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Driss El Yazami clarifie la vocation du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger

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ALM : Six mois après votre nominationà la tête du CCME, vous vous apprêtez à tenir votre première assemblée plénière. Cela signifie-t-il que vous avez bien avancé dans le chantier de la structuration du Conseil ?
Driss El Yazami : Nous sommes en train d’édifier une nouvelle institution dans le paysage institutionnel marocain. Il nous a donc fallu mener de front toutes les actions qu’exige cette situation sur le plan logistique d’abord (locaux, budget, équipement), en termes de ressources humaines ensuite et enfin, en termes de réflexion pour élaborer les premiers éléments d’un plan d’action dont la première assemblée plénière aura à délibérer. Il a aussi fallu répondre à de très nombreuses sollicitations tant au Maroc même que dans les pays de résidence des communautés émigrées.
Où nous en sommes aujourd’hui? Notre budget nous a été attribué très rapidement par le gouvernement de Sa Majesté et nos futurs locaux, en cours de réfection, seront opérationnels vers la mi-juillet. Le noyau dur de l’équipe a été constitué et travaille à la préparation de la plénière. Mais nous continuons à mener de nombreux entretiens d’embauche, tant au Maroc qu’à l’étranger, parmi les jeunes chercheurs marocains, avec l’objectif de doter le Conseil d’une équipe solide à même d’accompagner les membres du CCME dans l’accomplissement de leur mission qui est, il le faut le souligner, bénévole. L’avant-projet de notre programme d’activités, de règlement intérieur et de budget prévisionnel 2008 sont prêts et seront présentés à la délibération des membres pour enrichissement et adoption avant d’être soumis à la Haute appréciation de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Pièce centrale de ce dispositif, le programme d’activités porte sur les exercices 2008 et 2009 et a été conçu à partir de quatre ressources principales.
D’abord une consultation électronique des membres qui ont tous proposé un certain nombre de thèmes et de priorités pour les deux années, mais aussi une série de rencontres avec des acteurs publics ou privés essentiels, dont notamment Mohamed Ameur et Taïeb Fassi Fihri. Ces rencontres que nous continuerons, ont notamment pour objectif d’amplifier notre connaissance des politiques publiques menées ou prévues, afin d’en tenir compte dans notre réflexion. Plusieurs équipes marocaines de recherche à Rabat, Meknès, Marrakech et Agadir ont été aussi sollicitées pour de premiers échanges sur les modalités futures de collaboration avec le CCME.
Nous nous sommes enfin appuyés dans le processus d’élaboration de ce programme d’activités sur l’avis du CCDH, adopté en septembre 2007 et sur les résultats des consultations menées durant toute l’année 2007.
Il y a eu pas mal de critiques adressées au CCDH, notamment sur la composition et le procédé de cooptation.
Pour aboutir à son avis, le CCDH avait à l’époque déployé une méthode participative sans précédent. Dans le temps imparti, c’est-à-dire moins de six mois, il avait organisé quatre séminaires thématiques qui avaient rassemblé à Rabat plus de 800 acteurs associatifs de l’émigration marocaine et les réunions organisées dans les 20 pays de résidence avaient regroupé plus de 1500 responsables religieux, élus d’origine marocaine, entrepreneurs, …. Un questionnaire avait aussi été adressé par Internet à plus de 2000 personnes et avait été renseigné par plus de 500 individualités. Il a abouti à un avis qui propose sagement une expérience transitoire pour se donner le temps de la réflexion sur le sujet de la participation citoyenne des marocains du monde au projet de société démocratique marocain. Et que cette réflexion soit le fait des émigrés eux-mêmes et personne d’autre. Ce travail entamé par feu Driss Benzekri et repris, avec le même état d’esprit par Si Ahmed Herzenni, ne comble, certes, pas tout le monde. Et c’est bien naturel. Le désir de participation et le nombre de compétences marocaines sont tels qu’un conseil de 300 sièges aurait été insuffisant. Nous sommes, et nous le revendiquons, les héritiers de la démarche du CCDH et c’est à partir du patrimoine d’idées et de préoccupations rassemblés par le CCDH que nous avons élaboré notre programme d’activités.
Nous sommes à la veille de l’annonce de ce programme d’action, et comme vous le constaterez, après son adoption et sa présentation à Sa Majesté, le programme d’activités adopte une vaste politique partenariale avec de nombreuses institutions nationales et internationales. La mise sur pied de ces partenariats a demandé beaucoup de rencontres et de discussions. La démarche participative et le partenariat seront la marque de fabrique du CCME.

Quelles seront les priorités de votre action ?
Je voudrais d’abord, si vous le permettez, faire une observation préliminaire. Si la communauté marocaine est une par l’appartenance nationale et par l’attachement très fort qu’elle manifeste de plusieurs manières au Maroc et à ses constantes, elle est en même temps d’une diversité extraordinaire par sa sociologie, son histoire, ses attentes. L’émigration marocaine est aujourd’hui une émigration mondialisée, même si l’Europe continue à concentrer 80% de la population émigrée, très largement féminisée, comptant plusieurs générations pour les pays de vieille implantation et se trouve confrontée à des modèles d’intégration très diversifiés. Elle se diversifie aussi en termes de composition socioprofessionnelle, avec notamment l’émigration de cadres hautement qualifiés, et de régions de recrutement (tout le Maroc et toutes les couches sociales sont aujourd’hui concernés par le phénomène de l’émigration). Il y a enfin une caractéristique fondamentale : c’est la formidable expansion démographique de notre émigration qui est passée d’une population d’un million et demi environ au début des années 1990 à près de trois millions 300 000 fin 2007.
A l’exception de certains pays, cette émigration connaît un double processus : un enracinement dans les pays de résidence qui se manifeste notamment par le fort taux de naturalisations ou l’implication de plus en plus manifeste dans la vie civique de ces pays et en même temps le maintien de liens très forts au pays d’origine qu’illustrent par exemple l’ampleur des retours au Maroc ou la volonté de s’impliquer de manière active dans le vaste chantier du développement du pays conduit par Sa Majesté. En un mot, toute stratégie d’action doit tenir compte de ce double processus et de cette diversité, des mutations qui sont à l’œuvre au sein des communautés et qui sont autant de défis mais aussi des atouts.
A cet égard, la responsabilité des politiques d’intégration, de respect des droits et de lutte contre les discriminations qui touchent les Marocains de l’étranger incombe fondamentalement aux Etats des pays de résidence et relève de leur responsabilité, même s’il revient au gouvernement marocain de déployer plus d’efforts pour la protection de certains groupes vulnérables tels par exemple les mineurs ou adultes en situation irrégulière ou les femmes. La situation des émigrés marocains dans les pays arabes pose des défis d’une toute autre nature et exigera d’évidence une intensification d’efforts et de présence.
Vis-à-vis du Maroc, les attentes sont fonction des générations et des mutations évoquées rapidement ci-dessus. Il y a d’abord de très fortes attentes en matière d’offre culturelle qui se manifeste dans un premier temps par la revendication d’ouverture de centres culturels marocains à l’étranger. Cette demande révèle en réalité de fortes interrogations qui traversent les communautés émigrées et que l’on peut résumer ainsi : qu’est-ce qu’être Marocain dans l’émigration ? Quelles valeurs transmettre lorsqu’on est un parent né au Maroc et qui a émigré à des générations nées et socialisées dans un pays d’émigration ? Et pour les jeunes, comment continuer à être Marocain tout en étant Français, Belge Canadien ou Néerlandais ? La demande de cours d’arabe, de cadres religieux ou de vacances organisées pour les jeunes dans le pays sont autant de manifestations de ces interrogations et de cette quête auxquelles il faut répondre tout en prenant en compte les mutations de ces communautés dont notamment la féminisation et l’émergence des nouvelles générations. On ne peut pas enseigner les langues ou faire un programme d’éducation religieuse par exemple de la même manière et avec les mêmes méthodes au Maroc, aux Pays-Bas et aux Etats-Unis. Mais il faut bien être conscient que les attentes en matière culturelle transcendent ces deux domaines. La culture marocaine que nous devons diffuser dans les communautés est en même temps un patrimoine historique diversifié avec ses composantes arabe et amazighe, musulmane et juive. Mais elle est aussi une culture en renouvellement permanent comme le montrent par exemple les musiques urbaines, la littérature ou le cinéma marocain d’aujourd’hui. C’est cet ensemble qu’il s’agit de faire connaître. A l’inverse, il y a au sein des communautés émigrées une créativité culturelle qu’il s’agit de prendre en compte au Maroc même.
A côté de cette problématique culturelle, il y a chez les Marocains du monde une volonté assez visible de s’impliquer dans le développement du pays. Cette volonté s’exprime par le désir de participer à la vie politique du pays (ce qui se manifeste notamment par le débat sur la participation aux assemblées élues), mais elle se manifeste aussi de multiples autres manières. Comment amplifier le rôle de ces dizaines d’associations d’émigrés qui s’impliquent de plus en plus dans le développement solidaire, surtout au niveau local ? Comment accentuer la mobilisation des compétences marocaines installées à l’étranger dans le domaine scientifique ? Comment renforcer la contribution des transferts au bénéfice des familles restées au pays et au profit de l’économie nationale ?
Le Conseil contribuera à l’élaboration de réponses à ces grandes interrogations en assumant toutes ses prérogatives, mais aussi en respectant celles des autres acteurs publics et privés en matière d’émigration. Tel qu’explicité par le Dahir Royal, le CCME est une institution consultative placée auprès de Sa Majesté le Roi Mohammed VI et une instance prospective. C’est donc par des avis dûment réfléchis et des études sur le moyen et long termes qu’il doit jouer son rôle.

Votre action sera-t-elle à partir de Rabat ou allez-vous avoir des antennes dans les pays d’accueil ?
La problématique que vous soulevez à juste titre est bien celle de l’association du maximum d’acteurs des communautés marocaines à notre travail. Je voudrais à cet égard faire une série de remarques.
Nous déploierons, j’en prend l’engagement, toutes les dispositions pour mettre en œuvre une approche participative systématique qui pourra prendre plusieurs formes : tenue de séminaires, de consultations permanentes dans les pays d’émigration, réception de toutes les associations qui demandent à l’être, ouverture du site à toutes les contributions, …
Les membres du Conseil seront aussi mobilisés dans cette entreprise, étant entendu qu’ils ne sont ni des représentants de l’administration marocaine auprès de ces communautés, ni des porte-parole de ces populations auprès du gouvernement. Nous respecterons de manière stricte l’action indépendante des associations de l’émigration, tout en restant en permanence à leur écoute.

Mais tout de même, la double appartenance au pays d’origine et aux pays d’accueil pose un double défi, comment vous l’appréhendez ?
La mission du Conseil, et conséquemment la manière avec laquelle nous l’appréhendons, découle de plusieurs paramètres dont en premier lieu le Dahir Royal et les directives de Sa Majesté : le CCME est comme je l’ai indiqué un conseil placé auprès de Sa Majesté avec deux missions essentielles : émettre des avis consultatifs et faire des travaux de prospective, en rédigeant notamment un rapport tous les deux ans sur l’état des communautés marocaines dans le monde.
Nous en tenir à cette mission revient aussi à respecter les prérogatives de l’ensemble des acteurs de la problématique migratoire. Ainsi, les premiers interlocuteurs des pouvoirs publics des pays de résidence sont et la diplomatie marocaine et les acteurs associatifs marocains de ces pays qui ne sont pas, croyez-le, inertes. En s’impliquant de plus en plus dans la vie civique des pays de résidence, les Marocains du monde arrivent, bien que difficilement, à faire entendre leurs voix. Le CCME pourrait accompagner ces acteurs, mais en aucun cas se substituer à eux.
Vis-à-vis du Maroc, le CCME doit éclairer l’action des pouvoirs publics en soumettant à Sa Majesté des avis circonstanciés.
Mais il y a bien une problématique qui va se poser de plus en plus et qui implique et le Maroc et les pays de résidence, celle de la double appartenance. Cette préoccupation est aujourd’hui partagée aussi bien par les pays d’accueil que par le nôtre. Elle est inscrite comme une des priorités dans de notre programme d’activités. Nous avons dans ce domaine mis en route une étude sur les droits politiques qu’accordent tous les pays du monde à leurs ressortissants émigrés et nous espérons pouvoir réunir, à l’invitation du Maroc, l’ensemble des conseils similaires au nôtre comme l’Assemblée des Français à l’étranger, le Conseil des Italiens, des Espagnols, des Maliens, des Lituaniens (qui ont déjà pris contact avec nous), des Portugais, …

Vous pouvez nous dire un mot sur l’image de la communauté marocaine dans les pays d’accueil ? Et quelle est à votre avis la qualité de ses liens avec le pays d’origine ?
S’il y a un domaine qui est bien difficile à apprécier, c’est bien celui des représentations. Et je ne pense pas qu’il y ait eu une étude rigoureuse et globale sur l’image des Marocains en tant que tels. D’autant plus que ce Marocain dont nous parlons peuvent être perçus dans les pays d’accueil comme tels, mais aussi comme partie de groupes plus élargis (les Maghrébins, les Arabes, les Musulmans, les jeunes de banlieue, …). Ce ne sont donc que des observations empiriques que je peux vous livrer.
Il y a probablement des processus de stigmatisation de ces populations qui sont à l’œuvre et qui sont la conséquence de la politisation de la question de l’immigration (devenue une ressource politicienne de plus en plus sollicitée lors des échéances électorales) et des vagues récurrentes d’islamophobie. Mais il ne s’agit là, à mon avis, que d’une partie du réel. En même temps, les principales forces politiques – de droite ou de gauche- d’Europe, où se concentre l’émigration marocaine, ont pris conscience de l’enracinement des populations émigrées et tentent, chacune en fonction de sa tradition nationale, de mettre en place des politiques actives d’intégration, tout en cherchant tous les moyens pour limiter l’émigration illégale. En conséquence, les opinions publiques se résolvent à considérer les migrants et leurs enfants comme partie intégrante des sociétés européennes. Et puis, il ne faut jamais oublier que nous avons affaire à des sociétés démocratiques et pluralistes dans lesquelles les courants humanistes et de progrès sont réels et ont un véritable écho dans l’opinion. Mais il y a aussi un facteur central dans ces perceptions, à savoir l’image du Maroc. Celle-ci est d’évidence de plus en plus positive et chaque grande réforme réalisée, surtout depuis l’avènement au pouvoir de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, renforce cette image auprès des opinions publiques des pays de résidence et ressentie en même temps comme un motif de fierté par les Marocains du monde. Ce Maroc en chantier, de l’égalité entre hommes et femmes, du pluralisme et de la diversité, du courage politique comme l’a illustré par exemple l’Instance Equité et Réconciliation est à la fois un puissant facteur dans les processus d’intégration dans les sociétés de résidence et de renforcement du lien avec la terre d’origine.


Une émigration en pleine mutation


En moins de quatre décennies, l’émigration marocaine s’est profondément transformée à cause notamment :
• d’une mondialisation de plus en plus affirmée (les émigrés marocains sont aujourd’hui implantés sur tous les continents, même si le poids de l’Europe reste de loin prédominant),
• d’une féminisation croissante (près d’un émigré marocain sur deux est une femme),
• de la sédentarisation définitive dans les pays de résidence (avec l’émergence des deuxième et troisième générations, nées et socialisées ailleurs qu’au Maroc),
• de l’extension des aires de recrutement à l’ensemble des régions du Maroc et, enfin,
• de la diversification des profils socioprofessionnels des émigrés marocains.
La mobilité croissante des personnes, induite par la mondialisation et par son corollaire que sont les déplacements des personnes hautement qualifiées, est un phénomène qui touche et touchera de plus en plus le Maroc. De manière générale, le niveau scolaire des émigrants marocains s’est élevé et l’émigration illégale, encouragée par le développement des réseaux de trafic des êtres humains, reste un trait majeur et le restera probablement, malgré les efforts publics de ces dernières années en matière de contrôle des frontières.
L’enracinement dans les pays de résidence, que révèle notamment le fort mouvement de naturalisation des Marocains (es), reste néanmoins un processus complexe et contrarié par la xénophobie et les manifestations diverses de discrimination. Ce processus va aussi  de pair avec le maintien de rapports affectifs très forts au Maroc, rapports qui se manifestent  de diverses manières : retours massifs lors des périodes estivales, hausse du montant global des transferts de revenus, implication de centaines d’associations d’émigrés dans des projets de coopération avec le Maroc.
Une donnée importante s’impose désormais parce qu’inscrite dans le Droit : celle de la double appartenance des Marocains (es), et tout porte à croire qu’elle ne peut que s’amplifier. Relevant de, mais aussi appartenant désormais à deux ordres juridiques et nationaux, avec ce qu’ils impliquent en droits et en devoirs, les Marocains (es) sont de moins en moins des résidents à l’étranger et de plus en plus des citoyens à part entière -au moins en droit- au sein des pays où ils vivent. Et même lorsqu’ils n’ont pas opté pour la nationalité des pays de résidence, des avancées démocratiques permettent aux Marocains (es) émigrés(es) des formes multiples de participation à la vie de la Cité (droit de vote et d’éligibilité aux élections locales, élection de délégués syndicaux, de prud’hommes, droit d’association, etc.), amplifiant et rendant plus concret l’exercice d’une citoyenneté de résidence.

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