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Ducarme : « Le Polisario doit rendre des comptes »

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ALM : Quelle suite, d’après vous, sera donnée au rapport préparé par la commission d’enquête dont vous êtes membre ?
Denis Ducarme : L’objectif du rapport s’inscrit tout d’abord dans une volonté de sensibiliser la Communauté internationale à la vie de femmes et d’hommes qui ont vu leurs droits humains méprisés au profit d’intérêts politiques. Ce rapport est d’abord la photographie de la vie de ces victimes. C’est dans ce sens que nous avons souhaité que cette publication soit fondée sur le recueil d’un très grand nombre de témoignages. C’est pour cette raison que le travail a été aussi long et a nécessité de multiples rencontres tant à Bruxelles, Madrid, Rabat et Laâyoune.
Afin d’éveiller le plus grand nombre de nations à cette situation, le rapport sera transmis aux Parlements des pays membres de l’Union européenne, à la Commission européenne, au Parlement européen, au Congrès des Etats-Unis d’Amérique mais également aux pays du Maghreb et aux principaux pays ayant reconnu la RASD. J’estime qu’il est du devoir de l’Europe d’assumer pleinement son rôle de puissance internationale, de veiller au respect des droits de l’Homme et de s’investir plus largement dans les processus de règlement des conflits. Dans le sens du processus Euro-Méditerranée, l’Europe doit donc être plus active dans sa relation au Maghreb, cela vaut aussi pour le dossier du Sahara occidental et pour ce qui concerne ses volets humanitaire et politique.
Les suites, elles, devraient être multiples. Primo, il faut savoir que le Front Polisario dispose de centaines d’associations à travers toute l’Europe, il était important que les représentants de ces Etats soient pleinement informés des témoignages de ces victimes et des violations des droits de l’Homme dont ces dernières accusent le Front Polisario. Secundo, j’ai veillé très particulièrement à ce que ce rapport fasse la lumière sur les droits de l’Enfant dans les écoles placées sous autorité du Front Polisario dans la région des camps de Tindouf. J’ai pu recueillir de multiples témoignages de jeunes personnes qui ont suivi un cursus dans ces écoles et mettre à jour de multiples méthodes éducationnelles en parfaite contradiction avec la Convention internationale des droits de l’Enfant. Ces méthodes vont de l’embrigadement politique à des cours de théorie militaire selon les témoins. Plus grave encore, à partir de dix ans, des enfants sont régulièrement sélectionnés afin d’être envoyés sur l’île de la jeunesse à Cuba où ils reçoivent un enseignement politique, sont mis au travail dans les champs de canne à sucre et de tabac et sont maintenus à Cuba, parfois plus de dix ans, sans contact avec leur famille. Le manque de moyens financiers du Front Polisario pour son programme éducationnel ne justifie naturellement de telles violations de la Convention internationale des droits de l’Enfant. Le représentant du Polisario que j’ai pu rencontrer à de multiples reprises à Bruxelles m’a confirmé que 1000 à 2000 jeunes Sahraouis étaient actuellement installés à Cuba et que plusieurs centaines y avaient encore été envoyés en 2005-2006. Dans ce cadre, il est utile de noter que l’aide humanitaire européenne en faveur des populations sahraouies repose sur une aide alimentaire, pour la santé et relative en faveur de l’éducation. Ce troisième volet consiste en une aide européenne qui vise à la réhabilitation et à la construction d’écoles. La poursuite de l’aide européenne en la matière devrait être conditionnée à l’évolution conforme des méthodes éducationnelles dispensées par le Polisario.
Tertio, la question du respect des droits de l’Homme dans cette région, si elle est fondamentale, me semble également être un rappel utile à la situation politique.
Le statu quo dans le dossier du Sahara occidental  est en lui-même un blocage à l’évolution positive de la question des droits de l’Homme dans la région, mais également aux perspectives politiques, même lointaines, de constitution d’un Maghreb politique.

Dans ce rapport, vous affirmez en substance avoir été empêché de vous déplacer à Tindouf. Pourquoi, à votre avis, une telle attitude de l’Algérie ?
A ce stade, je n’estime pas avoir été empêché de quoi que ce soit par l’Algérie. Ma dernière entrevue avec l’ambassadeur d’Algérie à Bruxelles laisse plutôt présager un déblocage du dossier et la possibilité qui me sera donnée de visiter les camps de Tindouf.

Le rapport que vous avez présenté à la quatrième commission de l’ONU est "tombé" presque au même moment que celui du Haut conseil des droits de l’Homme qui a véhémentement critiqué le Maroc et sans le moindre reproche au Polisario. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je me rangerai à ce propos, assez volontiers, à l’opinion publiée par François Soudan dans le dernier numéro de «Jeune Afrique». L’ouverture démocratique dont fait preuve le Royaume du Maroc en fait à mes yeux le pays arabe le plus avancé politiquement. L’IER, qui n’était pas une démarche facile, a vu le Maroc reconnaître les crimes de son passé. Seul le Chili ou l’Afrique du Sud s’étaient jusque-là engagés dans une démarche similaire. Les efforts faits pour ce qui concerne le Code de la famille mettent également le Maroc sur la voie du progrès.
La plus grande liberté d’expression qui réside aujourd’hui au Maroc a fait, tel que le rapport du HCDH le reconnaît explicitement, sans doute une partie de la différence.
Les habitants des camps de Tindouf étaient-ils aussi libres de leurs propos que les Marocains de Laâyoune ? Il faut oser cette question. Après avoir reçu l’accord des témoins que j’ai rencontrés, je transmettrai au HCDH une copie des témoignages que j’ai pu recueillir concernant les violations relatives aux droits de l’Enfant. Ceux-ci complèteront et éclaireront sans doute davantage l’analyse du HCDH. Mais au-delà de la contestation ou des recours que le Maroc peut produire à l’égard du rapport du HCDH, j’estime que la voie royale sur laquelle il peut s’engager afin de faire les démonstrations qui s’imposent, réside en sa volonté encore plus prononcée à avancer dans les grands chantiers de démocratisation.

En Belgique, une initiative de Pierre Galland à la fin des années 1970, en faveur des Khmers rouges, a suscité un grand scandale à Bruxelles. Comment aujourd’hui une partie de la classe politique belge se permet-elle de cautionner et défendre une organisation comme le Polisario ?
La démocratie libérale européenne implique de permettre à chacun d’avoir et d’exprimer ses choix politiques, même les plus tranchés, en toute liberté. Si je désapprouve le sénateur Pierre Galland qui est président de la coordination européenne de soutien au Polisario, je ne comprends pas non plus comment le Parti socialiste belge peut être en accord avec les thèses défendues par ce Monsieur Galland. Le Mouvement réformateur (droite) auquel j’appartiens est historiquement le premier parti libéral démocrate constitué en Europe. Les origines de notre philosophie politique reposent sur une promotion des droits humains, des libertés et de l’émancipation individuelle. Nous n’avons sur cette base que peu de points communs avec le Polisario et ses origines doctrinales… L’Internationale Libérale se réunira d’ailleurs entre le 9 et le 11 novembre à Marrakech afin de prendre de nouvelles positions dans le dossier du Sahara occidental, j’y présenterai mes conclusions.
Le lobbying intense du Polisario en Europe a néanmoins convaincu bon nombre de représentants politiques européens. C’est le cas en Belgique, en Italie, dans les pays scandinaves et naturellement en Espagne. Lesquels s’impliquent souvent de manière très militante au sein de diverses associations. Je suis convaincu que le rapport que nous avons produit réveillera l’esprit critique d’un certain nombre d’entre eux.

Plusieurs sources évoquent également des ressortissants mauritaniens exécutés de manière sommaire par le Polisario. Pourrait-on envisager, le cas échéant, une autre enquête là-dessus ?
Toute situation par rapport à laquelle des questions relatives aux droits de l’Homme se posent nécessite de la rigueur, mérite examen, vérification des sources et enquête. Je me tiens à l’écoute du gouvernement mauritanien.

Est-ce que vous, en tant que politique belge, seriez partant pour soutenir une action en justice en Europe, par exemple, contre le Polisario sur la base de plaintes documentées et bien ficelées ?
Naturellement. Au-delà du rapport de notre commission, au-delà de mon exposé devant les Nations unies ou encore du travail opéré au sein de l’Internationale Libérale, la logique veut que cette action politique relative à la reconnaissance de ces violations des droits de l’Homme se prolonge devant les instances qui ont vocation à faire la vérité. Cette instance, c’est la Justice. Elle, seule, est fondamentalement habilitée à reconnaître les violations des droits de l’Homme, à en condamner les auteurs et à reconnaître aux personnes ayant subi ces violences les droits inhérents au statut de victime. Mes contacts avec Maître Ziane, bâtonnier de Rabat et ancien ministre des Droits de l’Homme, déboucheront peut-être sur une action semblable. En outre, une particularité du système judiciaire belge dénommée de «Compétence universelle» permet à toute victime qui peut prouver un lien suffisant avec la Belgique de déposer une plainte devant les juridictions nationales même si l’objet de cette plainte est de droit international. Ici encore, j’ai fait savoir ma disponibilité à l’égard des victimes sahraouies.

On remarque aussi que l’affaire du Sahara devient aussi un enjeu politique en Belgique avec l’implication des communautés immigrées du Maghreb. Qu’en est-il d’après vous ?
C’est un enjeu politique en Belgique au sens où mon pays, qui est un des six pays fondateurs de l’Union européenne, entend demeurer un moteur de cette Union politique dans la vocation qu’elle a à porter davantage à travers le monde les valeurs européennes de liberté, de solidarité, de tolérance et de justice.
C’est un enjeu politique en Belgique au sens où mon pays vient d’être élu pour deux ans au Conseil de sécurité des Nations unies et c’est pourquoi j’ai choisi de présenter ce dossier devant l’ONU le mois dernier. C’est en première ligne que la Belgique traitera du règlement politique de la question du Sahara occidental. C’est donc dès aujourd’hui, qu’au titre de député belge, j’entends me mobiliser.
Pour bien connaître les représentants des communautés immigrées du Maghreb que je côtoie régulièrement pour ce qui concerne les dossiers relatifs à l’organisation de l’Islam en Belgique que je traite au Parlement belge, je dirai que l’intensité de leur implication au niveau du dossier du Sahara est variable selon les milieux et les générations. Je suis néanmoins convaincu d’une chose à ce propos, l’intérêt et le travail de représentants politiques européens en faveur de dossiers touchant au Maghreb, a également vocation à resserrer encore les liens entre ces communautés et leur pays d’accueil.

Question un peu "spéciale" : est-ce que vous envisagez, par exemple, la Belgique "amputée" de la Flandre comme le revendiquent les partisans de l’extrême droite flamande ?
La majorité des Belges, qu’ils soient francophones ou néerlandophones, tiennent à l’Etat belge. Une partie non négligeable de la classe politique flamande aspire par contre à l’évolution du fédéralisme belge vers le confédéralisme ou encore à une indépendance de la Flandre. Ceux-ci arrêteront le niveau de leurs ambitions le moment venu. Si dans l’avenir, la majorité des Flamands souhaite cette indépendance et la prend, je n’ai rien contre.
A l’heure supranationale portée par l’Union européenne, ce type de modifications territoriales nationales ne constitue pas une grande difficulté à surmonter. Avec Bruxelles, la Belgique francophone est un projet politique et collectif viable tant dans une dynamique européenne qu’à travers une coopération renforcée avec notre voisin francophone.

Le Maroc se prépare à soumettre à la communauté internationale un plan d’autonomie pour le Sahara dans le cadre de son intégrité territoriale nationale. Quel regard portez-vous sur une telle initiative comme éventuelle issue à ce conflit ?
Le premier élément qu’il faut naturellement regretter pour ce qui concerne la résolution politique du dossier du Sahara occidental est le blocage relatif à l’absence d’accord intervenu pour ce qui a trait à l’actualisation de la liste électorale du recensement espagnol. Un blocage qui ne permit pas de concrétiser l’option du référendum.
Deuxièmement, concernant la proposition marocaine qui a le mérite d’exister et de relancer le dossier, il est utile de noter que celle-ci devra rencontrer l’accord du Polisario et de l’Algérie pour être considérée comme une solution au problème.
La nature des relations entre les trois parties n’apparaît pas toujours avoir atteint le niveau de sérénité requis pour sortir du dossier par le haut. Une amélioration préalable des relations bilatérales semble donc essentielle.
Troisièmement, on peut estimer au regard de l’histoire politique du Maroc, qui est un Etat centralisé par nature, que le choix de cette régionalisation constitue une certaine prise de risque. Ceci doit être interprété comme une démonstration de la volonté du Maroc à aller de l’avant. Il faut souhaiter que les partenaires du Maroc dans le dossier du Sahara occidental soient sensibles à cette démonstration. Pour conclure, cette proposition marocaine, qui a naturellement tout son sens, pourrait encore voir sa légitimité politique internationale renforcée si elle s’appuyait sur une «consultation populaire» des Sahraouis habitant la province du Sahara occidental.

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