé le 30 mars 2005 un "Appel international à un moratoire immédiat sur les châtiments corporels, la lapidation et la peine de mort dans tous les pays majoritairement musulmans".
Cet appel a fait réagir énormément de personnalités musulmanes et non musulmanes.
Un savant marocain comme Abdelbari Zemzami a estimé que cet appel ne sert strictement à rien. Certaines soutenant l’idée développée par Tariq Ramadan et d’autres y voyant un moyen de faire diversion.
En tout cas, Ramadan assure que cette idée d’appeler à un moratoire s’est formalisée au cours des multiples rencontres pendant ces cinq dernières années. "Lors des différentes rencontres avec des Oulémas de Jordanie, d’Egypte, du Maroc ou d’Indonésie, il est apparu qu’il était impératif d’intervenir au nom même des principes de l’islam", assure-t-il. Ramadan tient également à préciser qu’il s’agit d’un "appel de l’intérieur non pas contre les textes scripturaires islamiques mais en leur nom et dans la fidélité de leur exigence de justice et d’égalité".
Partant du principe que les avis concernant l’application des "Houdouds" sont divergents, Ramadan rappelle dans l’introduction de son appel que "le débat de fond à l’intérieur des sociétés musulmanes est quasiment absent et que les positions demeurent très vagues, voire souvent nébuleuses, des femmes et des hommes subissent l’application de ces peines vis-à-vis desquelles il n’y a pas de consensus parmi les musulmans". En somme si l’existence même des châtiments corporels n’est jamais remise en cause par la Doctrine musulmane, les divergences apparaissent, par contre, entre les divers courants de pensée, notamment les littéralistes, les réformistes et les rationalistes. Ces divergences, selon Ramadan, "tiennent essentiellement à l’interprétation d’un certain nombre de ces textes et/ou aux conditions de l’application des peines relatives au code pénal islamique (nature des infractions commises, témoignages, contextes sociaux et politiques, etc.) ou, enfin, plus globalement et plus fondamentalement à leur degré de pertinence à l’époque contemporaine".
En somme, le petit-fils d’El Banna constate qu’à travers l’histoire, et jusqu’à aujourd’hui, la majorité des Ouléma estime que "ces peines sont bel et bien islamiques mais que les conditions exigées pour leur application sont quasiment impossibles à réunir donc quasiment jamais appliquées.
Or, Tariq Ramadan relève, à juste titre d’ailleurs, que le peu de fois que ces Houdouds sont appliqués, elles le sont "aux femmes et aux pauvres, doublement victimes, jamais aux riches, aux gouvernants ou aux oppresseurs".
L’analyse de Tariq Ramadan va plus loin. Il épingle également la communauté internationale, responsable selon lui de "dénonciation sélective des Houdouds" au gré des intérêts économiques et géostratégiques. "Un pays pauvre, d’Afrique ou d’Asie, essayant d’appliquer les Houdouds ou la Charia fera face à des campagnes internationales de mobilisation… Il n’en est pas de même pour les pays riches, les pétromonarchies et/ou les pays considérés comme "alliés" que l’on dénonce timidement, ou pas du tout, malgré une application constante et connue de ces peines à l’encontre des segments les plus pauvres ou les plus fragilisés de leur société. L’intensité des dénonciations est inversement proportionnelle aux intérêts en jeu".
Par ailleurs, Ramadan souligne qu’à travers les nombreux voyages qu’il a eu l’occasion de faire aux quatre coins du monde, bon nombre de musulmans souhaitent farouchement l’application des Houdouds. C’est un moyen, pour eux, d’affirmer leur identité. En clair, "l’opposition farouche de l’Occident est une preuve suffisante de caractère authentiquement islamique de l’application littérale des Houdouds". Ramadan se presse de dire que nous sommes là devant "un raisonnement antithétique, simple et simpliste".
Le comble c’est que face à cette "passion", pour ne pas dire dérive, "la majorité des Ouléma craint de confronter les revendications populaires parfois simplistes, peu savantes, passionnées et binaires de peur de perdre leur statut et d’être considérés comme trop compromis, pas assez stricts, trop occidentalisés, pas assez islamiques". En somme, l’appel de Tariq Ramadan, indépendamment de la suite qui lui sera réservée, aura le mérite de soulever deux questions fondamentales : le dialogue des Ouléma au sein du monde musulman, et le rapport de ces derniers avec les masses populaires. En agissant sur ces deux leviers, le blason de l’Islam n’en sera que redoré.

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